jeudi, 08 octobre 2009
Avec SYNERGON pour quitter le provincialisme intellectuel "bundesrepublikanisch"
Avec «SYNERGON» POUR QUITTER LE PROVINCIALISME INTELLECTUEL “BUNDESREPUBLIKANISCH”
Pour un jeune Allemand comme moi, qui est appelé pour la toute première fois à disserter amplement sur les structures et les courants révolutionnaires-conservateurs ou “de droite” en Europe, le risque de subir un choc culturel est bien réel. Même si ce jeune Allemand est lui-même un partisan des idées et théories promues et défendues par ces courants de pensée, il finira par sombrer dans une sorte de mélancolie. Il s'apercevra bien vite que ses homologues dans beaucoup de pays d'Europe se meuvent avec une aisance insoupçonnée dans les espaces politiques ou pré-politiques et échangent idées, projets et points de vue avec d'autres courants intellectuels, souvent opposés.
Tel est ma position: c'est donc un jeune homme étonné, un peu troublé, qui écrit pour la première ses sentiments en ce domaine et qui sort, par la plume, du cercle étroit de la culture politique de son pays. Je ne vais pas écrire un texte scientifique, car je ne suis pas un sociologue ou un diplômé en sciences politiques. Je veux plus simplement mettre de l'ordre dans quelques idées pour aider les lecteurs non germanophones à comprendre, dans la mesure du possible, la situation intellectuelle qui règne en Allemagne aujourd'hui.
rééducation
Lorsque les puissances occupantes ont commencé à intégrer la nouvelle “Bundesrepublik” dans leurs calculs et dans leurs projets militaires, quasi immédiatement après la seconde guerre mondiale, elles avaient déjà largement confié à des Allemands le soin de parfaire la politique de “rééducation” du peuple allemand. Elles n'auraient pu faire mieux. Car les Allemands ont la manie de la perfection: ils ont travaillé à cette rééducation avec un tel zèle que tous en Allemagne ont perdu l'idée même de maintenir une tradition nationale ou une logique de souveraineté, ont perdu la conscience de soi, si bien qu'aujourd'hui, au lendemain de la réunification des deux plus grandes constructions étatiques allemandes d'après 1945, l'Allemand moyen croit, au fond de lui-même, que cette réunification est une honte et une catastrophe.
La vieille droite a été exclue du jeu politique dans une très large mesure. Au moment où l'“Etat social” prenait forme, au beau milieu du “miracle économique”, pendant et après la révolte étudiante de 68, les valeurs et les idées de la vieille droite sont devenues de plus en plus suspectes, ont été houspillées et considérées comme anachroniques. Dans les masses, l'omniprésence de la consommation tuait toute aspiration spirituelle, conduisait à l'affadissement généralisé. Dans les élites intellectuelles, on s'enthousiasmait totalement et volontairement pour les idées de la gauche, à un point tel qu'on peut dire aujourd'hui que les pays communistes n'auraient jamais pu obtenir un tel consensus par les moyens coercitifs qu'ils n'hésitaient pourtant pas à employer parfois. La parution de L'Archipel Goulag de Soljénitsyne n'a pas entamé en Allemagne de l'Ouest la foi des intellectuels en ces idées communistes qu'ils jugeaient “bonnes dans le fond”. Les centaines de morts le long du Rideau de Fer séparant les deux Allemagnes, les milliers de prisonniers politiques en RDA, étaient dépourvus de tout intérêt et ne troublaient pas la vision messianique de la gauche, croyant qu'au bout du progrès vectoriel annoncé par la vulgate marxiste un avenir brillant et lumineux nous attendait. Cette Jérusalem terrestre valait bien quelques cadavres!
un fascisme extensible à l'infini!
Pour l'intellectuel de gauche ouest-allemand, le communiste persécuté au Chili, le membre de l'ANC sud-africaine emprisonné, étaient beaucoup plus proches que le malheureux candidat réfugié abattu comme un chien sous les barbelés du Rideau de Fer. Parler des millions de victimes du stalinisme dans l'ensemble des territoires sous contrôle soviétique était une indélicatesse. Ce l'est d'ailleurs toujours. Les droites allemandes ne pouvaient pas faire référence à ces faits sans encourir foudres ou moqueries. Mais aujourd'hui les gauches allemandes n'hésitent toujours pas à se servir de la “Massue-Fascisme”. Par “fascisme”, il faut entendre la définition très extensive qu'en donnait Dimitrov et sur laquelle je ne reviendrai pas. En Allemagne, le concept de “fascisme” a perdu tous contours et limites: ce n'est plus qu'une injure politique, un moyen pour couvrir un adversaire d'opprobe. Le “fasciste”, c'est devenu le représentant du “mal absolu”, qui n'a donc plus aucun droit. Quand la majorité des médias qui se portent encore et toujours volontaires pour mettre les esprits au pas vous traitent de “fasciste”, vous n'avez déjà plus votre place dans la société. L'avant-garde de cette inquisition est portée par les journaux et les émetteurs qui croient dur comme fer que leur mission est de rééduquer le public, car telle a été la tâche que leur ont dévolue jadis les puissances occupantes.
Le terme “fasciste” connait des synonymes: “nazi” et, dans sa variante libérale, “extrémiste de droite”. Celui qui récolte l'une de ces étiquettes obtient le même résultat: l'exclusion, forme à peine atténuée de la “mort civile”. Il y a quelques années, le parti d'Etat de la RDA (qui existe toujours et s'appelle le PDS, ou “Parti du Socialisme Démocratique”) finançait généreusement le “mouvement antifasciste” (l'Antifa-Szene) qui entretenait des passerelles avec les groupes violents d'autonomes et de squatters, permettant une mobilisation rapide et des coups précis, perpétrables à tout moment. On a assisté en Allemagne à des attaques violentes contre des domiciles ou des appartements privés, contre des individus isolés, on a envoyé systématiquement des lettres de menaces ou de dénonciation, on a pratiqué la terreur téléphonée (appels nocturnes, injures, menaces physiques y compris sur les enfants) et on a assassiné des gens. Ces instruments de terreur peuvent être appliqués à tout moment contre n'importe quelle personne qui professe des idées de droite, même modérées.
émergence de la «nouvelle droite»
Mais malgré ces procédés terroristes et normalement illégaux, une “nouvelle droite” s'est constituée en Allemagne, avec la volonté de recourir à l'intelligence: cette “nouvelle droite” est principalement représentée par l'équipe de l'hebdomadaire Junge Freiheit. Beaucoup de jeunes intellectuels qui s'étaient déclarés “conservateurs” —et non pas “révolutionnaires-conservateurs” ou “de droite” au sens évolien du terme— apprennent au fil des semaines qui passent, dans les colonnes de cet hebdomadaire, qu'ils ne sont pas isolés et que sur tout le territoire allemand, ils ont des compagnons ou des amis. Les Italiens et les Français savent déjà depuis deux générations qu'ils ne sont pas seuls dans leur pays, grâce à leurs journaux et leurs réseaux: il existe partout des jeunes non-conformistes qui refusent le discours dominant, le critiquent au départ de pensées classées à “droite”, sans risque de se faire traiter immédiatement de “nazi”, sans sombrer dans la xénophobie (car en Allemagne, la scène-antifa pose mécaniquement l'équation suivante: droite = xénophobie = antisémitisme = Auschwitz). Ces droites italiennes et françaises alignent des intellectuels à l'esprit vif, capables de s'insinuer dans tous les discours et dans toutes les thématiques actuelles. Les ouvrages des nouvelles droites française et italienne étaient totalement inconnus il y a quelques années: ils commencent à être lus en Allemagne, chez les étudiants et les diplômés universitaires appartenant au camp “conservateur”.
Chaque jour, ceux qui se déclaraient “conservateurs” apprennent ainsi que leurs positions sont finalement beaucoup plus radicales qu'ils ne l'avaient pensé. Plus frileux, comme tous les conservateurs, ils s'en effraient souvent. Mais le phénomène de la “nouvelle droite” allemande fait lentement son chemin, même si la presse établie, monotone, n'en prend connaissance que du bout des lèvres, pour s'en plaindre et s'en lamenter. Dans tous les partis, des individus et des petits groupes, professant plus ou moins ouvertement des idées “nouvelle droite” ou explorant l'une ou l'autre facette de ce corpus vaste et varié, se regroupent, deviennent suspects puis objets de haine. Les écoles de pensée, les laboratoires intellectuels de la droite allemande avaient sombré dans l'oubli depuis la mise hors jeu de la “révolution conservatrice” par le pouvoir national-socialiste (entre 1933 et 1934). Aujourd'hui, un réseau de clubs refait surface, dans le sillage des “cercles de lecteurs de Junge Freiheit” dont les travaux sont de qualité inégale: on ne peut effectivement pas atteindre d'emblée la qualité des travaux de la revue romaine Pagine Libere, des cycles de conférence orchestrés par Marco Battarra et de Sinergie/Italia ou des “unités régionales” du GRECE français au temps de Guillaume Faye. Les cercles “conservateurs-révolutionnaires” allemands n'en sont qu'à leurs premiers balbutiements.
européaniser nos démarches
La cristallisation de la “nouvelle droite” allemande est lente. Nous avons besoin de tirer les leçons des expériences françaises et italiennes. Nous devons tenir compte de leurs recherches et de leurs résultats. Nous devons hisser les principes de la “révolution conservatrice” au niveau européen. Car, pour nous Allemands, ce serait un moyen pratique et réalisable de contourner les interdits et les obstacles dressés par le cartel médiatique de la rééducation et de sortir de notre isolement et de notre quarantaine intellectuelle. Car si nous restons dans cet isolement et si nous nous y complaisons, nous nous épuiserons, nous sombrerons dans les fantasmes, le dogmatisme, l'actionnisme aveugle et la radicalisation insensée. Qu'on ne vienne pas me dire que cette “européanisation” de nos démarches constitue une “trahison à la patrie allemande”, car que vaudraient des patriotes purs dont les horizons seraient totalement bouchés? De plus, j'ajouterais que notre “européanisation” n'est pas l'européanisation préconisée par les partis dominants.
Partons du principe que le seul courant de droite valable, sérieux, accepté par l'opinion publique comme tel est celui de la “nouvelle droite”. Cette “nouvelle droite” est considérée comme un produit d'origine française. Mais cette ND française a été fortement tributaire d'apports allemands. En acceptant un modèle français intéressant, nous pratiquons donc la réimportation de matériaux allemands transformés dans un pays où les laboratoires intellectuels n'étaient pas soumis à la férule des “rééducateurs”. [En dehors de la sphère politique, au niveau philosophique et académique, le même phénomène s'est produit avec le nietzschéisme: allemand à l'origine, le nietzschéisme a été ostracisé en Allemagne après 1945, sous prétexte, dixit Lukacs, qu'il était un “irrationalisme” conduisant au nazisme. Le nietzschéisme a été travaillé en France par des hommes comme Deleuze, Guattari, Foucault, etc., tous classés à gauche. Ils ont été traduits en allemand, si bien que le nietzschéisme est subrepticement revenu en Allemagne dans ces “wagons” français. Au grand dam d'un Habermas, qui a fulminé tout son saoûl contre cette gauche nietzschéiste française, cheval de Troie d'un “néo-nazisme” qui ne pouvait pas manquer d'éclore...].
deux problèmes concrets, deux obstacles à surmonter
En Allemagne, on raconte partout —et pas seulement dans les milieux “conservateurs”— qu'il faut se hisser désormais au niveau européen mais en conservant intacts les ressorts de son identité, que l'Europe de demain ne sera pas une espèce de nirvana où l'on entrera après avoir fait le vide de ce que l'on porte en soi, après avoir abandonné le principe du “connais-toi toi-même”. Si l'on peut devenir Européen sans se vider de sa substance, alors le projet européen cesse d'être abstrait pour redevenir concret, cesse d'être cette pure union économique et administrative que l'établissement a vendue aux Allemands pendant plusieurs décennies. Les partis établis n'ont pas voulu tenir compte d'un fait pourtant bien patent: une Europe purement économique et administrative ne peut durer, si l'on n'a pas au préalable réfléchi aux fondements spirituels et culturels de l'Union. Les politiques à courte vue des partis établis ne veulent même pas se rendre compte des dangers que recèle ce bureaucratisme de termitière qui permet à beaucoup de politiciens de seconde zone de se faire une niche ou de coopter leurs féaux.
Par ailleurs, les droites et les révolutionnaires-conservateurs d'Europe sous-estiment toute une série de choses bien pratiques. Je ne vais rien révéler d'extraordinaire, je vais tout simplement mentionner deux problèmes très concrets: la diversité linguistique en Europe et l'esprit casanier de bon nombre d'entre nous. Deux problèmes, deux tares qu'il faut impérativement et rapidement surmonter. Ce serait un premier pas vers une véritable pratique de nos idées. Ceux d'entre nous qui possèdent des dons, même modestes, pour les langues, qu'ils se perfectionnent! Qu'ils lisent les travaux de nos voisins, qu'ils s'abonnent à leurs journaux et fassent l'effort d'en traduire les meilleurs morceaux! Etre Européen, c'est aussi et surtout être capable de comprendre les données politiques et culturelles d'un pays voisin, d'entretenir des contacts personnels (par courrier ou via internet) avec des homologues non allemands (aux niveaux personnel, professionnel ou politique).
face à nous: un européisme sans substance
La plupart des intellectuels établis n'ont que le mot “Europe” à la bouche mais ignorent totalement ce qui se passe au-delà des frontières de leur pays. Cette lacune, tous les Européens peuvent la constater. Surtout les donneurs de leçons qui pontifient dans les médias: généralement ils sont unilingues, baraguinent quelques phrases mal torchées en basic English et ne savent rien, strictement rien, des littératures, des grands courants culturels, des institutions et des clivages politiques de leurs voisins. Bonjour l'“internationalisme”! Nous savons ce qu'il nous reste à faire, nous, pour qui l'Europe est un mythe et non pas une abstraction ou une sinécure: nous serons des Européens ouverts aux identités de tous les autres, nous combattrons les lubies libéralistes qui conduisent à l'impasse. Nous lirons les textes de nos amis italiens, russes, ibériques et français, que nos éditeurs politiquement corrects ne veulent ni traduire ni éditer. Nous traduirons, nous diffuserons, nous fructifierons. Prenons un exemple, typiquement allemand: l'ouvrage fondamental de Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche, n'est toujours pas traduit, alors que sa version française est disponible depuis plus de treize ans! Ce livre est pourtant fondamental pour développer une critique intelligente du fascisme: mais cette critique du fascisme n'est pas celle pour laquelle nos censeurs ont opté il y a quelques décennies... Donc Sternhell, homme de gauche israëlien irréprochable, est condamné au placard! Enfin, bon nombre de textes d'Evola subissent toujours la quarantaine, etc... Nous avons donc du pain sur la planche!
Alain de Benoist n'aurait plus raison de dire aujourd'hui que les Allemands ne lisent que fort peu de textes venus d'ailleurs. Certes, ces textes ne sont pas disponibles en langue allemande. Les Allemands, en revanche, s'étonnent de voir leurs amis italiens et français exploiter tant de textes allemands. Ces exégèses permettent de renforcer nos propres interprétations, d'éclairer des aspects que nous ignorions, de découvrir des parallèles dont nous n'avions pas idée. Bon nombre d'idées ou de germes d'idées, oubliés ou refoulés, reviennent ainsi dans leur patrie allemande, par le biais d'exégètes italiens, français ou hispaniques.
Notre “nouvelle droite” veut elle aussi apporter sa pierre à l'édifice européen. En réactivant nos cercles d'études, en exprimant par le verbe et par la plume ce que nous ressentons ou ce que nous avons découvert, ce travail de construction est désormais possible. Dans les espaces de la haute voltige intellectuelle, tout peut être dit ou pensé, mais ce n'est que par les contacts et les échanges personnels qu'une révolution culturelle pourra démarrer, être mise à l'épreuve des faits. Ces échanges entre néo-droitistes de tous plumages, à l'échelle européenne, est l'impératif de notre génération, notre devoir face à l'histoire.
Thomas ROHLFF.
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mercredi, 07 octobre 2009
Fascism and the Meaning of Life
Fascism and the Meaning of Life
Review: MODERNISM AND FASCISM: The Sense of a Beginning under Mussolini and Hitler. Roger Griffin (Palgrave Macmillan, Basingstoke 2007)
Roger Griffin, Professor in Modern History at Oxford Brookes University, first introduced the idea of 'Palingenesis' to the field of fascist studies over 15 years ago, making him immediately a leading figure in his chosen vocation. He isolated the syncretic fascist core as being palingenetic, populist ultra-nationalism, with overtones of a phoenix-like heroic rebirth. Since then he has extended and elaborated his theory that essential to the definition of the 'fascist minimum' is the notion of national rebirth or renaissance - “myths that generated policies and actions designed to bring about collective redemption, a new national community, a new society, a new man...engineered through the power of the modern state.” - culminating in this masterwork which rightly places fascism at the centre of wider modernist movements.
Epiphanic versus Programmatic Modernism
Griffin's insights have previously been recognized as audacious and perceptive, no more so than here. Part One of the book tackles the at first seemingly tricky concept of Modernism itself, which Griffin clarifies brilliantly. Modernism's “common denominator lies in the bid to achieve a sense of transcendent value, meaning of purpose despite Western culture's progressive loss of a homogeneous value system and overarching cosmology (nomos) caused by the secularizing and disembedding forces of modernization.” Modernization is experienced by those caught up in its slipstream as a relentless juggernaut unzipping the fabric of meaningful existence and leaving in its wake the abyss of permanently unresolved ambivalence. In short, Modernism is defined as a reaction against the decadent* nihilism of intellectual, societal and technical modernization. While Marx, other Leftists and liberals consider modern man's condition as one of angst and alienation induced by class warfare and industrial production, the Right sees anomie as both the cause and the principle symptom of our modern malaise. “It is the black hole of existential self-awareness in all of us, our fear of 'the eternal silence of infinite spaces' that so alarmed [Blaise] Pascal, which produces culture”. This modern culture is further divided by Griffin into what might be called introvert and extrovert reactions: the introvert reaction is generally individualistic and in Griffin's expression an 'epiphanic modernism' – the path of the artist – while the extrovert, collective reaction is defined as 'programmatic modernism'. The latter seeks to change the world and resolve the permanent crisis of modernity (“all that is solid melts into air” - Marx) by a collective act of 'reconnection forwards' (Moeller van den Bruck). It is not difficult to make the short step from 'programmatic modernism' to fascism; the transcendent politics proposed by van den Bruck at the beginning of the Twentieth Century are not so different from Guillaume Faye's 'Archaic Futurism' at its end. Both are, in the phrase of Guy Debord, “technically equipped archaism”.
Amongst the epiphanic modernists Griffin includes Nietzsche, Eliot, Joyce, Proust, van Gogh, Kandinsky and Malevich, but perhaps the truth of Griffin's argument is demonstrated by the man widely-acknowledged as the greatest modern painter: Picasso. In his earlier cubist works, Picasso sought inspiration from the primitivism of African masks, and later in the archetypal Mediterranean symbols of horses and particularly bulls (which surprisingly Griffin doesn't mention).
Gardening State
Following the exhaustive and enlightening dissection of modernism in Part One, Griffin explores the implications and applied politics in Part Two, where “modernity turbocharged by the conjuncture of the First World War, the Russian Revolution, the collapse of three absolutist regimes and a powerful monarchy, with an influenza epidemic that killed as many as 100 million people world wide had made the modernist drive to ward off the terror of the void – cultural, social and political – a phenomenon of mass culture. The new era would be a creatio ex profundis, an act of creativity defying the void.” Fascism aimed for a complete overhaul, in accordance with Emilio Gentile's observation of totalitarianism as “an experiment in political domination undertaken by a revolutionary movement.” Griffin introduces the idea of the pre-War Fascist and National Socialist regimes as 'gardening states' striking a successful balance between idyllic ruralism and technocratic modernism, the “compelling new imperative” that it obeyed “to clean up, to sterilize, to re-order, to eliminate dirt and dust” (Frances Saunders). Or neatly, if flippantly, summed up by Lars Lindholm, “For example, the Aryans (i.e. Germans, the blond and blue-eyed) are direct descendants from the Atlantean root-race, whereas the Jews, Negroes, Slavs, and anyone else for that matter, are unfortunate mutants, further away from Homo sapiens than the snottiest gorilla. The reason for all the troubles in this world is the presence of these unsavoury species that the master race should mercifully do away with so that peace and quiet could be restored and life imbued with a bit of style.” PILGRIMS OF THE NIGHT: Pathfinders of the Magical Way (Llewellyn, St. Paul MN, 1993). It was this same vision of hygienic modernity which inspired the building in London of bright new health centres in Peckham and Finsbury during the 1930s. But mild English pragmatism was no match for German determination, where public buildings were “an act of sacralization symbolized in the toned bodies of Aryan workers showering in the washrooms of newly built hygienic factories or playing football on a KdF sportsground, their camaraderie and zest for life expressing the hope for a young, healthy nation.”
Fascist aesthetics
Included in the book are illustrations of art and architecture not usually associated with the pre-War Fascist and National Socialist regimes: from the soaring arch designed by Adalberto Libera for the aborted EUR '42 exhibition in Rome (later ripped-off by Eero Saarinen for the St. Louis Gateway Arch), to the cool steel and glass structure designed by Morpugo encasing the Ara Pacis of Augustus, the 1933 blueprint for the new Reichsbank in Berlin by Gropius, or Baron Julius Evola's painterly experimentations with Dadaism. Goebbels is revealed as a fan of Edvard Munch and Fritz Lang, while Le Corbusier submitted plans for the new town of Pontinia in the recently-reclaimed Pontine Marshes. Fritz Todt celebrated Aryan technocratic power in his construction of autobahns and later the Atlantic Wall. Irene Guenther is quoted extolling 'Nazi Chic' with fashion displaying “another countenance, one that was intensely modern, technologically advanced, supremely stylized and fashionably stylish” and the Bauhaus influence on the new, burgeoning market in consumer durables is emphasised. Unlike previous historians of fascism with their simplistic and inflexible frameworks, Griffin admirably demonstrates that “fascism, despite the connotations of regression, reaction and flight from modernity it retains for some academics, is to be regarded as an outstanding form of political modernism”, encapsulating a “deadly serious attempt to realize an alternative logic, an alternative modernity and an alternative morality to those pursued by liberalism, socialism or conservatism”.
Ambition
Griffin is well aware of the boldness and ambition of his arguments. “Post-modern” academia is notoriously hostile to transdisciplinarity and historians today are loath to erect grand structures of interpretation and meaning. Few historians are less fashionable than Oswald Spengler, or even Samuel 'Clash of Civilizations' Huntington. Griffin is well aware of this problem, and in the introduction he specifically places MODERNISM AND FASCISM within the context of 'Aufbruch' (a breaking out of conventions). For this reason Griffin's style is reflexive: he is conscious of the fact that in proposing a new syncretic historical worldview he is in some ways mirroring the dynamics of fascism itself. Of course, European Identitarians and New Rightists will have no problem with the concept of evolutionary synthesis (it's no accident that one of the principal English-language New Right websites is called Synthesis), nevertheless Griffin is correctly keen to show and stress that his work is non-totalizing. Overall his style is extremely lucid and arguments that may appear at first to be mere flights of fancy are revealed as having firm foundations, unlike the convoluted, almost impenetrable and until recently-fashionable critical theory style of, say, Andrew Hewitt's POLITICAL INVERSIONS: Homosexuality, Fascism and the Modernist Imaginary (1996) or the late Lacoue-Labarthe's HEIDEGGER, ART AND POLITICS (1990).
The sky is falling on our heads
At the end of his book, Griffin draws attention to a BBC News report from September 1998. “The sky is falling” it announces dramatically (shades of Asterix and Obelix here) “The height of the sky has dropped by 8km in the last 38 years, according to scientists from the British Antarctic Survey. Greenhouse gasses like carbon dioxide are believed to be responsible for creating the effect.” He goes on to speculate, “Had Nietzsche been philosophizing at the beginning of the twenty-first century instead of the end of the nineteenth, amidst Swiss glaciers shrivelling under skies where the abstract art of vapour trails punctures illusions of transcending Good and Evil, maybe he would have 'rethought all his ideas' in a different, greener 'framework'. Instead of railing against the advent of 'nihilism', 'decadence' and 'the last man', he might have realized that the time for any sort of 'eternal return' is rapidly running out in a literal, not symbolic sense.” In the intervening 9 years since that ominous BBC report, our carbon emissions have escalated tremendously while our climate has deteriorated further, thanks to global capitalism, free market economics, liberalism, population increase, mass migration across borders and above all the profound weakness and myopia in confronting the issue which is inherent to liberal democracies. We need to get a grip.
*not the frivolous, glamourized Sally Bowles Weimar “decadence” that the word conjures up in the minds of many gay men, but rather the very real awareness of decay; that all our greatest achievements as a civilization – the Renaissance, the Age of Discovery, the Moonshots – are behind us.
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SYNERGIES en Allemagne: pourquoi?
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996
SYNERGIES en Allemagne: pourquoi?
Une mise au point du Président Mark Lüdders
Quand on lui posait la question de savoir si la “droite” allemande avait un avenir, le non-conformiste Günter Maschke répondait brièvement et sèchement: “Pas pour le moment”. Et il poursuivait en expliquant pourquoi son pronostic était si négatif. Parce que le niveau intellectuel de ces droites était tout simplement misérable. Maschke a donné cette réponse à Junge Freiheit et à Vouloir en 1991. Son jugement n'a pas dû se modifier considérablement depuis lors. Tout porte à croire qu'il doit même être plus pessimiste encore à l'heure qu'il est.
En effet, on peut aisément constater que les droites allemandes se sont intellectuellement repliées sur des positions datant du siècle dernier, celui du bon vieil Etat-Nation. On s'encroûte dans ses manies, on quitte la ville pour s'installer dans une campagne soi-disant “vierge” de toutes compromissions avec la modernité, on sombre dans le solipsisme, on se plaint, on attend que cette situation si terrible infligée au pays par la défaite de 1945 prenne fin... Ces reclus et ces figés connaissent leurs ennemis: l'ordinateur, émanation de l'âge du Mal, le paprika que consomment les citadins et qui ne pousse pas en terre germanique (et ne peut donc être consommé sous peine de sombrer dans un état de péché mortel), la science qui n'est jamais qu'un résultat des Lumières, gauchistes avant la lettre, et “maçonniques” de surcroît... De Frédéric Nietzsche, ils ne connaissent que le nom, ont oublié celui d'Arnold Gehlen, ne s'intéressent plus aux travaux de Lorenz et de son école d'épistémologie biologique, ignorent bien entendu les leçons de Zinoviev et de De Felice, d'Oakshott et d'Ortega y Gasset, de Huizinga et de Maffesoli: tous des étrangers...
Ce petit monde replié sur lui-même est toutefois convaincu de deux choses: les Juifs (toujours eux!) contrôlent tout dans le monde, et les Polonais occupent les provinces orientales de l'Allemagne qui doivent nous revenir. Quand les Juifs cesseront de tout contrôler et que Breslau, Stettin, Dantzig, etc. redeviendront pleinement allemandes, tout ira bien entendu mieux dans le meilleur des mondes... Force est de constater qu'une bonne partie des droites allemandes a complètement perdu le sens des réalités politiques et n'a plus qu'une culture politique fragmentaire et lacunaire, assortie de phobies inexplicables qui les empêchent de sortir de leur ghetto.
Face à ces droites repliées sur elles-mêmes, nous avons des droites qui se sont ancrées —ou cherchent à s'ancrer— dans l'ordre fondamental de la démocratie libérale: elles tentent d'entrer en dialogue avec l'établissement, afin de changer graduellement la société et en espérant qu'elles obtiendront finalement le pouvoir politique à haut niveau ou une parcelle importante de celui-ci. Mais en visant cet objectif fort lointain, ces droites-là oublient leurs positions idéologiques et axiologiques de base et snobent leur clientèle au parler plus cru et aux aspirations plus directes. Elles ne comprennent pas que la “méchante” oligarchie dominante ne s'intéresse pas à elles, mais ne vise que le maintien de ses postes, fonctions, statuts et positions et qu'elle dosera toujours savamment ses compromis pour rester au pouvoir et ne concéder que d'infimes parcelles de “pouvoir” purement décoratif, en marge des décisions politiques réelles. Ces droites-là tentent à tout bout de champ de redéfinir les concepts, s'engluent dans des discussions interminables visant à ménager la chèvre et le chou, finissent par prétendre qu'elles seules respectent le principe de la liberté d'expression et sont en droit de détenir le label de “véritable libéralisme”. Ces droites-là pèchent également par naïveté: elles ne voient pas, ou refusent de voir, que l'idéologie libérale n'est plus ce qu'elle était au XIXième siècle, qu'elle n'est plus l'expression d'une bourgeoisie cultivée et entreprenante, mais qu'elle est un instrument de domination subtil ou une illusion progressiste agressive que l'on appelle la “permissivité”. En spéculant sur un libéralisme (conservateur et tocqueviellien) qui n'existe plus, ces droites se retranchent elles aussi dans des anachronismes du XIXième siècle. Elles demeurent certes “morales” ou “irréprochables” aux yeux de l'idéologie dominante, mais sur le plan politique ou sur le plan intellectuel, elles sont tout à fait inoffensives. Surtout parce qu'elles ne tentent même pas de construire une véritable alternative à l'idéologie dominante: elles demeurent obnubilées par leur souci d'être jugées “conformes à la constitution”.
Mais le paysage idéologico-politique allemand connaît tout de même quelques exceptions positives. Il faut mentionner ici les efforts des nationaux-révolutionnaires des années 70 qui ont eu l'intelligence et le courage de jeter les premiers ponts entre le savoir scientifique contemporain et une vision du monde alternative. Si, dans les droites, on a pu apercevoir deci-delà quelques modernisations dans le discours, c'est à cette petite phalange d'idéologues audacieux qu'on le doit. Mais ces hommes n'ont été qu'une poignée: une partie d'entre eux se sont malheureusement fondus dans les droites recluses ou “entristes”, une autre partie s'est retirée de tout, écœurée; si bien que nous n'avons plus en Allemagne qu'un tout petit groupe d'intellectuels combattifs et toujours non-conformistes...
Devant ce triste bilan des agitations des droites allemandes, disons que la “Révolution Conservatrice” de l'entre-deux-guerres avait appliqué à la perfection le mot-d'ordre de Schiller (“Vis avec ton siècle, mais n'en sois pas la créature”) mais qu'après cette formidable révolution intellectuelle, sur laquelle le monde entier se penche encore aujourd'hui, les droites allemandes sont entrées en une profonde léthargie, ont raté lamentablement leur connexion aux nouveaux impératifs scientifiques ou philosophiques.
Cet échec est un défi pour les jeunes qui refusent tant les schémas de la droite recluse que ceux de la droite alignée. Ces jeunes sont là, leur nombre croît, mais ils n'ont ni tribune ni organisation. Ils perçoivent l'étroitesse d'esprit des uns et l'opportunisme des autres. Ils veulent rester dans la société civile, dans la société réelle, bref dans le peuple, mais sans perdre leur ouverture d'esprit. Ils veulent influencer la société sans vénérer les vieilles lunes en place et sans sacrifier aux lubies du libéralisme permissif. Dans les circonstances actuelles du paysage politique allemand, ces jeunes révolutionnaires constructifs, disséminés dans toute la société civile, ne rassemblent pas leurs forces, ne mettent pas leurs énergies en commun pour atteindre un objectif bien défini: ils restent éparpillés dans de petites organisations sans envergure et demeurent isolés (ce que l'idéologie et le pouvoir dominants attendent d'eux). C'est à cette carence qu'entend répondre une organisation comme SYNERGON. En effet, SYNERGON veut construire une communauté de pensée, bâtir une plate-forme pour tous ceux qui luttent isolément, rassembler les jeunes qui réclament l'avènement d'une droite ouverte aux idées nouvelles et qui veulent collaborer activement avec leurs homologues de tous les pays d'Europe. Car il faut mettre fin à cette diabolisation xénophobique des autres Européens: il faut aller au devant d'eux pour apprendre leurs recettes, pour élargir nos propres horizons.
Un tel échange à l'échelle continentale animera et fécondera tous les “révolutionnaires-conservateurs” d'Europe: les Allemands pourront ainsi tirer profit de la flexibilité intellectuelle de leurs amis italiens, étudier plus profondément les legs de la pensée philosophique française de ces dernières décennies (Deleuze, Guattari, Foucault, Rosset, Maffesoli, etc.), découvrir les filons conservateurs-révolutionnaires des Russes, etc. Par ailleurs, Français, Italiens, Ibériques et Russes, épaulés par les Allemands, pourront plonger plus directement dans les méandres de la “Révolution conservatrice” qui alimente encore tous les discours innovateurs de notre temps. Une invention allemande comme le mouvement de jeunesse (des Wandervögel à la Freideutsche Jugend et aux expériences plus audacieuses et plus étonnantes des années 20) pourra apprendre aux autres Européens à vivre plus concrètement leurs idéaux et à les transmettre en dehors de la seule sphère intellectuelle. De plus, l'écologie politique organique, donc révolutionnaire-conservatrice, qui est une idée allemande, pourra être communiquée à tous les cercles intéressés d'Europe.
Le grand défi qui nous attend, nous les synergétistes de tous les pays qui appellent à l'unité, c'est de forger de concert une Weltanschauung qui soit réellement en prise avec notre temps, qui soit aussi éloignée de tout dogmatisme, de tout esprit partisan, qui puisse inclure et exploiter les résultats des recherches scientifiques les plus neuves, afin d'offrir à la société civile une alternative réelle et praticable à l'idéologie dominante, instrumentalisée par le pouvoir.
Pour obtenir un résultat tangible, nous devons donc échanger des idées au-delà des frontières en Europe, débattre, comparer des positions en apparence différentes voire irréconciliables. SYNERGON est le seul mode d'action commune qui puisse à l'heure actuelle répondre à ce défi. SYNERGON ne se pose pas d'emblée comme le concurrent d'autres organisations: nous ne cherchons pas à absorber ou à détruire ou à phagocyter des partis, des cercles ou des clubs déjà existants, mais nous voulons tout simplement animer un centre de coordination et de coopération.
Notre espoir est de réussir bien entendu, d'abord en établissant SYNERGON en Allemagne, afin que Günter Maschke puisse envisager l'avenir avec davantage d'optimisme.
Mark LÜDDERS.
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mercredi, 23 septembre 2009
Terre & Peuple Magazine n°40
Terre & Peuple Wallonie - Communiqué
TERRE &PEUPLE Magazine n°40
Le thème du numéro 40 du T&P Mag est ‘Notre Europe’, l’Europe des peuples. Sous le titre ‘L’orage monte’, Pierre Vial avertit contre la guerre que les services américains présentent comme inévitable avec un Iran où ils aimeraient refaire leur coup des révolutions ‘oranges’. Dans le même temps, ils programment la colonisation pacifique de l’Europe par l’islam. En attendant la phase militaire.
M. Alain épingle la découverte par deux chercheurs canadiens d’une corrélation entre l’environnement favorable à l’épanouissement d’un enfant et la taille de son cerveau, déterminante pour le développement de son intelligence.
Pierre Vial, à propos de l’importance du facteur ethnique, souligne les ennuis que la Chine rencontre avec les Ouïgours musulmans et turcophones dans l’ancien Turkestan oriental où sont importées des masses de Chinois Han. Pékin impute les émeutes à la diaspora ouïgour américaine.
Emmanuel Ratier relève que Jovia Stanisic, chef de la sûreté serbe, a été ‘blanchi’ devant le Tribunal de La Haye des préventions de crime contre l’Humanité, la CIA ayant révélé que le ‘vrai cerveau du régime Milosevic’ était un homme à elle !
Jean Haudry présente son dernier ouvrage ‘La triade pensée-parole-action dans la tradition indo-européenne’. Dans une variante, le corps (ou une de ses composantes) tient lieu d’action et, dans une autre, la vue tient la place de la pensée, chacun de ces cinq termes étant ensuite étroitement lié au feu. A partir du feu de la parole, le feu est à l’origine du théâtre, avec Agni (en Inde) et avec Dionysos (en Grèce).
Pour ouvrir le dossier ‘Notre Europe’, Pierre Vial remarque que nombre d’Européens, rebutés par l’Europe de Bruxelles sont tentés de rejeter jusqu’à l’idée d’Europe. D’où l’importance de claires définition et délimitation du concept.
Il interroge d’abord l’ami Robert Spieler, délégué général de la NDP, qui prône une Europe de la puissance. Pour celui-ci, si Rome a bien été assassinée par le christianisme, ce dernier s’est ensuite laissé européaniser et Celse n’aurait pas condamné celui des croisades et de la Reconquista. La révolution française, facteur décisif de la décadence européenne, a remplacé la nation incarnée dans le Roi par l’Etat-nation désincarné, par le chauvinisme de qui vont être allumées les guerres civiles européennes. L’Europe de la puissance ne peut se concevoir que comme partenaire de la Russie, car le protectionnisme n’est efficient qu’à l’échelle d’un continent.
Pour définir ‘l’Europe et ses frontières’, Alain Cagnat s’étend, dans une contribution magistrale, sur rien moins qu’un quart de la revue. Il rappelle la vision des ‘pères fondateurs’ Schumann-Monet, réductrice de l’Europe à la minuscule extrémité du continent eurasiatique et à deux branches de l’activité économique dans un marché libéral et pacifique. Les critères de Copenhague la confirment comme une communauté de valeurs universelles, plutôt que comme communauté de destins. D’autant plus sûrement que, s’élargissant, elle souffre déjà d’indigestion, alors que les plus illuminés la voient s’étendre à la planète entière, conformément à la vision stratégique des administrations américaines successives. Mais cette Union n’est qu’un nain sur le plan de sa défense, car elle y affecte (en % du PIB) loin de la moitié de ce qu’y consacrent les Etats-Unis et la Turquie et à peine moins que les épouvantails russes et chinois. Contre lesquels on prétend la protéger, quand ce n’est pas l’entraîner dans des guerres hasardeuses.
L’Union européenne a usurpé l’idée européenne pour devenir une machine à broyer les peuples européens pour le compte de leur prédateur américain, lequel se dissimule derrière l’imposture de l’Occident. Historiquement, l’occident est né de la scission de l’Empire romain en un Empire d’orient et un Empire d’occident. Ce dernier va digérer difficilement les grandes invasions germaniques durant la lente gestation du moyen âge, durant lequel l’Empire d’orient connaît un essor resplendissant, jusqu’au séisme du schisme des églises romaine et orthodoxe, en 1054, et surtout jusqu’au sac de Constantinople, en 1204, commandité par les marchands vénitiens. Ce ne sera qu’après la chute de Byzance en 1453 que, l’Europe orientale tombant sous la botte ottomane, la civilisation européenne s’identifie à l’occident.
Le basculement vers le monde anglo-saxon a lieu en 1945, lorsque le ‘monde libre’ oppose au ‘monde communiste’ un système de valeurs universelles qu’il prétend ‘indépassable’et qui va exercer une véritable dictature de l’esprit. Celle-ci va de pair avec l’hypocrisie (un fossé sépare les principes proclamés et les actes) et le double langage, dérives que dénonce même Samuel Huntington, dans son fameux ‘Choc des civilisations’. Dans le même temps, la Russie est rejetée dans l’arriération et la barbarie et, quand le monde orthodoxe se défend contre le terrorisme islamiste, on l’accuse même de provoquer un occident réservé aux protestants et aux catholiques. Réserve qui y inclut les Croates et les Polonais, mais qui en exclut Grecs, Serbes et Bulgares et coupe l’Ukraine en deux ! Alors qu’il saute aux yeux que les catholiques sont plus proches des orthodoxes que des protestants, lesquels comme les musulmans s’interdisent toute représentation du divin. En réalité, la distinction est un artifice géopolitique des thalassocraties anglo-saxonnes, pour contenir la menace que représente pour elles le vieux continent, en particulier la Russie qu’on empêche de s’allier à l’Europe, en la rejetant dans une prétendue barbarie.
Au sud de l’Europe, la Mer méditerranée est tout sauf une frontière. Elle est bien plutôt une porte par où s’engouffrent la multitude afro-maghrébine, avec l’islam qui en est le glaive. L’UPM (Union pour la Méditerranée) de Sarkhozy, prix de consolation à la Turquie, regrouperait cinquante-sept pays, mais pas la Russie ! Et elle servirait de nouvel accélérateur à la sacro-sainte immigration. La simple constatation de l’ampleur de celle-ci suffit à rendre infréquentable aux yeux des nouveaux prophètes mondialistes, qui veulent faire de l’Europe « un ensemble affranchi de toute identité ». L’ONU prévoit pour sa part d’en faire « la principale zone d’immigration du monde », avec 1,3 milliards d’habitants d’ici à 2050 !
Le péril de l’immigration est décuplé par l’islam, à l’égard de qui les responsables européens sont d’une lâcheté ignoble, feignant d’ignorer sa maxime usuelle ‘Baise la main que tu ne peux couper’. Alors que nos prisons sont des pépinières d’islamistes haineux, les traîtres sont déjà empressés de leur remettre les clés de leurs citadelles et proclament : « Les racines de l’Europe sont autant musulmanes que chrétiennes » (Chirac) et « Les musulmans sont une chance que les Européens doivent saisir » (Semprun). Pour leur part, les musulmans sont tranquillement certains qu’ils feront régner sous peu la charia sur les vieilles terres européennes.
A en croire Huntington, l’Europe orientale, et la Russie sur qui Byzance a rayonné durant onze siècles et qui est appelée à lui succéder (Moscou est la Troisième Rome, depuis que la fille du dernier Empereur Constantin XI Paléologue a épousé le Grand Duc de Kiev), n’aurait rien en commun avec l’Europe occidentale, à la seule exception de l’héritage gréco-romain, vu sous le prisme byzantin. C’est s’obnubiler sur l’importance du protestantisme et gommer sans plus Pierre le Grand, Catherine II et les philosophes, l’art et la littérature russes, et le bouclier qu’ont constitué durant des siècles pour les autres Européens les Russes et les Polonais contre les poussées asiatiques.
Pour ce qui est de l’intrusion de la Turquie dans l’Europe, le loup américain est sorti du bois, avec les injonctions à l’Union européenne de George Bush Jr (« La Turquie appartient à l’Europe ») et d’Obama. Alors que, au fil des siècles, elle s’est toujours manifestée comme un prédateur féroce et qu’elle a sans timidité poursuivi dans cette ligne avec Chypre, avec les Arméniens et avec les Kurdes.
A la différence de l’Oural, le Caucase est une véritable frontière européenne, avec l’embarras que les peuples caucasiens sont mélangés, Indo-européens chrétiens ou musulmans (Russes, Ossètes, Arméniens) et Caucasiens chrétiens (Géorgiens) et ne se trouvent pas toujours du bon côté de la chaîne. Pour la Russie, le poids historique de la Transcaucasie est trop important pour que Moscou puisse se retenir d’être ferme.
Il faut se souvenir que le peuplement de l’Europe s’est fait en trois phases : les peuples des mégalithes (dont ils ont couvert le continent de l’Irlande à Malte et du Portugal à la Scandinavie) ; ensuite les Caucasiens ou proto-basques, Alpins, Dinariques et Méditerranéens ; et enfin les Indo-européens, avec une vague italique suivie d’une vague barbare, celto-germanique et slave. L’identité de ces derniers, tangible dans leur culture, leurs arts plastiques, leur littérature et leur musique, les a toujours placés à l’égard des arabo-musulmans et des ottomans dans des rapports de force. Que leur paganisme ait cédé devant une religion orientale monothéiste est un fait mystérieux, bien que le christianisme s’y soit souplement superposé, reprenant ses fêtes et transformant ses héros en saints. A côté de racines gréco-romaines et bibliques, l’Europe a de puissantes racines barbares. Elle se confond jusqu’au XVIe siècle avec la chrétienté. Mais, avec la colonisation, l’Eglise catholique a retrouvé sa vocation mondialiste, à la différence de l’Eglise orthodoxe, russe, serbe, grecque, bulgare, qui est restée identitaire. Les racines chrétiennes de l’Europe ne sont donc que des racines parmi d’autres, mais il est significatif de constater que ce sont ceux-là mêmes qui lui refusent des racines chrétiennes qui lui en attribuent des musulmanes !
Conclusion : l’utopie de l’Eurosibérie est le seul espoir de survie des Européens.
Jean-Gilles Malliarakis promet que la pression turque va se renforcer sur le Parlement européen, où la gauche menée par Cohn-Bendit trouve face à elle diverses droites en principe hostiles à l’adhésion, malgré ses réseaux unanimement pro-turcs, malgé un Sarkhozy qui s’est dit défavorable, avec une perfide Albion, qui désire l’adhésion, et une présidence suédoise favorable, coachées par Obama et Mme Clinton. L’ami Mallia, Européen plus grec que nature, est contre bien sûr !
Sous le titre ‘L’Europe blanche’, Pierre Vial souligne que la mort voulue de l’Europe consiste bien à l’amener à trahir à son sang, en persuadant l’homme européen qu’il est ‘coupable de ce qu’il est’ (Guillaume Faye), qu’il a une dette à payer et qu’il s’en acquittera d’abord en se métissant. A ceux qui propagent ce sida mental, l’auteur dédie ce passage d’un chant de Lansquenets : « Un jour viendra où les traîtres paieront. » Il rappelle que la race européenne est très précisément définie dans de nombreux traités d’anthropologie. Seule la conscience de cette identité peut constituer le front commun contre l’invasion. Mais la simple évocation de cette réalité est une entreprise à haut risque. Pour la première fois depuis des millénaires, les peuples européens ne règnent plus sur leur propre espace. (Dominique Venner). Dénoncer la trahison que Platon qualifie de crime est devenu suspect, comme est suspect de citer Aristote qui avertit que l’absence de communauté ethnique est facteur de sédition politique. La fin de Rome est venue avec l’oubli de la loi du sang, quand saint Paul, qui se flatte d’être né dans un famille juive au sang pur, peut se réclamer de la citoyenneté romaine. Ce que l’Edit de Caracalla accorde en 212 à tous les habitants de l’Empire. Il faudra la menace d’Attila (451) pour réveiller la communauté de sang des Gallo-Romains et des Germains face aux Asiatiques, synthèse heureuse qui fait naître l’Europe du moyen âge. Et la menace du djihad pour fédérer, en 732, les Europenses de sang sous un chef franc Charles Martel. Et de citer Disraëli, premier ministre juif de la Reine Victoria : « La race est tout ; il n’existe pas d’autre vérité et toute race doit périr qui abandonne son sang à des mélanges. » Ce qui est le principe même du racialisme qui, au contraire d’être raciste, vise le respect mutuel de chaque race sur sa terre propre. Alors que la société multiraciale est inévitablement une société multiraciste.
C’est sur deux expériences de la pédagogie de Rudolf Steiner que se clôture ce numéro. Une pédagogie qui prône une approche différenciée selon le tempérament de l’enfant. Une pédagogie qui attend du maître qu’il trouve son ‘mode artiste’, en sachant se faire aux circonstances et à ses élèves. Le classement des steinériens au nombre des sectes est le fait de l’ignorance, sinon de la malveillance et du sectarisme. Si l’école Steiner est réservée à l’égard du consumérisme (usage immodéré de la télé par les enfants), elle est attentive à ne pas retrancher ceux-ci du corps social.
On notera encore la recension du dernier livre de Dominique Venner : ‘Ernst Jünger, un autre destin européen’, paru aux éditions du Rocher.
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dimanche, 20 septembre 2009
D. Venner: Vous avez dit autochtone?
Dominique VENNER:
Vous avez dit autochtone ?
Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Je songeais à cet adage en lisant récemment la longue diatribe publique d’un helléniste à la retraite (1). Jouissant d’un statut privilégié en France même et aux Etats-Unis où il enseigna dans une université réputée, l’excellent professeur se moquait en terme choisis de ses compatriotes qui se veulent « autochtones », c’est-à-dire, comme le dévoile l’étymologie grecque, nés d’eux-mêmes, d’un même sang et d’une même terre.
« Au milieu du Ve siècle avant notre ère, écrit-il, une petite cité-village de l’Hellade a été frappée par le virus de l’ “hypertrophie du moi”, une épidémie redoutable », ajoute l’émérite professeur. Jugez-en : cette épidémie « a conduit là-bas à instituer une cérémonie annuelle où un orateur, expert en oraisons funèbres, célébrait devant les cercueils des morts à la guerre la gloire immémoriale des Athéniens. » Quelle idée saugrenue, en effet, que de célébrer les morts à la guerre et la gloire de la cité ! Cette inquiétante « hypertrophie du moi » a même conduit les Athéniens à édifier quelques négligeables monuments de marbre, tel le Parthénon, qui ont résisté aux millénaires et aux invasions, faisant toujours l’admiration des sots que nous sommes. Elle les a conduit aussi à édifier d’autres monuments tout aussi négligeables, ceux de l’esprit (transmission des poèmes homériques, invention de la philosophie, du théâtre tragique et de l’enquête historique), dont nous vivons encore, ce dont s’étonne le curieux helléniste que nous citons. Tout cet héritage est en effet désolant.
Et quel exemple déplorable ! « Les historiens (français), dès les années 1880, se mettent à écrire une Histoire de la France, née d’elle-même. » Un scandale, vraiment ! Et ce n’est pas tout. « Quant aux religieux qui avaient inventé au XIIe siècle le “cimetière chrétien”, excluant les juifs, les infidèles, les étrangers et autres mécréants, ils continuent à entretenir, d’une République à la suivante, la croyance que nous sommes les héritiers des morts, de nos morts précisément, et depuis la préhistoire. De “grands historiens” (on appréciera les guillemets) s’en portent garants. » Quelle tristesse ! A en croire notre universitaire retraité, en France, l’idée de l’identité nationale – qui nous vient donc d’Athènes et de la Grèce antique – serait dans l’air du temps. Cette révélation le plonge dans l’affliction. Quelle ineptie en effet, alors que le flux mondial ascendant des échanges financiers, dont on connaît les bienfaits, incite au contraire à se sentir, comme il le dit lui-même, « nomade ». Naturellement il est facile d’être « nomade » quand on est assuré de ne voyager que par les beaux quartiers du monde entier, tous frais remboursés, entouré de l’attention prévenante de nombreux préposés à votre confort et à votre sécurité. Sans doute les derniers Français « autochtones » qui n’ont pu, faute de moyens ou de chance, s’échapper par exemple de Villiers-le-Bel depuis les émeutes de novembre 2007 aimeraient-ils aussi être des « nomades » de ce type. Mais leur condition de pauvres, de vieillards ou d’ « autochtones » abandonnés, le leur interdit. Et pourtant, quel joli nom, si l’on y songe que Villiers-le-Bel. Un nom «autochtone», dont l’épithète résonne désormais avec une ironie cruelle. Pourquoi, direz-vous, un tel discours ? Réponse : parce que l’historien doit aussi prendre date et ne pas être aveugle à ce qui se fait sous ses yeux. C’est ce que nous a enseigné Marc Bloch, contemporain et victime du désastre de 1940. Il a reconnu que ses travaux l’avaient conduit à ignorer l’importance des événements de son temps. « C’était mal interpréter l’histoire… Nous avons préféré nous confiner dans la craintive quiétude de nos ateliers… Avons-nous toujours été de bons citoyens ? (2) » Je ne peux cacher qu’un tel précédent ne me laisse pas indifférent. Et si l’on n’est pas complètement idiot, une question surgit : pourquoi le désir d’identité (être conscient de ce que l’on est dans toute l’épaisseur de son existence, parmi ceux qui vous ressemblent), oui, pourquoi ce désir serait-il louable chez les Noirs américains, les Chinois, les Arabes, les Israéliens, les Ouïgours, les Turcs ou les Gabonais, mais condamnable chez les Européens et les Français ? Voilà bien une question qu’il faudrait un jour élucider.
Dominique Venner
1.Marcel Detienne, dans Le Monde des 12-13 juillet 2009, sous le titre : La France sans terre ni mort.
2. Marc Bloch, L’Etrange défaite, Editions Francs Tireurs, 1946, p. 188. On sait que, s’étant repenti de son abstention précédente, le grand historien s’est engagé dans la Résistance. Capturé, il a été fusillé en juin 1944.
Source : Dominique Venner [1]
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vendredi, 18 septembre 2009
Etre rebelle selon Dominique Venner
Être rebelle selon Dominique Venner
Je me demande surtout comment on pourrait ne pas l’être ! Exister, c’est combattre ce qui me nie. Etre rebelle, ce n’est pas collectionner des livres impies, rêver de complots fantasmagoriques ou de maquis dans les Cévennes. C’est être à soi-même sa propre norme. S’en tenir à soi quoi qu’il en coûte. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préferer se mettre tout le monde à dos que se mettre à plat ventre. Pratiquer aussi en corsaire et sans vergogne le droit de prise. Piller dans l’époque tout ce que l’on peut convertir à sa norme, sans s’arrêter sur les apparences. Dans les revers, ne jamais se poser la question de l’inutilité d’un combat perdu.
Dominique Venner
Source : Recounquista [1]
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lundi, 14 septembre 2009
L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
Robert Steuckers:
L'influence de Henri Lefèbvre sur Guillaume Faye
Indubitable et déterminante est l'influence de Henri Lefebvre sur l'évolution des idées de Guillaume Faye; Henri Lefebvre fut un des principaux théoriciens du PCF et l'auteur de nombreux textes fondamentaux à l'usage des militants de ce parti fortement structuré et combatif. J'ai eu personnellement le plaisir de rencontrer ce philosophe ex-communiste français à deux reprises en compagnie de Guillaume Faye dans la salle du célèbre restaurant parisien “La Closerie des Lilas” que Lefebvre aimait fréquenter parce qu'il avait été un haut lieu du surréalisme parisien du temps d'André Breton. Lefebvre aimait se rémémorer les homériques bagarres entre les surréalistes et leurs adversaires qui avaient égayé ce restaurant. Avant de passer au marxisme, Lefebvre avait été surréaliste. Les conversations que nous avons eues avec ce philosophe d'une distinction exceptionnelle, raffiné et très aristocratique dans ses paroles et ses manières, ont été fructueuses et ont contribué à enrichir notamment le numéro de Nouvelle école sur Heidegger que nous préparions à l'époque. Trois ouvrages plus récents de Lefebvre, postmarxistes, ont attiré notre attention: Position: contre les technocrates. En finir avec l'humanité-fiction (Gonthier, Paris, 1967); Le manifeste différentialiste (Gallimard, Paris, 1970); De L'Etat. 1. L'Etat dans le monde moderne, (UGE, Paris, 1976).
Dans Position (op. cit.), Lefebvre s'insurgeait contre les projets d'exploration spatiale et lunaire car ils divertissaient l'homme de “l'humble surface du globe”, leur faisaient perdre le sens de la Terre, cher à Nietzsche. C'était aussi le résultat, pour Lefebvre, d'une idéologie qui avait perdu toute potentialité pratique, toute faculté de forger un projet concret pour remédier aux problèmes qui affectent la vie réelle des hommes et des cités. Cette idéologie, qui est celle de l'“humanisme libéral bourgeois”, n'est plus qu'un “mélange de philanthropie, de culture et de citations”; la philosophie s'y ritualise, devient simple cérémonial, sanctionne un immense jeu de dupes. Pour Lefebvre, cet enlisement dans la pure phraséologie ne doit pas nous conduire à refuser l'homme, comme le font les structuralistes autour de Foucault, qui jettent un soupçon destructeur, “déconstructiviste” sur tous les projets et les volontés politiques (plus tard, Lefebvre sera moins sévère à l'égard de Foucault). Dans un tel contexte, plus aucun élan révolutionnaire ou autre n'est possible: mouvement, dialectique, dynamiques et devenir sont tout simplements niés. Le structuralisme anti-historiciste et foucaldien constitue l'apogée du rejet de ce formidable filon que nous a légué Héraclite et inaugure, dit Lefebvre, un nouvel “éléatisme”: l'ancien éléatisme contestait le mouvement sensible, le nouveau conteste le mouvement historique. Pour Lefebvre, la philosophie parménidienne est celle de l'immobilité. Pour Faye, le néo-parménidisme du système, libéral, bourgeois et ploutocratique, est la philosophie du discours libéralo-humaniste répété à l'infini comme un catéchisme sec, sans merveilleux. Pour Lefebvre, la philosophie héraclitéenne est la philosophie du mouvement. Pour Faye, —qui retrouve là quelques échos spenglériens propres à la récupération néo-droitiste (via Locchi et de Benoist) de la “Révolution Conservatrice” weimarienne— l'héraclitéisme contemporain doit être un culte joyeux de la mobilité innovante. Pour l'ex-marxiste et ex-surréaliste comme pour le néo-droitiste absolu que fut Faye, les êtres, les stabilités, les structures ne sont que les traces du trajet du Devenir. Il n'y a pas pour eux de structures fixes et définitives: le mouvement réel du monde et du politique est un mouvement sans bonne fin de structuration et de déstructuration. Le monde ne saurait être enfermé dans un système qui n'a d'autres préoccupations que de se préserver. A ce structuralisme qui peut justifier les systèmes car il exclut les “anthropes” de chair et de volonté, il faut opposer l'anti-système voire la Vie. Pour Lefebvre (comme pour Faye), ce recours à la Vie n'est pas passéisme ou archaïsme: le système ne se combat pas en agitant des images embellies d'un passé tout hypothétique mais en investissant massivement de la technique dans la quotidienneté et en finir avec toute philosophie purement spéculative, avec l'humanité-fiction. L'important chez l'homme, c'est l'œuvre, c'est d'œuvrer. L'homme n'est authentique que s'il est “œuvrant” et participe ainsi au devenir. Les “non-œuvrants”, sont ceux qui fuient la technique (seul levier disponible), qui refusent de marquer le quotidien du sceau de la technique, qui cherchent à s'échapper dans l'archaïque et le primitif, dans la marginalité (Marcuse!) ou dans les névroses (psychanalyse!). Apologie de la technique et refus des nostalgies archaïsantes sont bel et bien les deux marques du néo-droitisme authentique, c'est-à-dire du néo-droitisme fayen. Elles sortent tout droit d'une lecture attentive des travaux de Henri Lefebvre.
Dans Le manifeste différentialiste, nous trouvons d'autres parallèles entre le post-marxisme de Lefebvre et le néo-droitisme de Faye, le premier ayant indubitablement fécondé le second: la critique des processus d'homogénéisation et un plaidoyer en faveur des “puissances différentielles” (qui doivent quitter leurs positions défensives pour passer à l'offensive). L'homogénéisation “répressive-oppressive” est dominante, victorieuse, mais ne vient pas définitivement à bout des résistances particularistes: celles-ci imposent alors malgré tout une sorte de polycentrisme, induit par la “lutte planétaire pour différer” et qu'il s'agit de consolider. Si l'on met un terme à cette lutte, si le pouvoir répressif et oppresseur vainc définitivement, ce sera l'arrêt de l'analyse, l'échec de l'action, le fin de la découverte et de la création.
De sa lecture de L'Etat dans le monde moderne, Faye semble avoir retiré quelques autres idées-clefs, notamment celle de la “mystification totale” concomitante à l'homogénéisation planétaire, où tantôt l'on exalte l'Etat (de Hobbes au stalinisme), tantôt on le méconnaît (de Descartes aux illusions du “savoir pur”), où le sexe, l'individu, l'élite, la structure (des structuralistes figés), l'information surabondante servent tout à tour à mystifier le public; ensuite l'idée que l'Etat ne doit pas être conçu comme un “achèvement mortel”, comme une “fin”, mais bien plutôt comme un “théâtre et un champ de luttes”. L'Etat finira mais cela ne signifiera pas pour autant la fin (du politique). Enfin, dans cet ouvrage, Faye a retenu le plaidoyer de Lefebvre pour le “différentiel”, c'est-à-dire pour “ce qui échappe à l'identité répétitive”, pour “ce qui produit au lieu de reproduire”, pour “ce qui lutte contre l'entropie et l'espace de mort, pour la conquête d'une identité collective différentielle”.
Cette lecture et ces rencontres de Faye avec Henri Lefebvre sont intéressantes à plus d'un titre: nous pouvons dire rétrospectivement qu'un courant est indubitablement passé entre les deux hommes, certainement parce que Lefebvre était un ancien du surréalisme, capable de comprendre ce mélange instable, bouillonnant et turbulent qu'était Faye, où se mêlaient justement anarchisme critique dirigé contre l'Etat routinier et recours à l'autorité politique (charismatique) qui va briser par la vigueur de ses décisions la routine incapable de faire face à l'imprévu, à la guerre ou à la catastrophe. Si l'on qualifie la démarche de Faye d'“esthétisante” (ce qui est assurément un raccourci), son esthétique ne peut être que cette “esthétique de la terreur” définie par Karl Heinz Bohrer et où la fusion d'intuitionnisme (bergsonien chez Faye) et de décisionnisme (schmittien) fait apparaître la soudaineté, l'événement imprévu et impromptu, —ce que Faye appelait, à la suite d'une certaine école schmittienne, l'Ernstfall— comme une manifestation à la fois vitale et catastrophique, la vie et l'histoire étant un flux ininterrompu de catastrophes, excluant toute quiétude. La lutte permanente réclamée par Lefebvre, la revendication perpétuelle du “différentiel” pour qu'hommes et choses ne demeurent pas figés et “éléatiques”, le temps authentique mais bref de la soudaineté, le chaïros, l'imprévu ou l'insolite revendiqués par les surréalistes et leurs épigones, le choc de l'état d'urgence considéré par Schmitt et Freund comme essentiels, sont autant de concepts ou de visions qui confluent dans cette synthèse fayenne. Ils la rendent inséparable des corpus doctrinaux agités à Paris dans les années 60 et 70 et ne permettent pas de conclure à une sorte de consubstantialité avec le “fascisme” ou l'“extrême-droitisme” fantasmagoriques que l'on a prêtés à sa nouvelle droite, dès le moment où, effrayé par tant d'audaces philosophiques à “gauche”, à “droite” et “ailleurs et partout”, le système a commencé à exiger un retour en arrière, une réduction à un moralisme minimal, tâche infâmante à laquelle se sont attelés des Bernard-Henry Lévy, des Guy Konopnicki, des Luc Ferry et des Alain Renaut, préparant ainsi les platitudes de notre political correctness.
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mardi, 01 septembre 2009
Variations autour du thème "Russie"
Robert STEUCKERS:
Variations autour du thème “Russie”
Discours de Robert Steuckers lors du colloque de la “nouvelle alternative solidariste” à Ruddervoorde/Bruges, 11 octobre 2008
La Russie –vous l’entendez et le lisez chaque jour dans les médias du système— est l’objet d’une inlassable propagande, toujours dénigrante et négative, d’un harcèlement permanent des esprits, qui la campent comme un immense foyer où se succèdent sans discontinuité horreurs et entorses à la “bonne gouvernance”; cette propagande a été bien réactivée depuis la “Guerre d’août” dans le Caucase, il y a deux mois. Cette propagande négative, cette “Greuelpropaganda” (“gruwelpropaganda”), n’est pas nouvelle, car, les historiens le savent, elle s’est déjà déployée dans l’histoire des deux derniers siècles, essentiellement pour deux faisceaux de motifs:
Premier faisceau de motifs:
D’abord à cause de l’autocratisme de certains tsars: Paul I, qui voulait marcher avec Napoléon contre l’Inde britannique et démontrait, par cette volonté, que la maîtrise de la Mer Noire et de la Caspienne permettait à terme de déboucher en Inde, arsenal civil et source de profit pour la puissance dominante anglaise; et Nicolas I, qui a entamé la marche des armées russes en direction du Caucase et de l’Asie centrale; ce tsar voulait régler la question d’Orient en liquidant l’Empire ottoman, ce qui a déclenché la Guerre de Crimée. Ce reproche d’autoritarisme fait partie d’un arsenal propagandiste récurrent car il s’adresse également à des tsars d’ouverture tels Alexandre II, qui lance un programme d’industrialisation, de modernisation et de libération des serfs, ou Nicolas II, qui sera tantôt ange tantôt démon, selon les fluctuations de la géopolitique anglaise, qui entendait d’abord ébranler la Russie pour s’emparer des pétroles du Caucase puis s’allier à elle dans le cadre de l’Entente pour faire pièce à une Allemagne devenue ennemie principale, prenant ainsi, au titre de cible première des propagandes dénigrantes, le relais de l’Empire des Tsars comme le démontre d’excellente manière le géopolitologue suédois William Engdahl dans son ouvrage sur la guerre du pétrole (1). Nicolas II partage avec les Mexicains Zapata et Pancho Villa le triste honneur d’avoir été tout à la fois, en l’espace de quelques années seulement, tyran sanguinaire et brave allié. Les deux Mexicains, rappellons-le, voulaient nationaliser les pétroles de leur pays, les arracher aux tutelles britannique et yankee... L’an passé, nous avons eu à déplorer la disparition de Henri Troyat, de l’Académie Française, écrivain de souche russe et arménienne, qui nous a laissé des biographies de tous les tsars: elles nous expliquent en long et en large les grands axes de leur politique, dans un langage clair et limpide, accessible à tous, sans jargon. Je conseille à chacun de vous de s’y référer.
Deuxième faisceau de motifs:
Ensuite à cause du bolchevisme et de la bolchevisation de la Russie, après 1917, la démonisation propagandiste se focalise sur l’idéologie et la pratique du communisme. Elle a la tâche bien plus facile car le tsarisme était moins démonisable que le soviétisme. Le monde catholique belge et flamand, notamment, dépeint la Russie soviétisée comme le foyer du mal absolu, surtout pour empêcher tout envol du communisme en Belgique même; la publication de l’album d’Hergé, “Tintin au pays des Soviets” relève, pour ne donner qu’un seul exemple, de cet anti-communisme catholique et militant des années 20 et 30. Cette propagande anti-soviétique a laissé des traces: en dépit de l’effondrement définitif de l’Union Soviétique et de la débolchevisation de la Russie, les réflexes anti-russes mobilisés pour combattre le soviétisme, notamment la propagande en faveur de l’OTAN, restent ancrés dans les mentalités, incapables d’intégrer les nouvelles donnes géopolitiques d’après 1989. A cet anti-communisme, mis en sourdine à partir de 1941 pour raisons d’union sacrée contre le nazisme et pour couvrir les agissements de la résistance communiste (en tant qu’instrument de la “guerilla warfare”), succède un anti-stalinisme, partagée par certains communistes ailleurs dans le monde; cet anti-stalinisme prête tous les travers du communisme à la seule gestion stalinienne de l’Union Soviétique. Comme Nicolas II, tyran sanguinaire puis “bon père des peuples de toutes les Russies” selon la propagande londonienne, Staline sera un monstre, puis le brave “Uncle Joe”, puis le “petit père des peuples” puis à nouveau un dictateur infréquentable.
Dans mon article, intitulé “La diplomatie de Staline” (cf. http://euro-synergies.hautetfort.com), et dont la teneur m’a été souvent reprochée (2), j’ai souligné l’originalité, après 1945, de la diplomatie soviétique, qui pariait sur des rapports bilatéraux entre puissances et non sur une logique des blocs, du moins au départ. De fait, le pacte de Varsovie nait en 1955 seulement, après la mort du leader géorgien. Ce Pacte a bétonné la logique des blocs et est l’oeuvre du post-stalinisme que Douguine dénonce, aujourd’hui à Moscou, comme une émanation d’un certain “atlanto-trotskisme”. En dépit d’atrocités comme l’élimination des koulaks dans les terres noires et si fertiles d’Ukraine, qui a privé l’Union Soviétique d’une paysannerie capable de lui assurer une totale autonomie alimentaire, et comme les épurations du parti et de l’armée lors des grandes purges de 1937, il faut objectivement mettre à l’acquis de la période stalinienne tardive les notes de 1952, proposant la neutralisation de l’Allemagne sur le modèle prévu pour l’Autriche, en accord avec le filon “austro-marxiste” de la social-démocratie autrichienne.
Déstalinisation et logique des blocs
La volonté de réhabiliter les rapports bilatéraux entre puissances, selon les vieux critères avérés de la diplomatie classique, et le projet de neutralisation d’une large portion du centre de l’Europe entre l’Atlantique et la frontière soviétique, dont l’arsenal industriel allemand appelé à renaître de ses cendres (“les Hitlers vont et viennent, l’Allemagne demeure”), sont deux positions qui ont l’une et l’autre déplu profondément à Washington et entraîné ipso facto une propagande anti-stalinienne puis, dans la foulée, la déstalinisation, au profit d’une logique des blocs parfaitement schématique, qui condamnait l’Europe à la division et la stagnation, au blocage géopolitique permanent. La déstalinisation, en dépit de la “bonne figure” qu’elle se donnait, interdisait de revenir au message de la fin de l’ère stalinienne: diplomatie classique et neutralisation de l’Allemagne.
La Chine actuelle, partiellement héritière de ce communisme de la fin des années 40 et du début des années 50, préconise des relations internationales basées sur des rapports bilatéraux, dans le respect des identités politiques des acteurs de la scène internationale, en dehors de toute formation de blocs et de toute idéologie “immixtionniste” (wilsonisme, stratégie cartérienne et reaganienne des “droits-de-l’homme”, etc.) (cf. nos articles sur la question: Robert Steuckers, “Les amendements chinois au ‘nouvel ordre mondial’” & “Modernité extrême-orientale et modèle juridique ‘confucéen’”; ces deux articles sont repris dans: Robert Steuckers, “Le défi asiatique et ‘confucéen’ au ‘nouvel ordre mondial’”, Synergies Européennes, Forest, 1998; les deux textes figurent dorénavant sur: http://euro-synergies.hautetfort.com).
Le retour des thématiques anti-autocratiques
Avec Poutine et Medvedev, la propagande habituelle recompose les thématiques de l’anti-autocratisme, de l’hostilité à tout pouvoir non seulement fort mais simplement solide, à celle des résidus de communisme, dans le sens où toute réorganisation des anciennes terres de l’Empire russe et toute velléité de contrôler l’économie et le marché des matières premières s’assimilent à un retour au communisme. Ce sont des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, en tenant compte des arguments suivants:
- la Russie a besoin d’un pouvoir plus contrôlant que les terres situées à l’Ouest du sous-contient européen, la coordination des ressources de son immense territoire exigeant davantage de directivité;
- dans une perspective européenne et russe, le contrôle pacifique de l’Asie centrale, du Caucase, de la Caspienne et de la Mer Noire est un atout géopolitique et géostratégique important, dont il ne faut pas se défaire avec légèreté, sous peine de voir triompher le voeu le plus cher de la géopolitique anglo-saxonne, dont les fondements ont été théorisés par Halford John Mackinder et Homer Lea dans la première décennie du 20ème siècle;
- la démonisation de la Russie a une forte odeur d’hydrocarbure; chaque étape historique de cette démonisation est marquée par l’un ou l’autre enjeu pétrolier; hier comme aujourd’hui, dans le Caucase;
- le communisme, en tant que messianisme qui s’exporte et ébranle les équilibres politiques des nations voisines, a cessé d’exister et les réflexes défensifs que son existence dictait n’ont plus lieu d’être et vicient, s’ils jouent encore, la perception de la réalité actuelle;
- la propagande anti-russe d’hier et d’aujourd’hui participe de la stratégie immixtionniste et internationaliste mise en oeuvre à Londres hier, à Washington depuis la présidence de Teddy Roosevelt et du système wilsonien; elle a eu pour résultat de torpiller toutes les oeuvres d’unification continentale et de faire, à terme, de l’Europe un nain politique, en dépit de son gigantisme économique.
L’historiographie dominante fait donc de la Russie un croquemitaine et cette historiographie est dictée aux agences médiatiques, à la presse internationale, par des officines basées à Londres ou à Washington. Il s’agit désormais, dans les espaces de liberté comme le nôtre, de contrer les poncifs toujours récurrents de cette propagande et de se référer à une autre interprétation de l’histoire, à une historiographie alternative, différente aussi de l’historiographie soviétique/communiste (liée à l’historiographie anglo-saxonne pour les événements de la seconde guerre mondiale).
Le souvenir de “Pietje Kozak”
Dans le cadre restreint du mouvement flamand, il faut se rappeler que sans les cosaques d’Alexandre I, les provinces sud-néerlandaises n’auraient jamais été libérées du joug napoléonien et que leur identité culturelle et linguistique aurait disparu à tout jamais si elles étaient demeurées des départements français. Si un quartier s’appelle “Moscou” à Gand, c’est en souvenir des libérateurs cosaques, conduits par “Pietje Kozak”, dont les chevaux avaient galopé d’Aix-la-Chapelle aux rives de l’Escaut, en passant par Bruxelles, où ils avaient campé à la Porte de Louvain, l’actuelle Place Madou. Les cosaques n’ont pas laissé de mauvais souvenirs. Ils ne sont pas restés longtemps: ils ont foncé vers Paris, tandis que les Gantois volontaires étaient incorporés dans l’armée prussienne, armée pauvre, levée en masse, selon les consignes de Clausewitz, qui voulait faire pièce à la conscription républicaine puis napoléonienne. Cette armée devait vivre sur la population, notamment sur la rive orientale de la Meuse que la Prusse convoitait, en inquiétant les Anglais, qui voyaient une grande puissance s’approcher d’Anvers et occuper une vallée mosane menant directement au Delta et au Hoek van Holland, à une nuit de navire à voile de Londres, comme au temps de l’Amiral De Ruyter. Les réquisitions prussiennes ont laissé de mauvais souvenirs, surtout en pays de Liège, dans les Ardennes et le Condroz. Les Anglais, eux, payaient tout ce qu’ils prenaient et se taillaient bonne réputation: c’est là qu’il faut voir l’origine de l’anglophilie belge.
Après l’effondrement du système napoléonien qui avait l’avantage peut-être d’unir l’Europe mais le désavantage de le faire au nom des philosophades modernistes de la révolution française, l’Europe acquiert, à Vienne en 1814-15, une sorte d’unité restauratrice. Ce sera la Pentarchie, le concert des cinq puissances (Prusse, Russie, Angleterre, Autriche, France) dont le territoire s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Nous avons donc pour la première fois dans l’histoire un espace européen et eurasien entre les deux plus grands océans du globe. La cohérence de cet espace demeure un idéal et une nostalgie, en dépit des faiblesses de cette Pentarchie, sur lesquelles nous reviendrons. Rappellons qu’elle subsistera à peu près intacte jusqu’en 1830 et que les premières lézardes de son édifice datent justement de cette année fatidique de 1830, de la révolte belge de Bruxelles, où Français et Britanniques acceptent les exigences des insurgés, les uns dans l’espoir d’absorber petit à petit le pays; les autres pour briser l’unité des Pays-Bas, qui alliaient de considérables atouts à l’aube de la révolution industrielle: une industrie métallurgique liégeoise, des mines de charbons de Mons à Maastricht, une bonne industrie textile en Flandre et dans la Vallée de la Vesdre, une flotte hollandaise impressionnante et des colonies en voie de développement en Insulinde (Indonésie), un pôle germanique continental et littoral aussi attrayant, sinon plus attrayant, pour les populations d’Allemagne du Nord que la Prusse et le Brandebourg (3). Tandis que Français et Britanniques favorisaient la sécession belge, les autres puissances européennes y voyaient une première entorse à la cohésion “pentarchique” et le triomphe d’un particularisme stérile.
La Doctrine de Monroe contre la Pentarchie
Preuve des potentialités immenses de la “Pentarchie”: c’est à l’époque de sa plus forte cohésion que les puritains d’Amérique du Nord s’en inquiètent, tout en devinant les potentialités de leur propre vocation continentale et bi-océanique dans le Nouveau Monde. La proclamation de la Doctrine de Monroe en 1823 constitue un défi américain à cette formidable cohésion européenne qui s’impose sur la masse continentale eurasiatique (4). Il fallait de l’audace pour oser ainsi défier les cinq puissances de la Pentarchie. Avec un culot inouï, sans avoir à l’époque les moyens de défendre sa politique sur le terrain, James Monroe a osé prononcer ce programme d’exclusion des puissances européennes, à commencer par l’Espagne affaiblie, car si la Pentarchie l’avait voulu, elle se serait partagé le Nouveau Monde en zones d’influence et les treize colonies rebelles n’auraient pas pu dépasser les Appalaches ni atteindre le bassin du Mississippi si Bonaparte n’avait pas eu la funeste idée de leur vendre la Louisiane en 1803.
La Guerre de Crimée (5) va définitivement rompre la cohésion de la Pentarchie et inaugurer l’ère des compositions et recompositions d’alliances qui conduiront à l’explosion de 1914, à la première guerre mondiale et à l’implosion de la culture européenne. Le Tsar Nicolas I entendait parachever le travail de liquidation de l’Empire ottoman, commencé en 1828, où les flottes anglaise, française et russe, de concert, avaient forcé le Sultan à concéder l’indépendance à la Grèce, qui aura un roi bavarois. L’objectif du Tsar était de liquider progressivement l’Empire ottoman, corps étranger à la Pentarchie sur le sous-continent européen, en protégeant puis en accordant l’indépendance aux sujets chrétiens (orthodoxes) de la Sublime Porte. La logique du Tsar est continentaliste: il veut un élargissement de “l’ager pentarchicus” et la ré-occupation de positions statégiques-clefs que les impérialités européennes, romaines et byzantines, avaient tenues avant les raz-de-marée arabe et ottoman. L’élargissement de “l’ager pentarchicus” impliquait, après la parenthèse de l’indépendance grecque soutenue par tous, d’englober tout le territoire maritime pontique et de débouler, partiellement ou par nouvelles petites puissances orthodoxes interposées, dans le bassin oriental de la Méditerranée, avec la Crète et Chypre, à proximité de l’Egypte. La logique de l’Angleterre est, elle, maritime, thalassocratique. Pour le raisonnement impérial anglais, l’Empire des Tsars, avec ses immenses profondeurs territoriales et ses énormes ressources, ne peut pas s’avancer aussi loin vers le Sud, peser de tout son poids sur la ligne maritime Malte-Egypte, au risque de couper la voie vers les Indes, car on compte déjà à Londres percer bientôt l’isthme de Suez.
Le centre névralgique de l’Empire britannique n’est plus en Europe
Les préoccupations anglaises du temps de la Guerre de Crimée (1853-1856) demeurent actuelles, à la différence près que ce sont désormais les Américains qui les font valoir. Pour Londres hier et pour Washington aujourd’hui, la Russie, ni aucune autre puissance européenne d’ailleurs, ne peut avoir la pleine maîtrise de la Mer Noire ni disposer d’une bonne fenêtre sur la Méditerranée orientale. En 1853, Londres prendra fait et cause pour la Turquie, entraînant la France dans son sillage, et les deux puissances occidentales ruinèrent ainsi définitivement la notion féconde et apaisante de Pentarchie: elles sont responsables devant l’histoire de toutes les catastrophes qui ont saigné l’Europe à blanc depuis la Guerre de Crimée. L’unité et la cohésion de l’Europe ne comptent pas pour Londres et Paris, puissances excentrées par rapport au coeur du sous-continent. L’Occident s’alliera avec n’importe quelle puissance ou n’importe quelle peuplade extérieure à l’Europe pour détruire toute force de cohésion émanant du centre rhénan, danubien ou alpin de notre sous-continent. Cette stratégie de trahison et d’anti-européisme avait commencé avec François I, le Sultan et Barberousse au 16ème siècle (6); l’Angleterre vole, elle, au secours de l’Empire ottoman moribond, prolonge la servitude des peuples balkaniques en ne montrant aucune solidarité avec des Européens croupissant sous un joug musulman, parce que le centre névralgique de la puissance britannique ne se situe plus en Europe, ni même dans la métropole anglaise, mais en Inde. L’Angleterre possède donc un empire dont le centre, sur le globe, est le sous-continent indien; bien qu’hegemon, elle se situe en périphérie de l’espace-tremplin initial, du coeur même de son propre empire et combat tout ce qui, autour de l’Inde, pourrait, à moyen ou long terme, en réalité ou en imagination, en menacer l’intégrité territoriale. Les logiques française et anglaise de la seconde moitié du 19ème siècle ne sont donc plus euro-centrées mais exotiques. Ce glissement scelle la fin de la cohésion pentarchique.
C’est à la suite de la Guerre de Crimée que le terme “Occident” devient péjoratif en Russie. Nul autre que Dostoïevski ne l’a expliqué aussi clairement que dans son “Journal d’un écrivain”. En 1856, quand la Russie doit accepter les clauses humiliantes de la paix, une première césure traverse l’Europe pentarchique, une césure qui constitue une première étape vers l’épouvantable cataclysme d’août 1914. En effet, la césure sépare désormais une Europe occidentale (France et Angleterre), d’une Europe centrale et orientale (Prusse, Russie, Autriche-Hongrie). En dépit de la méfiance autrichienne avant et pendant la Guerre de Crimée, qui voyait d’un mauvais oeil la Russie qui tentait de s’installer dans le delta du Danube en prenant sous sa protection les principautés roumaines (Valachie et Moldavie), de confession orthodoxe. Sous l’impulsion de Bismarck, les trois puissances impériales chercheront à reproduire, à elles seules, la cohésion de la Sainte-Alliance. Après l’unification allemande de 1871, on parlera de “l’alliance des trois empereurs” (“Drei-Kaiserbund”). Bismarck exhortera les Autrichiens à ne pas succomber aux tentations occidentales, ce qui sera d’autant plus aisé que l’Autriche n’a jamais eu de colonies extra-européennes.
La crainte de voir renaître un Empire russo-byzantin sur le Bosphore
Le théoricien le plus pertinent de la “Pentarchie” fut incontestablement Constantin Frantz (7): c’est lui qui a démontré que “l’excentrage” exotique de l’Angleterre en direction des Indes principalement et de la France en direction de l’Afrique (Algérie, Saint-Louis/Dakar, Côte d’Ivoire, Gabon, avant 1860) brisait la cohésion de l’Europe et pouvait induire sur son territoire des conflictualités générées ailleurs. La Guerre de Crimée est la première conflagration inter-européenne après 1815, dont les motivations dérivent de préoccupations extra-européennes: l’Angleterre ne veut pas d’une flotte russe en Méditerranée orientale parce que cela menace l’Egypte et comporte le risque de voir s’installer des postes et bases russes en Mer Rouge, avec accès à l’Océan Indien; la France n’en veut pas davantage car une flotte russe dans les bases auparavant ottomanes risque de menacer l’Algérie fraîchement conquise, qui, rappelons-le, était tout de même la base la plus avancée des Ottomans en Méditerranée occidentale au 16ème siècle. La crainte partagée par Paris et Londres en 1853 était de voir se reconstituer, sur les débris de l’Empire ottoman, un empire russo-byzantin rechristianisé capable, avec les réserves russes, de contrôler les principaux points stratégiques à la charnière des masses continentales asiatiques et africaines, et de remplacer ainsi l’Empire ottoman. Cette crainte n’existait pas encore vingt-cinq ans auparavant, au moment de l’accession de la Grèce à l’indépendance: la France n’avait pas encore débarqué ses troupes en Algérie et l’Angleterre escomptait simplement faire de la Grèce un satellite plus solide que le seul petit cordon d’îles ioniennes, dont elle avait fait, en 1815, une république sous protectorat anglais.
Revenons à la propagande anti-russe actuelle: elle remonte à l’époque de la Guerre de Crimée. Aujourd’hui encore, les linéaments de cette propagande et les motifs géopolitiques qu’elle dissimule ou travestit demeurent et s’utilisent toujours. Et montrent plus de virulence dans la sphère anglo-saxonne et en France qu’ailleurs en Europe, mis à part les pays de l’est fraîchement libéré du communisme. Les cénacles, journaux, publications des milieux dits “nationalistes” ou “nationaux-conservateurs” de l’Occident français et anglais évoquent bien moins souvent une alliance euro-russe que leurs pendants d’Europe centrale germanique (Allemagne, Autriche). En Flandre, nous assistons à une contagion anglaise, à une véritable “anglo-saxonnite aigüe”, totalement contraire aux intérêts européens de cette région liée à la Rhénanie-Westphalie, et improductive pour tout combat métapolitique face au danger français, à l’heure où la conquête n’est plus militaire ou culturelle mais économique.
Les “nouveaux philosophes”, instruments de la russophobie
La propagande anti-russe, et aujourd’hui hostile à Poutine, fonctionne à merveille dans la sphère linguistique anglo-saxonne. C’est au départ d’officines de moins en moins britanniques et de plus en plus américaines qu’elle se déploie sur la planète entière. En France, cette propagande se distille, sous un déguisement différent, au départ, non pas de cercles conservateurs ou nationaux-conservateurs, mais de réseaux trotskistes, d’obédience affichée ou infiltrés dans les cénacles syndicaux ou socialistes et surtout au départ des niches médiatiques et journalistiques où s’est incrustée la secte des “nouveaux philosophes”, à cheval entre une gauche nouvelle (les fameuses deuxième et troisième gauches) et une droite atlantiste, molle, libérale et “orléaniste” qui cherche à tourner le dos au gaullisme. Ce bastion, bien positionnée sur le carrefour entre droite centriste et gauche centriste, permet à cette propagande de s’insinuer partout et d’empêcher l’éclosion d’une pensée géopolitique alternative, non atlantiste, qui pourrait émerger dans plusieurs franges politiques potentielles, aujourd’hui houspillées dans les marges de la politique dominante et souvent décriées comme “extrémistes”: communiste, gaulliste (dans le sens de Couve de Meurville), nationaliste, souverainiste ou néo-maurrassienne.
La Guerre de Crimée a donc fracassé définitivement la Pentarchie, la seule cohésion européenne de l’ère moderne et contemporaine. Néanmoins, le conflit dominant, celui dont les enjeux géopolitiques avaient le plus d’envergure territoriale car ils concernaient et la Terre du Milieu (sibérienne et centre-asiatique) et l’Océan du Milieu (l’Océan Indien avec le sous-continent indien), demeurait le conflit russo-britannique. Le conflit franco-prussien de 1870-71, perçu comme essentiel en France ou en Allemagne car il était local, reste marginal, malgré tout, malgré son importance, malgré qu’il est l’une des sources majeures des deux conflits mondiaux du 20ème siècle.
Versailles ou le retour de la politique de Richelieu
Cependant, la permanence du conflit anglo-russe aux confins de l’Hindou Kouch, la rivalité entre Londres et Saint-Pétersbourg en Asie centrale et la volonté française de revanche et de reconquête de l’Alsace et de la Lorraine thioise vont peser d’un poids suffisant pour modifier la donne entre 1871 et 1914. La France va investir en Russie, afin d’avoir un “allié de revers”, comme François I s’était allié au Sultan et aux pirates barbaresques pour prendre le Saint-Empire et l’Espagne en tenaille et faire échouer l’offensive espagnole et vénitienne en Afrique du Nord et en direction de la Méditerranée orientale. On ne mesure pas encore complètement l’impact désastreux de cette politique. La politique française des investissements en Russie, mieux connue sous l’appelation des “emprunts russes” va contribuer à la dislocation progressive de l’alliance des “Trois Empereurs”, ultime résidu de l’esprit de la Pentarchie de 1814. A ce projet de s’adjoindre le “rouleau compresseur russe”, s’ajoutera une volonté maçonnique d’émietter l’espace de la “monarchie danubienne” austro-hongroise, de fractionner l’Europe centrale et orientale en autant de petits Etats que possible, tous condamnés à la dépendance ou à l’inviabilité économique: ce sera une réactualisation de la politique de Richelieu, visant la “Kleinstaaterei” dans les Allemagnes (pluriel!), qui trouvera un nouvel aboutissement dans le Traité de Versailles.
Bismarck serait indubitablement parvenu à maintenir la cohésion de l’alliance des Trois Empereurs. Ses successeurs n’auront pas cette intelligence politique et ce “feeling” géopolitique. Ils laisseront libre cours, sans réagir de manière opportune, à cette politique française de satellisation de la Russie. Quand celle-ci bascule définitivement dans le camp français, la politique alternative de l’Allemagne sera d’aller chercher dans l’Empire ottoman moribond un espace pour écouler les biens d’exportation de sa nouvelle industrie et y puiser des matières premières. Cette politique heurtera la volonté russe de trouver un débouché au-delà des Dardanelles, en direction de la Méditerranée orientale, de Suez et de l’Egypte et la volonté britannique de maintenir ou de créer un verrou partant du Caire pour aboutir à Calcutta au Bengale, afin de parachever, avec les possessions anglaises d’Afrique et d’Australie, une domination absolue sur l’ensemble des rivages de l’Océan Indien.
Une vingtaine d’années pour parfaire l’Entente
Il faudra cependant une vingtaine d’années pour consolider l’alliance que sera l’Entente entre Londres, Paris et Saint-Pétersbourg. Les sources de conflits potentiels demeurent latentes entre l’Angleterre et la France, en Indochine où l’Angleterre accepte, bon gré mal gré, que les Français contrôlent la façade pacifique de cette Indochine mais n’acceptent aucune extension de ce contrôle en direction du Siam et du Golfe du Bengale. De même, l’Angleterre voit d’un mauvais oeil la conquête violente puis la pacification de Madagascar par le Général Gallieni (qu’ils détesteront même au plus fort de la bataille de la Marne en 1914, alors que cette bataille a décidé du sort de la guerre en faveur des alliés). Ensuite, l’affaire de la prise de contrôle par les Britanniques du Canal de Suez ne s’est pas apaisée rapidement, a connu des rebondissements, surtout, notamment, quand l’expédition du Capitaine Marchand en direction de Fachoda au Soudan laissait présager une installation française sur les rives du Nil, axe liant l’Egypte à l’Afrique du Sud.
Une présence française sur le Nil aurait pu briser la cohésion territoriale de l’Empire britannique en Afrique en s’alliant soit à la Somalie sous domination italienne soit à l’Abyssinie chrétienne soit au Congo belge. Il y aurait eu une présence européenne continentale sur une portion importante du littoral africain de l’Océan Indien, avec, d’une part, une grande profondeur territoriale, reliant l’Atlantique à l’Océan du Milieu, et d’autre part, une base navale (et, plus tard, un porte-avion) malgache en face du Mozambique portugais, du Tanganyka alors allemand et surtout des mines d’Afrique du Sud, où demeurait une population boer rebelle, partiellement d’ascendance française. Imagine-t-on aujourd’hui quelle puissance aurait pu avoir un bloc colonial européen, regroupant les colonies françaises, belges, allemandes et portugaises et les Etats indépendants boers? La Mer Rouge aurait été contrôlée à hauteur d’Aden et de Djibouti par une constellation européenne germano-turque, italienne et française. Pour Londres, l’un des résultats les plus intéressants de la première guerre mondiale a été de contrôler la Mer Rouge de Suez à Aden, d’y éliminer toute présence germano-turque et, indirectement, française, la France sortant exsangue de la Grande Guerre.
Ratzel, Tirpitz et le réveil de l’Allemagne
Dans les années 90 du 19ème siècle, les Russes se rendent encore maîtres de l’actuel Tadjikistan et exercent une influence prépondérante sur le “Turkestan chinois” au nord du Tibet. Tandis que pour contrer ce gain de puissance, les Anglais annexent à l’Empire des Indes les régions afghanes aujourd’hui pakistanaises et que l’on appelle la “zone ethnique” pachtoune, actuellement en pleine rébellion et sanctuaire des rebelles talibans en lutte contre l’occupation de l’Afghanistan. Entre 1890 et 1900, rien ne laissait augurer une alliance anglo-russe, tant les conflits potentiels s’accumulaient encore le long des frontières afghanes. Le très beau film “Kim”, d’après une nouvelle de Rudyard Kipling, met en scène un Indien musulman local, fidèle à la Couronne britannique, et des explorateurs russes, soupçonnés d’espionnage et de venir soulever les tribus hostiles à la présence anglaise. Le scénario du film se déroule précisément dans les années 90 du 19ème siècle.
Après la guerre des Boers et l’élimination impitoyable de leurs deux républiques libres d’Afrique australe, période où l’Angleterre victorienne avait été honnie dans toute l’Europe, l’Allemagne devient l’ennemi numéro un, parce qu’elle développe des stratégies commerciales efficaces, concurrence les produits industiels britanniques partout dans le monde, se met à construire une flotte sous l’impulsion du géopolitologue Friedrich Ratzel et de l’Amiral von Tirpitz, exerce une influence prépondérante dans les “Low Countries”, propose une “Union de la Mittelafrika” à la Belgique et au Portugal susceptible de ruiner les projets de Cecil Rhodes et surtout réorganise l’Empire Ottoman pour un faire un espace complémentaire de son industrie (un “Ergänzungsraum”), coupant la route des Russes vers Constantinople et occupant des positions stratégiques en Méditerranée orientale, en prenant, avec l’Autrriche-Hongrie et ses marins dalmates, le relais de Venise la “Sérénissime” dans cet espace maritime, en face de Suez et sur un segment important de la route maritime vers l’Inde.
Mackinder et le “Terre du Milieu”
Malgré l’émergence, pour Londres, d’un “danger allemand”, la Russie demeure implicitement l’ennemi principal dans le dicours que tient Halford John Mackinder en 1904, pour expliquer, par la géographie, la dynamique Terre/Mer de l’histoire, où l’Angleterre tient la Mer et les Indes et la Russie, la Terre et l’Asie centrale, rebaptisée “Terre du Milieu” et posée comme inaccessible à l’instrument naval de la puissance anglaise. Mackinder tire en quelque sorte le signal d’alarme en cette année 1904, parce que, contrairement à l’époque de la Guerre de Crimée, la Russie commence, sous l’impulsion de Sergueï Witte, à se doter d’un réseau de chemins de fer et d’une ligne ferroviaire transsibérienne qui lui procurent désormais la capacité militaire de transporter rapidement des troupes vers la Mer Noire, le Caucase, l’Asie centrale et l’Extrême-Orient. Sur le plan technologique, la donne a donc changé. La Russie, handicapée par l’immensité de ses territoires et les problèmes logistiques qu’ils suscitent, venait d’acquérir un supplément non négligeable de mobilité terrestre. Elle pèse d’un poids plus considérable sur les “rimlands”, dont la Perse et l’Inde, qui donnent accès à l’Océan Indien, “Océan du Milieu”.
De facto, la Russie devient la protectrice de la Chine, après la guerre sino-japonaise de 1895, ce qui lui permet de faire passer le Transsibérien à travers la riche province chinoise de Mandchourie. Cette Russie plus mobile, grâce au chemin de fer, et donc plus “dangereuse”, inquiète l’Angleterre: elle doit dès lors être tenue en échec par une politique d’endiguement et par la constitution d’un “cordon sanitaire” de petites puissances dépendantes de la principale thalassocratie de la planète. Mieux: la politique extrême-orientale de la Russie, face aux anciennes et nouvelles puissances asiatiques de la région, reçoit le plein aval de Guillaume II d’Allemagne, qui détourne ainsi la Russie du Danube et désamorce les conflits potentiels avec l’Autriche-Hongrie; face à ces encouragements allemands, l’Angleterre, qui voit en eux un danger de plus pour ses intérêts, entend ramener, à terme, la Russie en Europe, pour qu’elle agisse contre l’Autriche, principal allié de l’Allemagne montante.
La Russie avance ses pions vers le Pacifique
L’Entente se dessine: la France finance la Russie, mais la lie ainsi à elle, et l’Angleterre dispose de deux “spadassins continentaux” pour abattre la puissance qu’elle juge la plus dangereuse pour elle, avec le sang de leurs millions de conscrits. Sergueï Witte préconisait une politique de petits pas en Extrême-Orient: l’acquisition par l’Allemagne de la base chinoise de Tsingtao précipite les choses, oblige les Russes à abandonner leur modération initiale et à revendiquer et occuper Port Arthur; du coup, les Anglais s’emparent de Weihaiwei. Les puissances s’abattent sur la Chine, grignotent sa souveraineté pluriséculaire, déclenchant une révolte xénophobe, celles des Boxers, soutenue in petto par l’Impératrice douairière. Pour mater cette révolte, les puissances organisent une expédition punitive, au cours de laquelle les Russes prennent l’ensemble de la Mandchourie. Via Kharbin et Moukden, le Transsibérien est prolongé jusqu’à Port Arthur: du coup, la Russie est présente dans les eaux chaudes du Pacifique (8). L’Amiral Alexeïev, gouverneur de la région, entreprend l’exploitation du port et de la nouvelle base navale puis lorgne directement vers la péninsule coréenne, susceptible de fournir un pont territorial entre Vladivostok et Port Arthur. Sur le cours du fleuve Yalou, les Russes découvrent de l’or. La politique d’Alexeïev heurte le Japon qui convoite la Corée. Le scénario est en place pour une nouvelle guerre. Cette fois contre le Japon, avec le désavantage que cette guerre est très impopulaire, ne correspond pas aux mythes politiques habituels du peuple russe, qui veut toujours un élan vers Constantinople, les Balkans et l’Egée.
En 1905, lors de la guerre russo-japonaise, l’Angleterre et déjà les Etats-Unis, soutiennent le Japon, archipel en lisière du “rimland” sino-coréen. Le Japon devient ainsi le petit soldat asiatique de la première politique d’endiguement, immédiatement après le discours de Mackinder. La propagande contre Nicolas II, posé comme “bourreau” de son peuple, bat son plein. Quelques cercles révolutionnaires perçoivent de mystérieux financements. La flotte russe de la Baltique, qui part du Golfe de Finlande pour porter secours à celle du Pacifique, ne peut s’approvisionner en charbon le long de son itinéraire, dans les bases britanniques, les plus nombreuses. Résultat: le désastre de Tchouchima.
Notons, dans ce contexte, l’ignoble hypocrisie de la France, qui avait promis monts et merveilles à son “allié” russe, mais l’a froidement laissé tomber face au Japon, pour ne pas désobliger l’Angleterre. Jeu dangereux car, un moment, cette trahison a failli ramener la Russie dans un système d’alliance comprenant l’Allemagne sans exclure la France. L’Axe Paris-Berlin-Saint-Pétersbourg a failli voir le jour en octobre 1904. La France a refusé et le Tsar, dépendant des fonds français, n’a pas signé. En juillet 1905, deuxième tentative de rétablir une unité européenne avec l’Allemagne, la France et la Russie, lors de l’entrevue entre Guillaume II et Nicolas II dans l’île suédoise de Björkö. Ces entretiens ne relèvent que de la bonne volonté des deux monarques qui ne bénéficiaient d’aucun contre-seing ministériel. Une fois de plus, la France refuse, tablant sur son alliance anglaise et sur les avantages immédiats que lui procurait celle-ci au Maroc. Pour les Anglais, l’affaiblissement de la Russie, suite à sa défaite face au Japon, ne permettait plus aucune manoeuvre dangereuse en direction de l’Inde. Elle n’est donc plus l’ennemi principal.
Terrible année 1905
La Russie, battue par le Japon et fragilisée par les menées révolutionnaires, assouplit ses positions: elle est mûre pour entrer dans l’Entente franco-britannique, signée en 1904. Pire, à l’humiliation militaire succède un dissensus civil de nature révolutionnaire: dès juillet 1904, les nihilistes assassinent le ministre de l’intérieur Plehwe; en janvier 1905, une manifestation menée par le Pope Gapone tourne au carnage; en février 1905, c’est au tour du Grand-Duc Serge d’être assassiné; des troubles surgissent en Mandchourie sur l’arrière des troupes; en juin, des mutineries éclatent sur les bâtiments de la flotte de la Mer Noire, dont le fameux cuirassé Potemkine; en octobre 1905, Lénine organise un premier mouvement révolutionnaire à Saint-Pétersbourg, qui débute par une grève générale; les frondes paysannes procèdent à des “illuminations”, c’est-à-dire des incendies de châteaux ou de bâtiments publics, dans les provinces; les Baltes s’attaquent à l’aristocratie allemande et incendient ses domaines; en décembre 1905, Lénine frappe à Moscou mais les troupes sont revenues de Mandchourie et le mouvement bolchevique est maté. Witte, rappelé aux affaires, lance le “Manifeste d’Octobre”, promettant la création d’une Douma dûment élue et des réformes. En 1906, quand la Russie renonce à sa politique d’expansion extrême-orientale, quand elle accepte de nouveaux prêts français, les troubles intérieurs cessent “miraculeusement”; le Tsar, de “monstre” qu’il était, redevient un “brave homme”.
En 1907, Britanniques et Russes signent un accord sur le dos de la Perse des Qadjars décadents, se partageant le pays en zones d’influence. L’année suivante, 1908, est marquée par deux événements majeurs: l’annexion par l’Autriche de la Bosnie-Herzégovine et la révolution des “Jeunes Turcs”. En dépit des menées franco-britanniques pour créer la discorde entre Vienne et Saint-Pétersbourg, les relations austro-russes étaient au beau fixe. En juin, les Autrichiens envisagent de construire une voie ferrée à travers le Sandjak de Novi Pazar, afin d’organiser la péninsule balkanique selon leurs intérêts. Cette intention provoque imméditement un renforcement des liens entre la Russie et la Grande-Bretagne, suite à l’entrevue entre Nicolas II et Edouard VII à Reval. En juillet, les “Jeunes Turcs” triomphent, réclament une constitution et des élections, auxquelles sont conviés les habitants de Bosnie-Herzégovine, administrés par les Autrichiens mais toujours citoyens ottomans. La Russie craint que les “Jeunes Turcs” donnent une vitalité nouvelle à la Turquie, s’allient aux Français et aux Britanniques, comme lors de la Guerre de Crimée, et reprennent la vieille politique de verrouiller les Détroits. La révolution des “Jeunes Turcs” rapproche Autrichiens et Russes. Ährental et Iswolski, ministres des affaires étrangères, lors des accords secrets de Buchlau en Moravie, seraient convenus de la politique suivante: 1) L’Autriche-Hongrie abandonne ses projets ferroviaires dans le Sandjak de Novipazar; 2) Vienne promet de soutenir tous les efforts russes en vue de déverrouiller les Détroits. Forts de ces accords, les Autrichiens annexent en octobre 1908 la Bosnie-Herzégovine, sans en référer aux Italiens et aux Allemands, leurs alliés réels ou théoriques au sein de la Triplice. Les Bulgares en profitent pour se déclarer totalement indépendants de la Turquie. Les épouses monténégrines de deux Grands-Ducs russes et du Roi d’Italie, hostiles à Vienne, incitent les partis bellicistes et interventionnistes à combattre toute politique autrichienne dans les Balkans. Stolypine ne veut pas la guerre, oblige les bellicistes à la modération, mais la Russie n’a plus aucun appui en Europe pour soutenir ses visées sur les Détroits. Les diplomates britanniques, tels l’Ambassadeur Nicolson et Sir Eyre Crowe, répandront la légende que les Autrichiens, et derrière eux, les Allemands, sont les seuls et uniques responsables du verrouillage des Détroits. En 1909, l’Angleterre appuie les prétentions françaises sur le Maroc, en échange d’une reconnaissance définitive de la prépondérance anglaise en Egypte.
De l’assassinat de Stolypine à l’attentat de Sarajevo
En 1911, avec l’assassinat de Stolypine par un révolutionnaire exalté, toutes les chances d’éviter un conflit germano-russe et austro-russe s’évanouissent. Sazonov, beau-frère de Stolypine et successeur d’Iswolski, opte pourtant pour une politique pacifiste et suscite une dernière entrevue entre Guillaume II et Nicolas II à Postdam, où Bethmann-Hollweg et Kiderlen-Wächter tenteront, pour la dernière fois, de sauver la paix, en proposant aux Russes de se joindre au projet de chemin de fer Berlin-Bagdad et de les associer à une future ligne ferroviaire dans le nord de la Perse. Mais les bellicistes ne désarmaient pas: l’ambassadeur russe à Belgrade, Hartwig, appuie le mouvement grand-serbe contre l’Autriche; Delcassé ordonne la marche des troupes françaises sur Fez au Maroc, bouclant ainsi la conquête définitive du royaume chérifain, où l’Allemagne perd tous ses intérêts; Lloyd George menace directement l’Allemagne. Celle-ci cède au Maroc, en acceptant, pour compensation, une bande territoriale qu’elle adjoindra à sa colonie du Cameroun. En Europe, elle est bel et bien encerclée. Le scénario est prêt: il n’attend plus qu’une étincelle; ce sera l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914.
En 1918, quand l’Allemagne perd définitivement la guerre et que la Russie devient bolchevique, plusieurs voix s’élèvent, à gauche et à droite de l’échiquier politico-idéologique, pour réclamer une nouvelle alliance germano-russe. Ces tractations conduiront aux accords de Rapallo entre Tchitchérine et Rathenau (1922). L’Allemagne et la Russie maintiendront des rapports privilégiés, notamment sur le plan de la coopération militaire, jusqu’en 1935, date où Hilter décide de réintroduire le service militaire obligatoire, de réoccuper la Rhénanie et de relancer un programme de réarmement.
En 1936, avec l’Axe Rome-Berlin et la création du Pacte Anti-Komintern, les liens sont rompus avec la Russie soviétisée. Quand éclate la guerre civile espagnole, l’Allemagne soutient les nationalistes de “l’Alzamiento nacional” et l’URSS les Républicains du “Frente Popular”, qui comptent les communistes dans leurs rangs. Le soutien à Franco rapproche définitivement l’Allemagne de l’Italie, mais les communistes espagnols et leurs alliés soviétiques se désolidarisent du bloc, d’abord uni, du “Frente Popular” et se heurtent aux autres factions militantes de gauche, anarchistes et trotskistes (POUM), dans les territoires contrôlés par les Républicains espagnols, notamment à Barcelone, contribuant à la ruine définitive du “Frente Popular” et à l’effondrement de ses forces armées. Après la victoire du camp franquiste et l’émiettement du camp des gauches, tout est en place pour rapprocher l’Axe, et plus particulièrement l’Allemagne, de l’URSS. En août, le fameux Pacte germano-soviétique, ou Pacte Ribbentrop-Molotov, est signé à Moscou. L’Allemagne est libre pour tourner toutes ses forces vers l’Ouest, tout en recevant pétrole et céréales soviétiques. L’idylle durera jusqu’en 1941, quand Molotov, déjà inquiet de la politique balkanique des Allemands, ne peut admettre leur contrôle définitif de la Yougoslavie et de la Grèce. Ces dissensus, renforcés par les menaces réelles que les Anglais faisaient peser sur le Caucase à portée des appareils de la RAF, constituent les préludes de l’Opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941. Les rapports germano-russes entre 1918 et 1945 méritent à eux seuls qu’on leur consacre un séminaire entier. Ce n’est pas notre propos aujourd’hui. C’est pourquoi je demeurerai bref sur ce thème pourtant capital afin de comprendre la dynamique du siècle (9).
Pas d’Europe libre si la bipolarité Est/Ouest persiste
Après 1945, la Guerre Froide s’installe avec le blocus de Berlin et le coup de Prague. Elle durera plus de quarante ans, imprègnera les esprits car tous imaginaient que cette situation allait perdurer pour les siècles des siècles. Dans ce contexte bipolaire, où l’idéologie semblait dominer, l’Europe était coupée en deux, l’Allemagne était traversée par un Rideau de Fer et partagée en deux républiques antagonistes; le Danube, artère centrale de l’Europe, était bloqué peu après Vienne; l’Elbe, principal fleuve de la plaine nord-européenne, qui mène de Prague à Hambourg, était coupée dès l’hinterland immédiat de ce grand port. Une telle Europe n’était plus qu’un comptoir atlantique. Dans les années 50, elle possédait encore pleinement son poumon extérieur colonial. Dès la décolonisation des premières années des “Golden Sixties”, ce poumon n’est plus garanti et le palliatif des multinationales, qui créent de l’emploi et remplacent les vocations coloniales, plonge l’Europe dans une dépendance dangereuse. Voilà le contexte politique international dans lequel émergera la conscience politique de ma génération. Pour ma part, elle émergera cahin-caha à partir de mes quatorze ans; après cinq ou six années de tâtonnements, vers 1975-76, nos groupes informels, plutôt des groupes de copains, inspirés par la postérité de l’école des cadres de “Jeune Europe”, innervés par de nouvelles lectures et stimulés par de nouvelles donnes politiques, en arrivent à la conclusion générale qu’il est impossible de donner un avenir libre à la portion occidentale de l’Europe si la bipolarité Est/Ouest persiste.
Dans le contexte belge, Pierre Harmel avait tenté une ouverture à l’Est, en multipliant les rapports bilatéraux entre la Belgique et de petites puissances du bloc communiste, telles la Pologne, la Roumanie ou la Hongrie. Il agissait de manière pragmatique, sans s’aligner sur la France de De Gaulle, qui, en tant que France, demeure toujours un danger pour l’intégrité psychologique et territoriale de notre pays (qui est, avec le G.D. du Luxembourg et avec ses frontières complètement démembrées au sud, le dernier lambeau indépendant du Grand Lothier de médiévale mémoire). Harmel n’imitait pas pour autant l’Ostpolitik de Willy Brandt, avec son discours empreint de ce sens allemand de la culpabilité, qui, en Belgique, n’était évidemment pas de mise. Harmel entendait restituer une “Europe Totale”, détacher le sous-continent de la logique figée des blocs. Ces efforts furent malheureusement de courte durée et, dans son propre parti, on ne l’a guère suivi. Après l’ère Harmel, l’ère Vanden Boeynants est arrivée, avec une politique atlantiste, pro-OTAN et philo-américaine. Plus tragique bien que moins visible: l’échec du “harmélisme” diplomatique signifie aussi la fin du catholicisme politique cohérent en Belgique, héritier de la tradition bourguignonne et impériale hispano-autrichienne. La Belgique oublie alors qu’elle a incarné cette tradition dans l’histoire de ces cinq derniers siècles, avec un brio inaltérable, et elle accepte, avec “Polle Pansj” (“Popol Boudin”, alias Vanden Boeynnants) et ses successeurs, le statut misérable de petit pion subalterne sur l’échiquier atlantiste.
Kissinger “drague” la Chine de Mao
Dans ce contexte, postérieur aux agitations de 1968, la donne générale, sur l’échiquier international, était en train de changer: pour disloquer le bloc communiste eurasien, reposant sur le pilier chinois et le pilier soviétique, pour embrayer sur un conflit bien réel qui venait de surgir au sein de ce bloc rouge, soit la guerre chaude sino-soviétique le long du fleuve Amour, la diplomatie américaine de Kissinger, posant pour principe que Moscou demeure et restera l’ennemi principal, va “draguer” la Chine de Mao et nouer avec elle, dès 1971-72, des relations diplomatiques normales, tout en la soutenant en Asie orientale contre l’URSS. Cette diplomatie repose, une fois de plus, sur les théories géopolitiques de Mackinder et de ses disciples: dans l’optique de ces théories, il convient, le cas échéant, de soutenir une puissance du rimland (ou “inner crescent”), ou une alliance de moindres puissances du rimland, contre la puissance détentrice de la “Terre du Milieu”. Les maoïstes de mai 68 basculeront partiellement dans le camp américain contre les “mouscoutaires”: Washington avait déjà déployé ses propres “communistes”, principalement d’obédience trotskiste ou issus de l’ancien POUM de la Guerre Civile espagnole; à ceux-ci s’adjoindront bientôt des maoïstes, forts de la nouvelle alliance Washington/Pékin.
Avec la disparition, à l’avant-scène, de Harmel et de sa politique des rapports bilatéraux entre petites puissances du bloc occidental et petites puissances du bloc oriental, et avec la disparition, dans les marges militantes de la politique, de “Jeune Europe” de Jean Thiriart, qui visait une libération de notre sous-continent des tutelles américaine et soviétique, aucun champ d’action politique réel et concret ne s’offrait encore à nous. Nous vivions les prémisses de la “Grande Confusion”, avec des lignes de fracture qui scindaient désormais tous les camps qui avaient été présents sur le terrain avant la réconciliation sino-américaine. Cette grande confusion frappait essentiellement les groupes activistes de gauche mais ne permettait pas davantage de clarté dans les petites phalanges européistes et nationales révolutionnaires.
Rapprochement euro-russe, seule solution viable
Dans l’optique de la mouvance “Jeune Europe” des années 60, les deux superpuissances étaient posées et perçues comme également nuisibles à l’éclosion d’une Europe libre. Quand Washington se rapproche de la Chine et que le bloc rouge se scinde en deux puissances antagonistes, “Jeune Europe” ne peut plus préconiser ni des alliances ponctuelles et partielles entre petites puissances des deux blocs (comme lors du voyage de Thiriart en Roumanie) ni une alliance de revers avec la Chine pour obliger l’URSS à lâcher du lest en Europe danubienne. Le bloc sino-américain devient une menace pour l’Europe et, ipso facto, un rapprochement euro-russe apparaît comme la seule solution viable à long terme pour les tenants de la Realpolitik. Ce pas, le Général italien e.r. Guido Gianettinni, Jean Thiriart et l’écrivain franco-roumain Jean Parvulesco le franchiront, en étayant leurs positions d’arguments solides.
Entre-temps, en 1975, les Etats-Unis abandonnent le Sud-Vietnam exsangue au Nord vainqueur et pro-soviétique et déclenchent aussitôt, avec leurs nouveaux alliés chinois, une guerre sur la frontière sino-tonkinoise et arment, via la Chine, le Cambodge de Pol Pot pour harceler en Cochinchine le nouveau Vietnam réunifié. Le Vietnam sera ainsi neutralisé et cessera d’être une “poche de résistance” sur le rimland du Sud-Est asiatique, désormais étendu à la Chine, comme c’était prévu d’ailleurs sur toutes les cartes dessinées par l’école anglo-saxonne de géopolitique de Mackinder à Lea et à Spykman. Plus personne, aujourd’hui, surtout dans les jeunes générations, ne s’imagine encore quel était l’état de confusion mentale au sein des gauches militantes, où se disputaient âprement mouscoutaires, trotskistes, maoïstes pro-albanais, autogestionnaires titistes, maoïstes anti-soviétiques, partisans et adversaires de Pol Pot ou de Ho Chi Minh. Ce chaos a scellé la fin de la gauche militante classique entre 1975 et 1978-79, quand l’émiettement en chapelles antagonistes ne permettait plus de faire émerger un bloc politique offensif et viable. Les gauches dures, juvéniles et révolutionnaires, sont mortes, faute d’avoir eu un raisonnement géopolitique cohérent. Pire, parce qu’elles avaient auparavant accepté des raisonnements géopolitiques étrangers à leur propre nation ou nation-continent.
Carter et les “droits de l’homme”, Reagan et l’ “Empire du Mal”
Avec l’arrivée au pouvoir du démocrate Jimmy Carter à Washington en 1976, nous entrons de plein pied dans la période de gestation de l’univers mental qui règne aujourd’hui et qui est de plus en plus ressenti comme étouffant. Les termes fétiches de la “political correctness” se mettent en place, avec l’introduction de la diplomatie dite des “droits de l’homme” et avec une opposition républicaine qui s’aligne sur les thèses du néo-libéralisme, par ailleurs propagées par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. En 1979, celle-ci inaugure l’ère néo-libérale qui prend fin avec la crise de cet automne 2008. En 1980, quand Reagan accède à la présidence américaine, sa version du néo-libéralisme, les “reaganomics”, vont étayer et non effacer la diplomatie cartérienne des “droits de l’homme”, et la mettre à la sauce apocalyptique en évoquant un “empire du Mal”, prélude à “l’Axe du Mal” de Bush junior.
En Europe, le discours sur les “droits de l’homme” oblitère tout et une partie de la gauche militante émiettée, orpheline, va marcher dans le sens de ce nouveau “subjectivisme” bien médiatisé, base philosophique première de la méthodologie hyper-individualiste du néo-libéralisme de Hayek, Friedmann, etc. Le moteur de cette nouvelle synthèse, dans une France marquée par l’étatisme gaulliste et communiste, sera le discours des “nouveaux philosophes”, porté essentiellement, en ces années-charnières, par deux écrits de Bernard-Henry Lévy, “Le Testament de Dieu” et “L’idéologie française”. Ce dernier constituant un véritable instrument de diabolisation de toutes les forces politiques françaises car, toutes, indifféremment, porteraient en elles les germes d’un fascisme ou d’une dérive menant à un univers concentrationnaire.
Les ingrédients idéologiques des deux manifestes de Lévy, dont les assises philosophiques sont finalement bien ténues, vont houspiller dans la marginalité politico-médiatique les discours plus militants de mai 68 et aussi, ce qui est plus grave parce que plus stérilisant, tout cet ensemble de pensées, de théories et de réflexions que Ferry et Renaud appelleront la “pensée 68”. Cette dernière constitue un dépassement intellectuel séduisant du simple militantisme étudiant et ouvrier de l’époque, qui était imbibé de ces vulgates rousseauistes et communistes (typiquement françaises) et avait reçu la bénédiction du vieux Sartre (“ne pas désespérer Billancourt”).
Potentialités de la “French Theory”, magouilles des “nouveaux philosophes”
Cette “pensée 68”, que les universitaires américains nomment dorénavant la “French Theory”, englobe Deleuze, Guattari, Lyotard et Foucault: elle est accusée, en gros par ses critiques parisiens, néo-philosophes à la Lévy ou néo-quiétistes à la Comte-Sponville, inquisiteurs tonitruants ou apologètes doucereux du ronron consumériste, de privilégier dangereusement la “Vie” contre le “droit”, d’opter tout aussi dangereusement pour des méthodologies généalogisantes et archéologisantes de nietzschéenne mémoire, etc. Pour le réseau, finalement assez informel, des “nouveaux philosophes”, “maîtres penseurs” allemands du 19ème (Glucksmann) et phares de la “French Theory” doivent céder la place à “un marketing littéraire et philosophique” (selon la critique cinglante que fit Deleuze de leur pandémonium médiatique), soit à un “prêt-à-penser” bien circonscrit qui se pose comme l’attitude intellectuelle indépassable qui va mettre bientôt un terme définitif aux horreurs de l’histoire, qui déboucheraient invariablement sur l’univers concentrationnaire décrit par Soljénitsyne dans “L’Archipel Goulag”. Les “nouveaux philosophes” et assimilés sont les “vigilants” qui veillent à ce qu’advienne la fin de l’histoire (Fukuyama) et que l’humanité aboutisse enfin à la grande quiétude antitotalitaire. La clique parisienne des “nouveaux philosophes” et assimilés entend représenter “l’espérance radicale de la disparition du mal”. L’antithèse de la pensée des maîtres penseurs, qui génèreraient l’univers concentrationnaire, se trouve tout entière concentrée dans le discours sur les droits de l’homme, inauguré par Carter, et constitue l’instrument premier pour lutter contre “l’Empire du Mal” et tous ses avatars, comme le voulaient Reagan et, plus tard, le père et le fils Bush. Le discours des “nouveaux philosophes” correspond donc bel et bien aux objectifs généraux de l’impérialisme américain, et son apparition dans le “paysage intellectuel français” n’est certainement pas l’effet du hasard: on peut sans trop d’hésitation le considérer comme une production habile et subtile des agences médiatiques d’Outre-Atlantique, fers de lance du “soft power” américain.
Ce glissement idéologique hors du questionnement inquiétant de la “French Theory”, a été systématiquement appuyé par les médias, qui ont écrasé toutes les nuances et les subtilités du discours politico-idéologique, pire, ne les tolèrent plus au nom d’une tolérance préfabriquée; il s’est opéré dès l’avènement de Thatcher au pouvoir à Londres et s’est considérablement renforcé quand Reagan a accédé à la Présidence américaine. Le passé maoïste militant de certains exposants, majeurs ou mineurs, de la “nouvelle philosophie” de Glucksmann, Lévy et autres homologues avait permis à Guy Hocquenghem d’ironiser dans une “Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary”. L’image est aussi pertinente que percutante: des maoïstes, jadis rabiques admirateurs sans fard des excès de la “révolution culturelle”, sont effectivement devenus “salonfähig”, dès le rapprochement sino-américain de la première moitié des “Seventies”. Dénominateur commun: l’anti-soviétisme. Ce soviétisme que leurs camarades trotskistes appelaient, pour leur part, le “panzercommunisme”. Donc, on peut aisément conclure que nos anciens révolutionnaires trotskistes ou maoïstes des barricades parisiennes avaient bien davantage que quelques points en commun avec Zbigniew Brzezinski. Celui-ci, rappellons-le, était l’avocat, au sein de la diplomatie américaine, d’une nouvelle alliance avec la Chine et le principal partisan d’une destruction de l’URSS par démantèlement de ses glacis caucasiens et centre-asiatiques. Plus tard en Afghanistan, il préconisera une alliance avec les mudjahiddins et, finalement, avec les talibans.
Le grand retour de la pensée slavophile
En Union Soviétique, la période qui va de 1978 à 1982 (année de la disparition de Brejnev) est marquée par une tout autre évolution intellectuelle. On assistait à une véritable “révolution conservatrice”, à un retour aux sources de la “russéité”, aux linéaments de la slavophilie du 19ème siècle, à un retour de Dostoïevski. La figure emblématique de ce renouveau “völkisch” (folciste) et slavophile a été sans conteste l’écrivain Valentin Raspoutine (10). Pour cet écrivain aux accents ruralistes, les notions de mémoire, de souvenir, de continuité sont cardinales et primordiales. Pour Raspoutine, la conscience n’est telle que parce qu’elle se souvient et s’inscrit dans des continuités imposées par le flux vital (et donc par l’histoire particulière du peuple dont le “je” fait partie). Une action humaine n’est justifiable moralement que si elle s’imbrique dans une continuité, que si elle lutte contre les manigances de ceux qui veulent, par intérêt particulier ou égoïste, provoquer des discontinuités. Le thème littéraire du déracinement et de l’aliénation (par rapport aux origines) implique celui de la perte simultané de l’intégrité morale. On l’avait déjà lu chez le Norvégien Knut Hamsun. L’oubli de son propre passé plonge l’homme dans la dépravation morale, la laideur d’âme.
Cette position philosophique fondamentale heurte de front les idéologies modernes de la “tabula rasa”, dont le communisme fut l’avatar le plus caricatural. Du jacobinisme ou du babouvisme français de la fin du 18ème siècle au communisme, court, sans discontinuité aucune, un fil rouge qui ne produit rien de bon, rien que germes et bacilles de déclin et de dépravation. Au moment où l’Union Soviétique atteignait son apogée, le faîte de sa puissance, et justifiait son existence et ses succès par une idéologie “progressiste” qui avait la prétention de laisser derrière elle tous les legs du passé, émergeait au sein même de la société soviétique un éventail de thèmes littéraires dont la teneur philosophique était radicalement différente de l’idéologie officielle. Je me souviens encore, dans ce contexte, avoir acheté, à la “Librairie de Rome”, avenue Louise, et à la “Librairie du Monde Entier”, gérée par le PCB, un exemplaire de “Sciences sociales”, revue de l’Académie de l’Union Soviétique, avec un long article de Boris Rybakov sur le paganisme russe avant la conversion au christianisme, et l’exemplaire de “Lettres soviétiques” consacré à la réhabilitation de Dostoïevski et édité, à l’époque, par Alexandre Prokhanov, l’éditeur de “Dyeïenn” et “Zavtra”, que j’allais rencontrer à Moscou en 1992. Les textes de Rybakov paraîtront dans les années 90 aux PUF.
“Occidentalistes” et “Slavophiles” dans la dissidence et dans l’établissement
Outre les articles de Wolfgang Strauss en Allemagne (11), l’ouvrage le plus significatif, à l’époque, qui explicitait, en le critiquant de manière fort acerbe, ce renouveau slavophile était dû à la plume d’un dissident exilé aux Etats-Unis: Alexander Yanov (graphie allemande: Janow), attaché à l’Institute of International Studies de Berkeley (Université de Californie). Pour donner ici les grandes lignes de l’ouvrage de Yanov (12), disons qu’il subdivisait, de manière assez binaire, le paysage politico-intellectuel de l’URSS de Brejnev, comme le champ d’affrontement entre “Zapadniki” (“occidentalistes”) et “Narodniki” (“populistes” voire “völkische/folcistes” ou, plus exactement, ce que nous appellons, nous, en Flandre, les “volkgezinden” ou au Danemark, les “folkeliger”). Yanov, émigré aux Etats-Unis se posait incontestablement comme un occidentaliste et fustigeait les nouveaux Narodniki ou néo-slavophiles, en les campant comme “dangereux”. Yanov, cependant, expliquait à ses lecteurs américains que la dissidence soviétique comptait en son sein des “zapadniki” et des “narodniki” (dont il convenait de se défier, bien entendu!), tout comme dans les hautes sphères du pouvoir soviétique où se côtoyaient également occidentalistes et populistes. Parmi les grandes figures qui tendaient vers le populisme, Yanov comptait Soljénitsyne. Sa conclusion? En URSS, fin des années 70, les populistes et les étatistes avaient gagné du terrain, par rapport aux occidentalistes, et constituaient in fine la force métapolitique majeure en Union Soviétique, une force certes non officielle et sous-jacente, mais néanmoins déterminante. Cette domination implicite des “Narodniki” sur les esprits devait, selon Yanov et bon nombre de dissidents occidentalistes, inciter les Etats-Unis et les atlantistes à la vigilance car, communiste ou non, la Russie demeurait un danger parce que son essence était intrinsèquement “dangereuse”, rétive aux formes “civilisées” de la gouvernance à l’occidentale ou à l’anglo-saxonne. Cette attitude “russophobe”, Soljénitsyne la fustigera avec toute la véhémence voulue, dans son tonifiant pamphlet “Nos pluralistes”. Nous nous empressons d’ajouter que la critique du “narodnikisme” sous toutes ses formes, nouvelles ou anciennes, et que les tirades haineuses que Soljénitsyne lui-même a dû essuyer, démontrent, toutes, que la russophobie qui visait les tsars du dix-neuvième siècle ou qui se profilait derrière un certain anti-soviétisme n’est pas prête à disparaître dans les discours occidentaux.
L’époque de la fin du brejnevisme était donc marquée par la nouvelle alliance sino-américaine, par le déploiement des thèses de Brzezinski chez les stratégistes du Pentagone et des services secrets, par la mise en place d’une russophobie déjà post-soviétique dans ses grandes lignes, et ensuite par l’alliance entre les Etats-Unis et les fondamentalistes wahhabites et, enfin, par l’élimination du Shah avec la création, de toutes pièces, d’un chiisme fondamentaliste et offensif en Iran. La carte du monde s’en trouve sensiblement modifiée: la cassure nette et duale, propre de l’hégémonisme duopolistique de Yalta, fait place à une plus grande complexité, notamment par l’avènement du facteur islamiste, voulu, dans un premier temps, par les stratégistes américains. Forts de cette alliance avec les mudjahhidins afghans, armés de missiles Stinger, les Etats-Unis tentent d’avancer leurs pions en Europe en déployant leurs fusées Pershing en Allemagne, face aux SS-20 soviétiques. En cas d’affrontement direct entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, l’Allemagne, le Benelux, l’Autriche, l’Alsace et la Lorraine risquaient d’être vitrifiés. Cette éventualité, peu rassurante, fit aussitôt renaître en Allemagne le mouvement neutraliste, oublié depuis les années 50. Pour nous, le mouvement neutraliste a été incarné principalement par la revue allemande “Wir Selbst”, fondée en 1979 par Siegfried Bublies dans l’intention de dégager le mouvement national de sa cangue passéiste, de ses nostalgies stériles et de ses rodomontades ridicules. Bublies entretenait en Flandre des relations amicales avec les fondateurs de la revue “Meervoud” qui existe toujours.
De la rhétorique des “droits de l’homme” à la guerre permanente
Le combat contre le déploiement des missiles en Europe a connu son apogée dans les années 1982-83, portée essentiellement par une gauche pacifiste, que l’on accusait d’être “crypto-communiste” et, par conséquent, d’être stipendiée par Moscou. Mais cette hostilité au bellicisme de l’OTAN n’était pas le propre des seuls mouvements pacifistes de gauche et d’extrême gauche. Ailleurs sur l’échiquier politique, bon nombre d’esprits s’inquiétaient des nouvelles rhétoriques cartériennes et reaganiennes, qui contaminaient les milieux libéraux et conservateurs, voire d’extrême droite, et avaient pour corollaire évident de miner les principes de la diplomatie traditionnelle. En effet, la rhétorique des “droits de l’homme”, maniée dans les médias par les démocrates cartériens et les “nouveaux philosophes”, ruinait le principe cardinal de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, propre de la diplomatie traditionnelle. Quand le Républicain Reagan ajoute à cette pernicieuse rhétorique “immixtionniste”, le langage apocalyptique des fondamentalistes religieux américains, les principes de la diplomatie metternichienne, la logique des traités de Westphalie et de Vienne, reculent encore d’une case. Le processus de déliquescence de la diplomatie classique s’achèvera quand les néo-conservateurs de l’entourage de Bush-le-Fils, décrèteront tout de go que le respect de ces principes est un “archaïsme frileux”, indigne des Américains, posés comme “les fils virils du dieu Mars”, et l’indice le plus patent de la lâcheté de la “Vieille Europe”, gouvernée par “les pleutres fils de la déesse Vénus”. Pour nous, à partir de 1983-84, ce sera le Général Jochen Löser, ancien Commandeur de la 24ème Panzerdivision de la Bundeswehr, qui énoncera les lignes directrices de nos argumentaires (13) : la rhétorique des “droits de l’homme” rend impossible l’exercice de la diplomatie classique; les dissensus internes, qu’elle exploite via les médias et les agences qui les informent, ne trouvent plus aucune solution équilibrée, s’en trouvent pérennisés, inaugurant de la sorte des cycles de “guerres longues”; les “droits de l’homme”, contrairement aux apparences, n’ont pas été hissés au rang d’idéologie dominante pour faire triompher sur la planète entière un humanisme de bon aloi, mais pour amorcer un processus infini de guerres, de révolutions et de troubles.
Le mouvement neutraliste, tel que nous le concevions au début des années 80, reposait donc sur trois piliers: 1) le refus du déploiement de missiles en Europe, afin d’éviter la transformation définitive de notre sous-continent en “son et lumière”; 2) le refus de perpétuer la logique des blocs, avec la dissolution de l’OTAN et du Pacte de Varsovie et la création d’un vaste espace neutre en Europe centrale, de la Mer du Nord à Brest-Litovsk et de la Laponie à l’Albanie; cet espace neutre devait organiser un système défensif performant sur le mode helvétique; il ne refusait donc ni les forces armées ni le principe du citoyen-soldat à l’instar des pacifistes de gauche; 3) il entendait revenir aux principes de la diplomatie classique et refusait de ce fait d’embrayer sur les discours imposés par les médias (ou le “soft power”). Le neutralisme, en prenant le contre-pied du prêt-à-penser médiatique, s’avérait un espace de liberté, face à la “novlangue” planétaire, si bien fustigée par George Orwell dans “1984”.
Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une “Maison Commune” européenne
Si le mouvement neutraliste avait pu distiller ses arguments pendant une période plus longue, imprégner plus durablement les esprits, la pensée politique diffuse en Europe aurait pu générer des anti-corps. Mais l’effervescence anti-missiles et les réflexions neutralistes se sont étalées sur quatre années seulement. Dès 1984-85, Gorbatchev lance deux idées: celle, très positive, de “Maison Commune européenne” et, celle, double, de “perestroïka” et de “glasnost”, de réforme et de transparence. Ce changement de discours à Moscou mine définitivement le communisme soviétique traditionnel. Entre 1989 et 1991, en effet, le communisme en tant que bloc monolithique disparaît du paysage politique international. Notre conclusion à l’époque: s’il n’y a plus de communisme, il ne peut plus y avoir d’animosité à l’endroit des peuples d’au-delà de l’ancien Rideau de Fer. Les motifs d’un conflit éventuel n’existaient plus. Nous avons eu la naïveté de croire à l’avènement d’une Maison Commune européenne pacifiée, à l’ouverture d’une ère marquée par un esprit plus ou moins équivalent à celui qui se profilait derrière l’idée de paix perpétuelle chez Kant.
Rapidement, l’idée universaliste armée du communisme soviétique allait faire place à un néo-conservatisme, dérivé de la matrice du trotskisme américain et new-yorkais. Alliant le néo-libéralisme, nouvelle grande idéologie universaliste, à ce trotskisme fidèle à la notion de révolution permanente mais habilement masqué par une phraséologie conservatrice et puritaine, le néo-conservatisme va se consolider en deux étapes: la première, avec Reagan, constituera un “mixtum” de paléo-conservatisme, d’anti-fiscalisme, de néo-libéralisme et, en politique internationale, d’une diplomatie en apparence plus classique qu’avec les droits de l’homme de Carter mais néanmoins érodée par une phraséologie apocalyptique (l’Empire du Mal, etc.). Reagan prend finalement le relais de Nixon, dernier président américain à avoir appliqué plus ou moins correctement les règles de la diplomatie classique. Mais, tout en prenant le relais de Nixon, il doit tenir compte des acquis ou des avancées de l’anti-diplomatie cartérienne, basée sur l’idéologie des droits de l’homme. Cependant, le langage apocalyptique s’atténuera pendant son second mandat.
Le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique
Avec Bush le père commencent les tentatives de forcer la main aux instances internationales et de passer à de véritables offensives sur le terrain, la Russie d’Eltsine n’opposant aucun veto crédible. Clinton renouera, notamment pendant la Guerre des Balkans contre la Serbie, avec l’idéologie des droits de l’homme, prétendument bafouée par Milosevic dans la province du Kosovo. Avec Bush le fils, le néo-conservatisme crypto-trotskiste met un terme définitif à la diplomatie classique, la brocarde comme une “vieillerie” incapacitante, propre justement de la “Vieille Europe” et de la Russie (posée souvent comme “stalinienne” ou “néo-stalinienne” depuis l’avènement de Vladimir Poutine). Ce rejet de la diplomatie classique et des règles de bienséance internationale est l’indice le plus patent qui permet de démontrer, outre les liens et itinéraires personnels des exposants majeurs du néo-conservatisme, que le néo-conservatisme est en réalité un trotskisme dans la mesure où il affine la notion de “révolution permanente” en abolissant toutes les règles en vigueur, toutes les règles communément acceptées, et en recréant un monde incertain, où le recours aux guerres et aux invasions redevient un mode de fonctionnement tout à fait naturel et acceptable. Le “Big Stick Policy” de Teddy Roosevelt est désormais au service d’une bande trotskiste qui entend plonger le monde dans un chaos permanent (assimilé à la “révolution”).
C’est uniquement avec le recul que l’on perçoit clairement les vicissitudes de cette politique américaine et son jeu d’avancées et de reculs, camouflé par l’alternance des Démocrates et des Républicains au gouvernail du pouvoir. L’accession à la magistrature suprême aux Etats-Unis de Bush le père constitue aussi l’arrivée des pétroliers texans qui savent à tout moment se souvenir que la puissance américaine dérive du contrôle des hydrocarbures dans le monde, et en particulier dans la péninsule arabique et le Golfe Persique. La crainte d’un prochain “pic” pétrolier implique la volonté de contrôler le maximum de puits dans cette région afin de garantir l’hégémonie globale de Washington, au moins jusqu’à la fin du 21ème siècle. D’où le projet PNAC (“Project for a New American Century”). Les chanceleries européennes savent parfaitement que l’Amérique entend perpétuer son hégémonisme en contrôlant les sources d’hydrocarbures moyen-orientales au détriment de toutes les autres puissances du globe et que le rejet de la diplomatie classique finit par être un “modus operandi” commode pour imposer sa volonté sans discussion ni débat ni concertation. Mais ces mêmes chanceleries sont incapables d’opposer, par manque de volonté et de cohérence intellectuelle, par fascination imbécile du modèle américain, une métapolitique européenne générale, un “soft power” européen capable de distiller dans les esprits, via les médias, des raisonnements et de “grandes idées incontestables” contrairement à leur homologue américaine, “grandes idées incontestables” véhiculées par les grandes agences médiatiques d’Outre Atlantique.
Les “blanches vertus” du démocratisme planétaire
L’Amérique est maîtresse du monde non seulement parce qu’elle contrôle les hydrocarbures mais aussi et surtout parce qu’elle forge, répand et impose les opinions dominantes dans le monde, spécialement en Europe. En 1999, quand le “bon apôtre” Clinton, posé comme tel parce que “démocrate” donc de “gauche”, lance ses bombardiers contre Belgrade, les pays européens de l’OTAN emboîtent le pas sans régimber. Depuis Franklin Delano Roosevelt, le démocrate qui avait lancé la croisade contre l’Europe allemande en 1941, la “bonté” politique, les blanches “vertus” du démocratisme planétaire sont incarnées, avant tout, par les démocrates américains. Par conséquent, si on ne suit pas leurs injonctions, on plonge dans le “mal”, dans le “crypto-nazisme” ou dans une résurgence quelconque de l’hitlérisme. Cet immense simplisme est profondément ancré dans les mentalités contemporaines et malheur à qui tente de l’extirper comme une mauvaise herbe! De fait, les réseaux pro-américains sont nés, en Europe, dans les années 40, sous l’impulsion de l’Administration Roosevelt, d’obédience démocrate; l’atlantisme militant avait au départ un ancrage plutôt social-démocrate (à l’exception de Schumacher en Allemagne de l’Ouest), que conservateur ou même libéral au sens européen du terme à l’époque.
La participation des pays européens de l’OTAN, France chiraquienne comprise, aux bombardements des villes serbes, est l’indice d’un parfait “écervèlement politique”: la politique de Clinton et de son adjointe Madeleine Albright (qui a eu pour étudiante Condoleezza Rice; vous avez dit continuité?) réintroduisait indirectement la Turquie dans les Balkans, en détachant de la Serbie comme de la Croatie, et en dépit des peuplements serbes ou croates, les anciennes provinces ottomanes du tronc commun, induisant ainsi l’émergence d’une “dorsale islamique” de la Méditerranée à l’Egée et à la Mer Noire. Tous les Etats voisins s’en trouvaient fragilisés: la Macédoine, la partie de la Grèce entre Thessalonique et la frontière turque, la Bulgarie qui compte de dix à quinze pourcents de musulmans, souvent ethniquement turcs, sans compter la sécession du Kosovo, prévisible dès 1998. De plus, les minorités non musulmanes au sein des nouveaux Etats majoritairement musulmans sont menacées à terme en Albanie, au Kosovo, en Macédoine.
La création délibérée du chaos dans les Balkans n’est pas une politique démocrate, qui s’opposerait à une politique républicaine antérieure. Elle s’inscrit bien au contraire dans une parfaite continuité. Bush le père, Républicain, installe ses troupes en lisière de l’Irak de Saddam Hussein, contrôle l’espace aérien irakien et prépare ainsi la seconde manche, soit l’invasion totale de l’Irak, qui aura lieu, sous le règne de son fils, en 2003. Clinton, Démocrate, lui, s’empare du tremplin de l’Europe en direction du Proche et du Moyen Orient depuis l’épopée d’Alexandre le Grand. La maîtrise des Balkans et celle de la Mésopotamie participent d’une seule et même stratégie grand-régionale. L’empire macédonien-hellenistique d’Alexandre le Grand, l’empire ottoman ont toujours maîtrisé à la fois les Balkans et la Mésopotamie au faîte de leur puissance. C’est une loi de l’histoire. Les stratégistes américains s’en souviennent.
Les réseaux pro-américains étaient au départ socialistes
La guerre contre la Yougoslavie résiduaire de Milosevic en 1999, premier conflit de grande envergure en Europe depuis 1945, est donc le fait d’un président et d’une équipe issus du parti démocrate américain. C’est la raison pour laquelle les puissances européennes, grandes et petites, ont suivi comme un seul homme, contrairement à ce qui allait se passer en 2003, lors de l’invasion de l’Irak. Cette unanimité s’explique tout simplement parce que l’Europe place toujours sa confiance dans une Amérique démocrate, en se méfiant de toute Amérique républicaine. Pourquoi? Parce que, je le répète, les réseaux pro-américains ont émergé, lors de la seconde guerre mondiale, sous la double impulsion du Président américain et de son épouse Eleonor et que l’atlantisme militant, le “spaakisme” dit chez nous le Prof. Coolsaet de l’Université de Gand, avait un ancrage socialiste plutôt que conservateur (Pierre Harmel s’efforcera au contraire de se dégager de la logique des blocs, que Spaak avait bétonné).
En transformant le tremplin balkanique en une zone contrôlée par les Etats-Unis, le tandem Clinton/Albright neutralisait la région à son profit: celle-ci n’allait plus pouvoir constituer un atout pour le bloc centre-européen germano-centré ni pour une Russie régénérée qui aurait fait valoir ses anciens intérêts dans les Balkans. En 1999, l’Europe a perdu tous les atouts potentiels qu’elle avait gagnés à partir de 1989. Elle les a perdus parce qu’elle n’a pas cultivé le sens de son unité, parce qu’elle n’a pas une vision claire de son destin géopolitique. En 2001, suite aux “attentats” de New York, l’Amérique parachève son projet “alexandrin” en s’emparant rapidement de la zone orientale de l’antique Empire du chef macédonien. En 2003, lorque le fils Bush entend terminer le travail de son père en Mésopotamie, l’Europe semble se réveiller et crée autour de Paris, Berlin et Moscou un front du refus que les services américains fragilisent aussitôt en semant le dissensus entre cet “Axe”, nouveau et contestataire, et de petites puissances comme les Pays-Bas, la Pologne, la République Tchèque et les Pays Baltes, tout en bénéficiant de l’appui de la Grande-Bretagne et de la pusillanimité de l’Espagne et de l’Italie. On se souviendra de la distinction opérée entre “Vieille Europe”, aux réflexes dictés par la diplomatie classique, et “Nouvelle Europe”, alignée sur la logique du fait accompli des néo-conservateurs.
“Révolutions colorées” et pétrole
Les services américains et le soft power de Washington, vont s’activer pour vider l’Axe Paris Berlin Moscou de son contenu: de Villepin en France est éliminé de la course à la présidence, à la suite d’un dossier de corruption sans doute préfabriqué, au bénéfice de Sarközy, qui mènera, comme on le sait, une politique pro-atlantiste. Le social-démocrate allemand Schröder devra céder la place à Angela Merkel, plus sceptique face au bloc continental européen, plus prompte à tenir compte des exigences des Etats-Unis. Schröder demeure toutefois en place, en gérant de main de maître les relations énergétiques entre l’Allemagne et la Russie. Les révolutions orange, qui ont éclaté en Ukraine, en Géorgie, en Serbie (avec “Otpor”) ou au Kirghizistan ne sont donc pas les seules interventions des services et du soft power: en Europe occidentale aussi la politique est manipulée en sous-main, l’indépendance nationale et/ou européenne minée à la base dès qu’elle tente de s’affirmer, par le biais de la manipulation des élections et des factions. Dans l’avenir, un bloc européen indépendant devrait s’abstenir de reconnaître les gouvernements issus de “révolutions colorées”.
En Géorgie, le pouvoir mis en place par la “révolution des roses” a pour objectif de garantir le bon déroulement de la politique pétrolière américaine dans le Caucase et en lisière de la Caspienne. Pour les stratégistes américains, la Géorgie doit être un espace de transit pour les oléoducs et gazoducs amenant les hydrocarbures du Caucase et de la Caspienne vers la Mer Noire et vers la Méditerranée via la Turquie. De là, ils parviendraient en Europe sous le contrôle américain. Le malheur de l’Europe, c’est de ne pas avoir de pétrole. Nous devons acheter la majeure partie de nos hydrocarbures en Arabie Saoudite ou dans les Emirats par l’intermédiaire de consortiums américains. L’affrontement russo-géorgien de l’été 2008, à propos de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, a pour enjeu réel l’énergie. Pour échapper à la dépendance énergétique, l’Europe doit tenter, par tous les moyens techniques possibles, d’abord, de réduire cette dépendance pétrolière en pariant sur des sources propres comme l’énergie nucléaire et toutes les autres sources imaginables et réalisables, selon une optique de diversification adoptée mais non parachevée en son temps par la France gaullienne. Les panneaux solaires constituent une première alternative parfaitement généralisable dans notre pays: en effet, pourquoi les ménages qui constituent notre nation ne pourraient-ils pas générer leur propre électricité domestique, ou une bonne part de celle-ci, sans passer par des fournisseurs contrôlés par l’étranger comme “Electrabel”, entièrement aux mains de l’ennemi héréditaire français, qui occupe depuis trois siècles et demi près des trois quarts du territoire du Grand Lothier! Certaines voix nous disent: par année, le nombre de journées d’ensoleillement est trop restreint en Belgique par rapport à la zone méditerranéenne pour constituer une alternative au pétrole. Peut-être. Mais un pays comme la Norvège, disposant pourtant de pétrole propre, la technique des panneaux solaires génère 50% de l’énergie domestique de ses ménages dans un pays où l’ensoleillement moyen est bien plus réduit que chez nous. Notre objectif premier est la réduction graduelle de la dépendance, non pas l’obtention immédiate d’une autarcie totale.
Pacte de Shanghai et initiatives ibéro-américaines
Nous venons de voir que l’emprise américaine sur notre politique étrangère est complète. Elle détermine aussi notre politique énergétique. L’Amérique séduit les esprits (ou plutôt les masses écervelées) par le truchement de son soft power omniprésent. Le princpal danger qui nous guette dans l’immédiat en Europe est la disparition graduelle et silencieuse des espaces encore neutres. Les pays qui ont gardé le statut de neutralité lorgnent de plus en plus vers l’OTAN. Je rappelle que notre position initiale, calquée sur celle du Général Jochen Löser dans les années 80 en Allemagne fédérale, visait au contraire l’élargissement de l’espace neutre en Europe. Non le contraire! Löser entendait élargir le statut de la Suisse, de l’Autriche, de la Yougoslavie, de la Finlande et de la Suède aux deux Allemagnes, aux Etats du Benelux, à la Pologne, à la Tchécoslovaquie et à la Hongrie. Aujourd’hui, ces trois derniers pays font partie de l’OTAN et en sont même devenus les élèves modèles. De fiers représentants de la “Nouvelle Europe”, telle que l’a définie Bush jr. L’Europe, totalement abrutie par les propagandes distillées par le soft power, ne peut constituer, pour l’instant, dans les conditions actuelles, un espace de renouveau politique, exemplaire pour la planète entière. Les seuls môles de résistance cohérents se situent aujourd’hui en Asie et en Amérique latine. En Asie, la résistance s’incarne dans le “Pacte de Shanghai” et en Amérique latine dans les initiatives du Président vénézuélien Hugo Chavez, alliant, avec les autres contestataires ibéro-américains, les corpus doctrinaux péronistes, castristes et continentalistes qui, fusionnés, permettent aux Etats ibéro-américains de créer des structures unitaires capables de refouler l’ingérence traditionnelle des Etats-Unis dans leurs affaires politiques et économiques, au nom d’une idéologie soi-disant panaméricaniste, forgée au temps de la politique du “Big stick” de Teddy Roosevelt.
Sans le “Pacte de Shanghai” et sans la volonté indépendantiste et continentaliste des Ibéro-Américains, la domination américaine sur le monde serait totale, comme elle est quasiment totale en Europe depuis la liquidation du gaullisme par Sarközy et le “mobbing” systématique de la Suisse et de l’Autriche (affaires Waldheim et Haider). Les espaces potentiels de résistance se font de plus en plus rares: il reste des bribes de gaullisme en France, de bons réflexes neutralistes en Allemagne, une volonté de conserver le statut de neutralité en Autriche, en Suisse et en Suède; l’opinion publique en Belgique, d’après un sondage récent, craint davantage les initiatives bellicistes américaines que celles de la Russie de Poutine (en dépit de la propagande russophobe du “Soir”), alors qu’en Allemagne, où la russophilie de bon nombre de cercles établis est plus solidement ancrée, Washington et Moscou sont mis sur pied d’égalité.
“Volksgezindheid” et solidarisme
Pour faire éclore un môle de résistance en Flandre, il me paraît opportun de dire aujourd’hui qu’il devrait reposer sur deux piliers: la “volksgezindheid” (le populisme au sens défini par la tradition herdérienne ou par la tradition slavophile russe) et le solidarisme. La “volksgezindheid” est un sentiment plus profond que le “nationalisme” car il ne découle pas uniquement d’une option politique mais aussi et surtout d’un amour du passé et de la culture du peuple dont on ressort. Le terme “nationalisme”, de surcroît, recouvre des acceptions bien différentes selon les pays (14). L’utiliser peut semer la confusion, tandis que le terme “volksgezind”, lui, indique bien la teneur de notre propre tradition. Le solidarisme est un terme délibérément choisi pour remplacer celui de “socialisme”, désormais grevé de trop d’ambiguïtés ou assimilé à des déviances de tous ordres qui font que les socialistes officiels sont tout sauf socialistes. Le solidarisme devra exprimer dans l’avenir un socialisme sans atlantisme (à la Spaak ou à la Claes), un socialisme sans les “consolidations” à la Di Rupo (quand il s’agissait de privatiser la RTT pour qu’elle devienne “Belgacom”), un socialisme qui défende la solidarité de tous les producteurs directs de biens et de services contre les féodalités administratives et parasitaires. Un tel solidarisme découle aussi, pour ceux qui ont encore une culture classique, de la fameuse “fable de l’estomac” de la tradition romaine: “tous les organes de la communauté populaire servent les autres et construisent de concert l’harmonie”.
Une volonté de renouveau politique général basée sur la “volksgezindheid” et le solidarisme fera immédiatement se dresser devant elle des ennemis implacables. L’affirmation des valeurs populaires et solidaires implique automatiquement de désigner leurs ennemis, selon la formule de Carl Schmitt. Identifions-en trois aujourd’hui: 1) les médias formatés par le soft power américain; 2) l’idéologie néo-libérale, nouvel universalisme araseur des spécificités populaires et des politiques sociales, permettant le renouveau des élites (au sens où l’entendait Gaetano Mosca et Vilfedo Pareto); 3) l’idéologie festiviste qui noie les peuples dans l’impolitisme.
Le cas Verstrepen
“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent de lutter contre tous les phénomènes culturels qui ne découlent pas naturellement d’une matrice populaire (la nôtre ou celle d’un autre peuple réel) mais nous sont imposés par le soft power internationaliste et cosmopolite. Un exemple: vous vous rappelez tous de ce journaliste branché, Jürgen Verstrepen, égaré, on ne sait trop pourquoi, dans le mouvement national flamand, où il s’était fait élire. Dans un entretien récent, accordé à l’hebdomadaire de variétés “Dag allemaal”, ce Verstrepen se plaignait du “passéisme” de ses co-listiers, qui chantaient des chants traditionnels, qu’il posait d’emblée comme “ringards” ou désuets, un “ringardisme” et une désuétude qui suscitait chez lui un avatar de ce même effroi ressenti par les dévots devant les oeuvres réelles ou supposées du Malin. Toute expression de la culture vernaculaire suscite donc en lui, à l’entendre, le dégoût du progressiste, pour qui rien d’antérieur aux panades médiatiques ou de différent d’elles n’a le droit d’exister. Et plutôt que d’aller se recueillir dans une belle abbaye bourguignonne, comme son parti le lui avait suggéré, il préférait flâner dans un “mall” pour se choisir des fringues branchés, des bouts de chiffon marqués d’un logo, en compagnie d’une autre députée-gadget, allergique aux racines. Inconsciemment, dans son entretien à “Dag allemaal”, Verstrepen révélait un état de choses bien contemporain: la lutte entre le vernaculaire matriciel, les racines et la culture traditionnelle, d’une part, et le médiatiquement branché, d’autre part. Reste une question: comment conciliait-il, ce Verstrepen, dans son cerveau soumis à l’homogénéisation postmoderniste, ce culte dévot du médiatiquement branché et son aspiration à lutter contre le “politiquement correct”? On ne peut aduler l’un et lutter contre l’autre: on ne peut, de notre point de vue, que les rejeter tous deux. On ne peut être atlanto-hollywoodien, succomber à la séduction du babacoolisme californocentré et se réclamer simultanément d’un “nationalisme” en lutte contre l’idéologie liberticide du “politiquement correct”. Verstrepen incarne bien l’incohérence de bon nombre de nos contemporains dans la Flandre d’aujourd’hui. Espérons que la crise va leur dessiller les mirettes. Car le soft power a promu le néo-libéralisme, cause de la crise, en même temps que les manipulations médiatiques, les modes (captatrices d’attentions) et le festivisme.
“Volksgezindheid” et solidarisme impliquent donc de lutter contre toutes les formes de néo-libéralisme que l’on nous a imposées depuis Thatcher et Reagan, depuis le début de la décennie 80. Nos admonestations, jusqu’ici, surtout celles, au début de notre aventure, de Georges Robert et Ange Sampieru, n’y ont rien changé. G. Robert et A. Sampieru étaient très attentifs aux productions des éditions “La Découverte” qui amorçaient déjà la critique du libéralisme outrancier qui pointait à l’horizon. Aujourd’hui, dans le monde occidental, l’américanosphère, l’espace euro-atlantique, dans la Commission européenne complètement inféodée à l’idéologie néo-libérale, la domination de cette idéologie est totale. Et la crise de ce début d’automne 2008 laisse entrevoir quelles en seront les conséquences catastrophiques, avec pour seule consolation que le système a appris à freiner les effets des crises et des récessions, à les délayer dans le temps. La crise prouve que la recette néo-libérale ne fonctionne pas: tout simplement. En attendant, les délocalisations perpétrées depuis près d’une trentaine d’années laissent l’Europe privée d’un tissu de petites et moyennes industries, pourvoyeuses de travail, et affligée d’un secteur tertiaire improductif qui n’offre que des emplois détachés du réel de la production et injecte dans les mentalités une idéologie délétère du “non-travail” (dénoncée très tôt par Guillaume Faye dans un texte que de Benoist avait refusé de publier). Cette idéologie du non-travail est aussi celle du festivisme: elle a servi d’édulcorant intellectuel pour justifier le processus de démantèlement de nos tissus industriels locaux, par le truchement des délocalisations vers l’Extrême-Orient, l’Afrique du Nord ou la Turquie (surtout le textile) et pour exalter le travail non productif du secteur tertiaire, devenu dangereusement inflationnaire.
Néo-libéralisme et altermondialisme
L’avènement du néo-libéralisme a été rendu possible par une bataille métapolitique. On se rappellera l’engouement pour Hayek, qu’on exhumait de l’oubli en même temps que les “think tanks” de Mme Thatcher dès la fin des années 70. On insistait principalement sur son pamphlet “The Road to Serfdom” et non pas tant sur les dimensions organiques (et parfois intéressantes) de sa théorie économique, axée sur la notion de “catallaxie” (laisser faire les choses naturellement sans interventions étatiques volontaristes). L’infiltration néo-libérale du discours dominant a surtout été le fait des “nouveaux philosophes”, dont nous venons d’expliciter le rôle, et de personnages ultra-médiatisés comme Jacques Attali, biographe de banquiers, et Alain Minc, propagateur principal de la nouvelle vulgate dans les gazettes conservatrices. Nul mieux que François Brune, collaborateur du “Monde Diplomatique”, n’a défini l’idéologie contemporaine, dans son ouvrage “De l’idéologie, aujourd’hui” (Ed. Parangon/L’Aventurine, Paris, 2003): “L’idéologie est omniprésente: dans les sophismes de l’image, le battage événémentiel des médias, les rhétoriques du politiquement correct, les clameurs de la marchandise. Machine à produire du consentement, elle démobilise le citoyen en le vouant à l’ardente obligation de consommer, de trouver son identité dans l’exhibition mimétique (ndlr: niet waar, Meneer Verstrepen?), sa liberté dans l’adhésion au marché, et son salut dans la ‘croissance’... C’est cela l’idéologie d’aujourd’hui: une vaste grille mentale, faussement consensuelle, qui prescrit à chacun de se taire dans son malheur conforme, et qui aveugle nos sociétés sur la catastrophe planétaire où ses modèles socio-économiques entraînent les autres peuples” (présentation de l’éditeur).
Le système, en lançant l’opération du néo-libéralisme dès la fin des années 70, devinait bien que cette idéologie finirait par rencontrer assez vite des résistances diverses. Deux objectifs allaient dès lors être les siens: 1) empêcher la fusion de ces résistances telles que l’avait préconisée le théoricien ex-communiste Roger Garaudy (soit empêcher les complots “rouges-bruns”, comme s’y sont employés le journal “Le Monde” de Plenel à Paris et certains cercles ou personnalités autour du PTB/PvdA en Belgique); 2) créer une résistance artificielle (l’altermondialisme), de manière à neutraliser toute résistance réelle. L’altermondialisme énonce un tas d’idées intéressantes et séduisantes. Mais il les énonce sans une assise politico-étatique et géographique précise, sans un ancrage tellurique, condition sine qua non pour lui conférer une épaisseur réelle. Tout empire, et tout challengeur d’empire, s’arc-boute sur un terrain: l’hegemon américain d’aujourd’hui ne fait pas exception. Il dispose d’un territoire aux dimensions continentales. Il pratique le protectionnisme et une bonne dose d’autarcie, tout en prêchant aux autres de ne pas adopter les mêmes attitudes et en les maintenant ainsi en état de faiblesse. Si l’hegemon développe un “réseau”, il le fait au départ d’une vaste base logistique, soit au départ de son propre territoire biocéanique, de l’Atlantique au Pacifique, et de son prolongement pacifico-arctique, l’Alaska. Pour créer l’illusion d’une résistance planétaire, les services de diversion ont forgé le concept de “réseau” (qui a séduit le “parigogot” de Benoist, l’homme qui cherche sans cesse le statut de vedette du jour, au détriment de toute rigueur de jugement).
Ce n’est pas le “réseau” qui est contestataire mais les vieilles strucutres étatiques et impériales
L’altermondialisme militant entend être le seul grand réseau contestataire de l’établissement mondial. Mais depuis les émeutes bien médiatisées de Gênes ou de Nice, on ne voit pas très bien quel ébranlement du système en place ce fameux “réseau” a pu produire. La thèse de Michael Hardt et Toni Negri sur l’“Empire”, dont les assises seront “un jour” définitivement sapées par le “réseau altermondialiste”, s’avère un leurre. Au temps de la Guerre Froide, les services américains avaient su faire émerger des “communistes de Washington” (pour reprendre l’expression de Jean Thiriart); il recycle désormais, en la personne de Toni Negri, d’anciens “terroristes” pour une opération de diversion d’envergure planétaire, qui absorbe et neutralise la contestation, en la médiatisant, en la transformant en un pur “spectacle” (Guy Debord), car nos contemporains, formatés comme les citoyens d’Océania, dans le “1984” d’Orwell, croient davantage aux images (télévisées) qu’aux faits (vécus), au spectacle qu’au réel. La résistance au système mondialiste américano-centré ne se retrouve pas, en réalité, dans un “réseau” planétaire de contestataires “babacoolisés” ou de nervis shootés à la cocaïne mais provient bien davantage de structures étatiques et impériales classiques, profondément ancrées dans le temps passé: Groupe de Shanghai avec une Chine aux traditions politiques millénaires, une Russie de Poutine qui retrouve sa mémoire, un indépendantisme ibéro-américain dans l’esprit du Mercosur et du président vénézuélien Chavez.
Combattre le festivisme
Enfin, après le “soft power” et le “néo-libéralisme”, le troisième aspect du système général d’ahurissement des masses et de déracinement, qu’il s’agit de combattre à outrance, est représenté par l’ambiance “festiviste”, celle que dénonçait avec force vigueur le philosophe français, récemment et prématurément décédé, Philippe Muray. Dans son tout dernier ouvrage, “Festivus festivus” (Fayard, 2006), Muray prononce un réquisitoire aussi virulent que tonifiant contre ce qu’il appelle le festivisme, mode de fonctionnement des sociétés occidentales avancées. Dans le long entretien, qu’est ce livre, avec la journaliste et philosophe vraiment non conformiste Elizabeth Lévy, Muray, dans son chant du cygne, fustige une société qui fonctionne uniquement sur le mode de la fiction médiatique, un mode qui vise la désinhibition totale, l’exhibition de tout ce qui auparavant était “privé”, “intime” et “secret” (dont évidemment les attributs et les pratiques sexuels). Le pouvoir, explique Muray, s’exercera avec une acuité maximale, quand les dernières enclaves du “secret” seront divulguées et exhibées, quand les dernières limites et les dernières distances (et les distances sociales font la civilisation, la promiscuité l’abolissant) auront été franchies et supprimées. La télévision avec ses émissions exhibantes (“Loft Story”, etc.) est l’instrument de ce pouvoir qui annonce la fête permanente et l’impudeur universelle, dans l’intention d’évacuer les îlots de “sériosité”, établie ou alternative, afin d’empêcher tout retour à un passé moins trivial ou toute préparation d’un futur cohérent. L’impudeur universelle brouille toutes les frontières et annonce un amalgame planétaire de promiscuité et d’indifférenciation, sous le signe de l’infantilisme “touche-pipi” et de l’ “adultophobie”.
Dans un ouvrage antérieur, intitulé “Désaccord parfait”, Muray qualifiait de “société disneylandisée” toute société “où les maîtres sont maîtres des attractions et les esclaves spectateurs ou acteurs de celles-ci”. Le “soft power” va donc imaginer et préfabriquer des “attractions”, pour tuer dans l’oeuf toute pensée libre, toute spontanéité créatrice ancrée dans le génie populaire, en substituant au créateur libre et spontané issu du peuple (celui de Rabelais et des carnavals contestataires) l’animateur officiel ou subsidié, et subsidié seulement après être passé sous les fourches caudines de l’idéologie imposée, après avoir appris son unique leçon qu’il répétera jusqu’à la consommation des siècles. Le “néo-libéralisme” va prospérer en marge de cette grande fête artificielle, forgée de toutes pièces, bien encadrée par de petits flics à gueule de bon apôtre, en dépit de son désordre apparent, qui étouffera d’emblée toute révolte vraie. Par l’action des anciens contestataires arrivés au pouvoir, le “mixtum compositum” de mai 68 se réduira ainsi progressivement à ses seules dimensions festives, libidineuses et ludiques, tirées, par les agents de l’OSS, du livre “Eros et civilisation” d’Herbert Marcuse voire des vulgates caricaturales issues du freudo-marxisme de Reich, dont ils fabriqueront un “prêt-à-penser” allant dans le sens de leurs desseins. Dans son meilleur ouvrage, désormais un classique, “L’Homme unidimensionnel”, Marcuse craignait l’avènement d’une humanité formatée, réduites à ses seuls besoins matériels; il avait raison; mais les règles de ce formatage, c’est lui, probablement à son corps défendant, qui les a fournies au système. On a formaté et on a trouvé l’édulcorant dans sa définition de l’ “éros”, que l’on a quelque peu sollicitée pour les besoins de la cause. Ce ne sont pas les rigidités du monde totalitaire du “1984” d’Orwell mais le “Brave New World” de Huxley, avec ses paradis artificiels, que l’on tente de nous infliger.
Mort du “zoon politikon” et mort des peuples
Les bourgmestres (ou “maires”) de Paris et de Berlin, Delanoë et Wowereit, ou l’échevin Simons de Bruxelles, tout le socialisme français actuel (surtout à la gauche de Ségolène Royale) ont pour objectif stratégique réel (et à peine occulté) d’occuper les “citoyens” à toutes sortes de festivités, de concerts, de happenings, de “gay prides”, de “zinneke parades”, de manifestations antiracistes ou autres, afin qu’ils ne s’occupent plus directement de politique, afin qu’ils oublient définitivement ce qu’ils sont, la trajectoire dont ils procèdent. L’objectif? Eradiquer l’essence de l’homme qui est, dit Aristote, un “zoon politikon”. Il s’agit de distraire à tout prix l’imaginaire humain de toute tradition ou réalité historique. En Occident, dans le complexe atlantiste franco-anglo-américain selon la définition qu’en donnait mon professeur Peymans fin des années 70, la domination des castes mercantiles ou du tiers-état bourgeois français, a percuté, abîmé et détruit les ressorts les plus intimes des peuples (Irlande exceptée), si bien que Moeller van den Bruck, le traducteur de Dostoïevski, pouvait affirmer que quelques décennies de “libéralisme” suffisaient pour détruire définitivement un peuple.
Le festivisme, mode par lequel s’exprime le despotisme contemporain, contribue à donner l’assaut final aux ressorts intimes des peuples: il en pénètre le noyau le plus profond et y sème la déliquescence. Philippe Muray, pour revenir à lui, réactualise de manière véritablement tonifiante la critique de la “société du spectacle”, énoncée dans les années 60 par Guy Debord et l’école situationniste, tout en jetant un éclairage neuf et très actuel sur le processus de dissolution à l’oeuvre dans la sphère occidentale.
Lega Nord et FPÖ
Pour articuler une résistance à l’échelle européenne, pour traduire dans les faits nos options philosophiques et nos aspirations historiques, deux partis identitaires peuvent nous servir de modèle: la Lega Nord d’Italie du Nord et la FPÖ autrichienne. Je ne vois pas grand chose d’autre. Pourquoi? Parce que ce sont les deux seuls mouvements identitaires de masse qui affichent ou ont affiché clairement des options “non-occidentistes”. La “Lega Nord” et son quotidien “La Padania” ont eu une attitude très courageuse en 1999, quand l’OTAN bombardait la Serbie. Le journal et le “Senatur” Umberto Bossi n’ont pas hésité à fustiger vertement les Américans et leurs complices bellicistes en Europe. Ensuite, à la base de cette ligue, il y a un manifeste, “Come cambiare?” (“Comment changer?”), dû à la plume du grand juriste Gianfranco Miglio. Ce manifeste dénonce les travers de la partitocratie italienne, qui est si semblable à la nôtre. Les leçons de Miglio peuvent donc être directement retenues par tout militant politique de chez nous. La clarté des arguments et des suggestions de Miglio, que j’ai eu l’honneur de rencontrer en 1995 dans sa magnifique bibliothèque privée à Côme, nous permettrait de développer rapidement l’esquisse d’un contre-pouvoir (cf.: “L’Italie toute chamboulée...”, Entretien avec Gianfranco Miglio, propos recueillis par Andreas K. Winterberger, in; “Vouloir”, n°109-113, octobre-décembre 1993; Alessandro Campi, “Au-delà de l’Etat, au-delà des partis: la théorie politique de Gianfranco Miglio”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Luciano Pignatelli, “Les idées pratiques de Gianfranco Miglio: comment changer le système politique italien”, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; “Quelques questions à Gianfranco Miglio”, propos recueillis par Francesco Bergomi, in: “Vouloir”, n°109-113, oct.-déc. 1993; Robert Steuckers, “La Ligue lombarde”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “L’Etat moderne est dépassé!”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Carlo Stagnaro, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°46, juin-juillet 2000; “Pour une Europe impériale et fédéraliste, appuyée sur ses peuples”, Entretien avec le Prof. Gianfranco Miglio, propos recueillis par Gianluca Savoini, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°48, octobre-décembre 2000).
Dans l’orbite de la FPÖ, l’hebdomadaire “zur Zeit”, dirigé par Andreas Mölzer à Vienne, recèle chaque semaine des pages d’actualité internationale sans concession aucune à l’américanisme ambiant. Jörg Haider est décédé ce matin dans un accident d’automobile mais, en dépit de sa rupture récente avec la FPÖ et de son option personnelle en faveur de l’adhésion turque, il demeurera pour moi l’auteur impassable du livre-manifeste “Die Freiheit, die ich meine” (= “La liberté comme je l’entends”). La partitocratie autrichienne présentait, avant les coups de butoir de la FPÖ, d’étonnantes analogies avec la nôtre. La critique générale du système politique autrichien, telle que Haider l’a formulée, est très technique comme celle de Miglio. Mais elle ne recourt à aucun langage abscons. Et suggère des pistes pour sortir de l’impasse politique. La clarté de ces manifestes a donné à la “Lega Nord” et à la FPÖ une formidable impulsion dans les débats publics et, partant, dans les batailles électorales (cf. Robert Steuckers, “Autriche: Haider, le Capitaine du pays”, in: “Le Crapouillot”, nouvelle série, n°119, mai-juin 1994; “Nous sommes en avance sur notre temps!”, Entretien avec Jörg Haider, propos recueillis par Andreas Mölzer, in: “Au fil de l’épée” recueil n°8, février 2000; “Rafraîchir la mémoire des coalisés anti-Haider!”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°8, février 2000; Mauro Bottarelli, “Haider contre Chirac: non à l’UE centraliste et parisienne – la bonne santé de l’économie autrichienne”, in: “Au fil de l’épée”, recueil n°12, août 2000 – article traduit du quotidien “La Padania”, 11 juillet 2000).
Les succès constants de ces partis, leur impact indéniable sur le débat politique et sur les réformes en cours prouvent que les deux manifestes, que j’évoque ici, recèlent bel et bien les bonnes recettes. Si elles valent pour l’Autriche et pour l’Italie, elles devraient valoir pour nous, vu que les systèmes politiques de ces deux pays et leurs dysfonctionnements sont similaires et comparables aux nôtres. Et, qui plus est, la vision géopolitique de ces deux formations est européiste et anti-atlantiste, éléments essentiels pour une critique solide et positive du système en place qu’aucun parti ou mouvement n’a repris chez nous, rendant du même coup caduque toute efficacité concrète.
Les hommes de gauche qui ont opéré les bon aggiornamenti...
Pour nous servir d’inspiration complémentaire, nous ajouterions le corpus établi par des personnalités de gauche, devenues non conformistes au fil du temps, comme la famille de Rudy Dutschke ou son compagnon Bernd Rabehl, qui s’expriment régulièrement dans l’hebdomadaire berlinois “Junge Freiheit”; ou comme Günther Rehak en Autriche, ancien secrétaire du Chancelier socialiste Bruno Kreiski; en Suisse romande, toujours dans l’arc alpin, le mouvement “Unité populaire” parvient à nous livrer chaque semaine sur l’internet des analyses ou des réflexions dignes d’intérêt pour tous ceux qui rêvent à l’avènement d’un solidarisme qui soit capable de dépasser les contradictions et les enlisements du socialisme établi. En Italie, le quotidien romain “Rinascita”, issu du nationalisme classique, se présente actuellement comme le journal de la “sinistra nazionale” et opte pour une perspective européiste et eurasiste, anti-impérialiste et anti-capitaliste. Nos sources d’inspiration ne doivent pas se limiter aux seuls mouvements qui se donnent, à tort ou à raison, les étiquettes de “national”, de “régionaliste” ou d’ “identitaire”. Des cénacles, anciennement ou nouvellement classés à gauche sur les échiquiers politiques en Europe, ont procédé avec intelligence aux bons aggiornamenti: ils ont refusé toutes les involutions en direction des pistes suggérées par la “nouvelle philosophie” et ses satellites et ont rejeté l’attitude de ceux qui, en dépit de leur vibrant militantisme d’il y a quelques décennies, demeurent, par paresse intellectuelle, des “compagnons de route” des partis sociaux-démocrates partout en Europe. La posture du “compagnon de route” est le plus sûr moyen de s’enliser, de faire du sur place, d’entrer dans la spirale infernale du déclin, un déclin engendré par le “mimétisme” qui ne produit plus aucune différence (ni “différAnce” pour faire un clin d’oeil à Derrida), mais reproduit sans cesse, sur un ton morne, le même et le même du même. C’est le plus sûr moyen de devenir les béni-oui-oui du système, ses chiens de Pavlov.
La création d’un espace stratégique euro-sibérien est inséparable d’un remaniement complet de nos institutions nationales, dans le sens de la “volksgezindheid” et du solidarisme, dans le sens de la critique anti-partitocratique de Miglio et Haider, afin d’immuniser totalement ces institutions contre les bacilles du soft power jacobin ou américain.
C’est tout ce que j’ai voulu vous dire cet après-midi.
Robert Steuckers,
Octobre 2008.
NOTES :
(1) William ENGDAHL, “Pétrole – une guerre d’un siècle – L’ordre mondial anglo-américain”, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2007.
(2) La parution de cet article, dans une publication du “Parti Communautariste National-Européen” avait induit l’inénarrable comploteur parisien Alain de Benoist, via son zélé vicaire campinois, à exciter un brave citoyen allemand, membre de la “DESG” (= “Deutsch-Europäische Studiengemeinschaft”), une association basée à Hambourg qui s’apprêtait alors à fusionner avec “Synergies Européennes”, à tenter un ultime baroud (de déshonneur) pour torpiller cette fusion. L’homme, honnête, naïf et manipulé, a échoué dans ses manoeuvres. Il s’est dûment excusé quelques mois plus tard, à l’occasion d’un séminaire DESG/Synergies sur les relations germano-russes et euro-russes et sur la problématique de l’eurasisme, tenu à Lippoldsberg. Il avait enfin compris que l’instigateur de cette bouffonerie était un comploteur pathologique et que son vicaire n’était qu’un pauvre bas-de-plafond. Forcément: pour servir un tel maître...
(3) Cf. L. SIMMONS, “Van Duinkerke tot Königsberg – Geschiedenis van de Aldietsche Beweging”, Uitgeverij B. Gottmer, Nijmegen,1980. Voir également: Alan SPANJAERS, “Constant Hansen”, in: “Branding”, n°2/2008.
(4) Dexter PERKINS, “Storia della dottrina di Monroe”, Il Mulino, Bologna, 1960.
(5) Alain GOUTTMAN, “La Guerre de Crimée 1853-1856, la première guerre moderne”, Perrin, 1995; vor également : “The Collins Atlas of Military History”, Collins, London, 2004.
(6) Jacques HEERS, “Les Barbaresques - La course et la guerre en Méditerranée – XIV°-XVI° siècle”, Perrin, Paris, 2001-2008.
(7) Robert STEUCKERS, “Constantin Frantz”, in: “Encyclopédie des Oeuvres philosophiques”, PUF, 1992.
(8) Richard MOELLER, “Russland – Wesen und Werden”, Goldmann, Leipzig, 1941.
(9) L’ouvrage le plus complet pour aborder cette thématique si complexe est le suivant: Gerd KOENEN, “Der Russland-Komplex – Die Deutschen und der Osten 1900-1945”, C. H. Beck, Munich, 2005.
(10) Günther HASENKAMP, “Gedächtnis und Leben in der Prosa Valentin Rasputins”, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1990.
(11) Wolfgang STRAUSS, “Die Neo-Slawophilen – Russlands konservative Revolution”, in: “Criticon”, Munich, n°44, 1977. Cf. Robert STEUCKERS, “Wolfgang Strauss: les néo-slavophiles ou la révolution conservatrice dans la Russie d’aujourd’hui”, in “Pour une renaissance européenne”, Bruxelles, n°21, 1978.
(12) Alexander YANOV, “The Russian New Right – Right-Wing Ideologies in the Contemporary USSR”, Institute of International Studies, University of California, Berkley, 1978.
(13) Cf. Robert STEUCKERS, “Adieu au Général-Major Jochen Löser”, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°50, mars-avril 2001. Cf. également: Detlev KÜHN, “En souvenir d’un soldat politique de la Bundeswehr: le Général-Major Hans-Joachim Löser”, ibidem. Ces deux textes figurent sur: http://euro-synergies.hautetfort.com .
(14) Cf. nos deux études sur le nationalisme: Robert STEUCKERS, “Pour une typologie opératoire des nationalismes”, in: “Vouloir”, n°73/74/75, printemps 1991; Robert STEUCKERS, “Pour une nouvelle définition du nationalisme”, in: “Nouvelles de Synergies Européennes”, n°32, janvier-février 1998 (texte d’une conférence prononcée à Bruxelles le 16 avril 1997). On peut lire ces deux textes sur: http://euro-synergies.hautetfort.com.
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samedi, 29 août 2009
Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)
Brief Guillaume Fayes an seine Freunde (1987)
Liebe Freunde,
Als Kadermitglied und Funktionär des GRECEs seit 17 Jahre, habe ich seine Entfaltung, seinen Höhepunkt (1978-1982) und seinen Untergang (1982-1987) miterlebt.
Lange habe ich seinen Zerfall nicht akzeptiert und habe geglaubt, daß die Ursachen dieses Zerfalles konjunkturbezogen waren. Aber in Wirklichkeit sind diese Ursachen eher strukturell und, letzterhand positiv: der GRECE hat seine historische Aufgabe verwirklicht. Heute ist diese Aufgabe beendet. Die Arbeit der GRECE-Bewegung war wirklich grundsätzlich und kann heute befrüchtet werden. Es war eine konstruktive Arbeit, genauer die Rekonstruktion einer Ideologie und einer Weltanschauung. Die Bewegung hat auch Leute ausgebildet, die heute überall in der Zivilgesellschaft aktiv sind.
Deshalb, der dumme Wille, den GRECE “regenerieren” zu wollen, seine Botschaft steril zu wiederkauen und sie ständig so wiederholen, wie sie einst war, scheint mir heute völlig utopisch, unnötig und unmöglich zu sein. Ein solches nostalgisches Verhalten wäre nur eine Rückwärtsbewegung. Der GRECE war ein Erfolg. Es künstlich im Leben zu halten wollen, würde notwendigerweise zu einem Fiasko führen. Der GRECE hat seine metapolitische und kulturelle Aufgabe optimal beendet. Mit den Meilsteinen, die er gelegt hat, können wir uns orientieren, um sein Werk in anderer Form zu vertiefen und für die Zukunft zu gestalten. Eine solche Transformation ist nicht nur notwendig, weil unsere Zeit es fordert, aber auch um die gestrige Arbeit des GRECEs effizient zu machen. Wir müssen diesen geistig-intellektuellen Korpus mehr Potenz und so denkend, ihm organisationell eine andere Gestalt geben.
Hauptaufgabe ist es, die ideologische Erbschaft fruchtbar zu machen. Wir müssen jetzt, ab sofort, zurück zur Wirklichkeit und deshalb eine moderne und interventiongerichtete Strategie entwickeln. Das ist der Grund, warum wir denken, daß das Werk des GRECEs jetzt abgeschlossen ist. Darum, höre ich heute auf, Mitglied des GRECEs zu sein. Und ich hoffe, daß die meisten von euch die gleiche Analyse wie ich machen werden. Obwohl ich nicht mehr Mitglied des GRECEs bin, bleibe ich trotzdem ein treuer Mitkämpfer unseres Kampfgemeinschaft.
Zwei Neuorientierungen scheinen mir interessant: ab 1992 wird Europa anfangen, als eine reale politische Wirklichkeit zu existieren. Die Grenzen werden sich tatsächlich öffnen. Bald wird eine gemeinsame Währung kommen, usw. Wir müssen notwendigerweise diese Möglichkeiten benutzen, die uns unsere Feinde geben. Diese bauen praktisch einen europäischen Großraum für uns und geben uns so die Möglichkeit, eine gesamteuropäische Kampforganisation zu schaffen, die der Kern einer künftigen gesamteuropäischen Gemeinschaft für unsere eigene Weltanschauung sein wird.
Die Ideologie, die wir seit vielen Jahren innerhalb der GRECE-Denkfabrik ausgearbeitet haben, war von einer spezifischen Kernidee im Leben gehalten und diese Idee war die Befreiung des gesamteuropäischen Kontinents, damit an die Schaffung einer gesamteuropäischen Reichsgemeinschaft gearbeitet werden könnte. Aber eine solche Idee hat nie in der Geschichte Wirklichkeit gefunden.
Die Amerikaner leben in einer antiquierten Welt, weil der amerikanische Traum schon da ist, und deshalb, weil er da ist, ist er unwiederruflich alt. Der amerikanische Traum ist eine alte Sache, ist schon volle Wirklichkeit geworden. Aber unser Traum ist hypermodern, weil er noch nicht da ist, liegt vor uns in einer noch relativ fernen Zukunft. Deshalb ist unser Traum jugendhaft.
In diesem Sinn und mit einem Optimismus, die wir von dem Bewußtsein unserer in den GRECE-Jahren erarbeiteten Tradition und unserer langen Gedächtnis geerbt haben, kann unser Projekt entstehen und sich entfalten: wir werden eine flexible Organisation stiften, die nicht nur Frankreich-zentriert sein wird, aber sich überall in allen Ländern des Kontinents entwickeln wird, wir werden in allen möglichen Schichten und Dimensionen der Gesellschaft intervenieren, aber immer mit dem Vorhaben, eine Reichsvision für das künftige Europa zu schmieden.
Die zweite Neuorientierung ist die folgende: die Ideen, die der GRECE verbreitet hat, eben unter den völlig inadequaten Namen der “Neuen Rechten”, leben und verbreiten sich sehr weit über die engen Grenzen aller möglichen rechtskonservativen Denkschulen. Deshalb sollte die post-GRECE-istischen Nachfolger-Bewegung total modernistisch sein, alles, was die soziologische Rechte darstellt, überwinden, sich an allen neuen Impulsen aus der Gesellschaft öffnen, und hauptsächlich die nostalgisch-folkloristische Rechte eine definitive Absage erklären. Diese neue Bewegung wird als Beruf haben, alle Leute aus allen möglichen Horizonten zu gruppieren, wenn sie grundsätzlich unser Programm zustimmen. Zusammen müssen wir entschieden alle Formen der Abhängigkeit und der Unterwerfung, irgendeiner Rechten oder Linken gegenüber, zurückwerfen.
Ziel ist es, die Grundlagen einer Bewegung zu erarbeiten:
- 1. die sich in allen Ländern des Kontinents verbreiten wird;
- 2. die alle alten Schablone und Spaltungen überwindet;
- 3. die die Erbschaft unserer Arbeit in den GRECE-Jahren fruchtbar macht;
- 4. die als Ziel haben wird, konkret eine neue politische und aktive Elite zu schmieden, um positiv in der Zivilgesellschaft intervenieren zu können.
Eine solche Arbeit wird lang, schwer und mühsam sein. Sie ist aber lebenswichtig und soll sofort von jetzt ab angefangen werden. Es wäre auch notwendig und logisch, daß die meisten Mitglieder und Sympathisanten des GRECEs sich in dieser neuen Bewegung einen, weil diese die allein mögliche historische Kontinuität darstellen wird. Natürlich neue Menschen, die aus allen Horizonten zu uns kommen werden, werden sich mit uns in diesem Kampf verbrüdern. Um der realen Welt die Stirn bieten zu können, um in dieser realen Welt Aktion führen zu können, werden wir dringend diese neuen Menschen brauchen.
Auf der juridischen Ebene, ist der Kern dieser neuen Bewegung (die weder eine Partei noch ein Apparat ist!), die dazu bestimmt ist, neue Energie in unserer Bewegung einzufliessen, ist schon gestiftet worden. Er hat die juridische Gestalt einer Stiftung und heißt: EUROPA.
Diese neue Bewegung steht noch in seiner Vorbereitungsphase und wird nur real und konkret auf europäischer Ebene am Anfang des nächsten Uni-Jahres, also im September 1987 existieren. Geburtsstunde wird die Sommeruni 1987 sein, die wir im Region Nivernais Ende August halten werden (wir können über unseren üblichen Versammlungsort in der Provence dieses Jahres nicht verfügen). Während dieser Sommeruniversität werden wir die Grundlagen unserer künftigen Arbeit festlegen.
Es ist notwendig, daß viele von euch sich sofort einschreiben.
Jetzt zur Arbeit, liebe Freunde!
Mit meinen freundlichsten Grüßen,
Ihr, Guillaume Faye, Mai 1987.
00:10 Publié dans Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle droite, synergies européennes, métapolitique, guillaume faye, droite, conservatisme, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 28 août 2009
Les pistes manquées de la "Nouvelle Droite" - Pour une critique constructive
Archives de "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1999
Les pistes manquées de la «nouvelle droite»
Pour une critique constructive
Robert STEUCKERS
En avril/mai 1987, Guillaume Faye claquait la porte du GRECE, principale officine du mouvement politico-intellectuel français que les journalistes avaient appelé la «nouvelle droite», histoire de lui donner un nom médiatisable. Faye y était resté pendant près de quinze ans, il avait porté le mouvement à bout de bras à ses heures de gloire. Il en ressortait dégoûté. Dans un texte récapitulatif qu'il a rédigé et qui est paru fin 1998 dans un livre intitulé L’archéofuturisme (éd. L’Æncre, Paris), il exprime clairement son désappointement ; il avait dégagé, dans un mémorandum dont il ne souhaite pas la publication mais qu’il nous avait soumis, les écrasantes responsabilités d'Alain de Benoist dans l'échec de ce mouvement de pensée, fort prometteur au départ, parce qu'il voulait réactiver ce que les idéologies dominantes avaient refoulé et ce que les multiples réductionnismes à l’œuvre dans la société excluaient ou refusaient de prendre en compte. Dans L’archéofuturisme, Faye, avec un langage plus feutré que dans son mémorandum, énonce les tares du mouvement, nous indique quelles ont été les impasses dans lesquelles celui-ci s'est fourvoyé et enlisé (paganisme folklorique, gauchisme révisé, fétichisme pour des mots creux, etc.) . Ensuite, il nous esquisse onze pistes pour relancer une dynamique, qui ne devra pas nécessairement s'appeler la “nouvelle droite”, le concept ayant fait faillite, désormais grevé de trop d'ambigüités.
Les options philosophiques de Faye mettent l'accent sur le futurisme, sur la prospective davantage que sur l'archéologie ou la mémoire, même s'il dit clairement que toute prospective futuriste doit avoir des assises historiques, des référentiels archétypaux. Néanmoins, la lecture de ses textes, l'audition de ses discours montrent que la fulgurante personnalité de Faye n'a nulle envie d'être trop embarrasée, trop incapacitée par le poids d'un héritage, quel qu'il soit. Puisqu'il nous enjoint de pratiquer et de propager un “archéo-futurisme”, sorte de mixte d'hellénité idéale et de fulgurances à la Marinetti —que Faye situe volontiers dans un environnement urbain et architectural mêlant Vitruve et Mies van der Rohe— dressons à notre tour un bilan et esquissons un projet, pour ce volume qui a pour objectif premier d'inaugurer l'ère de la “post-nouvelle-droite”. Notre approche sera peut-être moins “futuriste” que celle de Faye, elle privilégiera les continuités historiques, sans pour autant sombrer dans les archaïsmes qui condamnent à l'inaction et “muséifient” les discours.
Une terminologie ambiguë
Mais avant de passer au vif du sujet, rappelons que le terme de « nouvelle droite » est trop ambigu : le « new right » des pays anglo-saxons s’assimile à un curieux mixte de vieux conservatisme, de néo-puritanisme religieux et de néo-libéralisme offensif (lors de la montée de Reagan au pouvoir) ; la « Neue Rechte » allemande a un passé résolument national-révolutionnaire ; la nouvelle droite française est essentiellement portée par une association de combat métapolitique, le GRECE (Groupement de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne). Nos critiques ne s’adressent pas à la « new right » anglo-saxonne, dont nous ne partageons pas les postulats et qui se déploie dans des aires politiques qui ne sont pas les nôtres, ni, a fortiori, à la « Neue Rechte » allemande dont nous nous sentons très proche, mais au GRECE (dont nous ne nions pas les acquis positifs) et à son « gourou », qui a toujours refusé toute direction collégiale, développé un culte puéril de sa personnalité, et s’est entouré d’hurluberlus dévots et sans culture, dont le cortège aurait inspiré Jérôme Bosch et fait la fortune du Dr. Freud. De club politico-culturel offensif et rupturaliste, le GRECE s’est transformé en une secte étriquée de copains plus ou moins farfelus, animée par un « Chancelier », sorte de gagman sexagénaire, grande gueule toujours occupée à monter des sketches au goût douteux, qui n’ont rien d’élitiste ni de philosophique ni de métapolitique. Triste épilogue…
Pourtant l’affaire GRECE n’avait pas commencé dans le gag (sauf si l’on se réfère à Roland Gaucher) (1). Le GRECE a constitué une réaction salubre contre la mainmise gauchiste-vulgaire sur les esprits dans les années 70. Cette réaction, cette volonté a permis de sortir du refoulement toute une panoplie de thématiques historiques ou organiques, d’introduire dans le débat les thématiques biologisantes ou les découvertes d’une psychologie différencialiste abordées aux Etats-Unis ou en Angleterre (Ardrey, Koestler, Eysenck, etc.). L’exploitation de l’œuvre de Konrad Lorenz et d’Irenäus Eibl-Eibesfeldt explique le franc succès du GRECE, explique aussi pourquoi nous avons été immanquablement attirés vers lui. Les numéros d’Eléments ou de Nouvelle école de 1975 à 1986 restent des sources de références incontournables. Malgré d’inévitables lacunes, dues à la faiblesse des moyens et des effectifs, le corpus prenait forme, lançait des débats, fécondait des esprits. Quelques adversaires de la ND ont reconnu l’importance de ses apports (Raymond Aron, par exemple).
Dans les années fortes de la ND, des dizaines de cadres ont été formés dans la discrétion, qui ont ensuite été injectés à divers niveaux de la vie politique ou culturelle de la France. A l’abri des regards, ces hommes et ces femmes continuent à faire du bon travail, dans des réseaux associatifs, dans des modules de recherches, chez des éditeurs... Mais ils ont abandonné la secte, ne la fréquentent plus, n’influencent malheureusement plus les jeunes qui y cherchent une voie et n’utilisent plus ce langage codé, repérable, stéréotypé, qui révèle une vulgate plutôt qu’une méthode.
La ND : un bon démarrage
Autre apport non négligeable de la ND : avoir contribué à « déculpabiliser » la culture dite de droite, diabolisée depuis 1945. C’est sans doute le principal motif de la haine que voue la gauche établie à la ND et à l’entreprise d’Alain de Benoist. Cette haine s’est déployée avec une férocité pathologique à partir de l’été 1979, quand la ND influençait fortement un hebdomadaire à très gros tirage, le Figaro-Magazine, dirigé par Louis Pauwels. Alain de Benoist y tenait la rubrique des « idées », poste d’avant-garde très efficace pour faire changer les mentalités, indiquer de nouvelles pistes à la culture française. L’idée d’une « école de pensée », formant des cadres en toute autonomie, la volonté de détruire les refoulements de la culture dominante et de proposer du neuf, sans jamais recourir à de vieilles lunes, ont contribué à forger le « mythe ND ». Très rapidement pourtant, l’offensive s’est soldé par un échec : l’idéologie dominante, les vigilants de la république, la gauche parisienne, les dévots d’un catholicisme progressiste ou intégriste se sont ligués contre la nouvelle venue et l’ont contrainte à la retraite. La ND a dû céder face au néo-libéralisme et au culte moralisant des droits de l’homme (couverture des pires dénis de droit que l’histoire ait jamais vécus). Dans les propres rangs de la ND, l’enthousiasme a fait place à l’aigreur. La lucidité a disparu au profit de la paranoïa. Au lieu d’admettre que la ND a battu en retraite, après un très beau combat, parce que les effectifs étaient trop réduits et encore insuffisamment formés, le microcosme néo-droitiste parisien a sombré dans les pleurs et les grincements de dents. Quinze ans après le ressac, malgré l’ouverture opportune de nouvelles pistes (écologie, communautarisme, etc.), aucune réflexion philosophique réelle et profonde n’est venue renforcer les options de départ. Vœux pieux et lamentations anti-technicistes ou anti-libérales ne peuvent tenir lieu de discours critique : nous aurions voulu une étude plus approfondie de Carl Schmitt, de Gramsci, de Hans Jonas, de Sombart, de De Man, etc. Et un plongeon dans le vaste océan de la postmodernité philosophique (Lyotard, Foucault, Deleuze, Guattari, etc.), ce qui aurait été tout naturel pour un mouvement d’origine française.
En juin 1989, lors d’une séance de formation au « Cercle Héraclite », ouvert aux cadres du mouvement, j’avais voulu marquer mon retour au GRECE, après un éclipse de près de six ans, en attirant l’attention des cadres (ou ce qu’il en restait…) sur l’ampleur et la pertinence de la critique contemporaine des philosophes français : je n’ai rencontré qu’indifférence, incompréhension et hostilité (pour lire le texte de cette intervention, cf. « La genèse de la postmodernité », in : Vouloir, n°54/55, 1989). « Je n’ai rien compris », m’a dit un cadre après mon exposé.
De même, les options biologisantes du GRECE avaient besoin —Alain de Benoist ne me contredira pas, même s’il est retourné récemment à sa manie comptable de calculer les quotients intellectuels— d’un solide ravalement. Il me paraissait nécessaire d’ouvrir les recherches de la ND aux théories de la cognition humaine, proposée par les disciples de Konrad Lorenz, encadrés par Riedl et Wuketits, de renouer avec la théorie des systèmes de Ludwig von Bertalanffy et avec son actualisation par le Japonais Maruyama, d’introduire dans les débats français les travaux de l’Allemand Friedrich Vester (cf : mon exposé au séminaire de mai 89 de l’équipe de Vouloir, tenu en Flandre, et visité par une équipe de cadres du GRECE dirigée par Charles Champetier : « Biologie et sociologie de l’“auto-organisation” », in Vouloir, n°56/58, 1989). « Je n’ai rien compris » fut une nouvelle fois la réaction d’un cadre (non, non, ce n’était pas Champetier : il était parti dans les campagnes flamandes à la recherche d’un magasin vendant des cigarettes. Ce toxicomane était en manque… faut comprendre… ).
En février 1991, à Pérouse en Ombrie, lors de mon exposé au colloque des ND française (A. de Benoist), italienne (M. Tarchi & A. Campi) et britannique (M. Walker), j’ai insisté sur une prise en compte de la méthode de Derrida pour éviter de développer une conception figée de l’identité, propre à certains partis nationalistes ou populistes, dont de Benoist lui-même soulignait les insuffisances. J’ai voulu étayer cette critique de de Benoist, en plaçant le débat à un niveau politologique et philosophique, en refusant de le laisser à celui des invectives stériles (cf. « Dévolution, Grand espace et régulation », in : Vouloir, n°73/75, 1991) (2). Cette critique de l’ « identitarisme figé » impliquait une réflexion sur les notions de différAnce et de différEnce chez Derrida. Pour tout commentaire, de Benoist, après mon exposé, m’a demandé pourquoi j’avais parlé de ce « con » de Derrida. Il semblait me prendre pour un fou.
Un refus d’abandonner ses insuffisances…
Ces trois incidents, un peu burlesques, montrent qu’il n’y avait pas, au sein de la ND, une volonté claire de se démarquer de certaines insuffisances ou de certains passéismes ni de consolider ses bonnes intuitions de départ. La ND ne voulait pas d’ouverture à la pensée française contemporaine, alors que tout le débat allemand et américain est profondément empreint des apports de Foucault, Deleuze, Lyotard, Derrida, etc. La ND ne voulait pas répondre sérieusement au reproche inlassablement ressassé de « biologisme » que lui adressaient ses adversaires. Elle aurait dû revendiquer son organicisme biologisant mais en l’étayant d’arguments scientifiques incontestables, au lieu d’être pétrifiée de frousse dès qu’un adversaire lui reprochait de faire de la « biopolitique ». La ND en est arrivée à démoniser elle-même tout discours biologisant-organicisant, avec des arguments boîteux, tirés de doctrines éthiques irréalistes ou d’une lecture un peu courte des critiques traditionalistes formulées à l’encontre du vitalisme. Enfin, les remarques méprisantes d’un Alain de Benoist sur la pensée de « Derridada » sont assez sidérantes, quand on sait que la ND est accusée, encore aujourd’hui, d’avoir fondé un « discours identitaire », repris par l’extrême-droite, accusée à son tour, de développer une vision étriquée et figée de l’identité. Malgré ses discours passionnels contre Le Pen (« le programme du FN me soulève le cœur », répondait-il aux journalistes d’une revue bourrée de fautes d’orthographes monstrueuses), de Benoist ne développe pas une théorie valable de l’identité, qui échappe tout à la fois au fixisme des vieilles droites et aux reproches des professionnels de l’anti-fascisme.
En ce début de l’année 1999, la ND vient de publier son premier manifeste (ouf, enfin, ça y est…). Si les pistes suggérées ou les constats qui y sont formulés rencontrent grosso modo mon approbation, j’estime toutefois que ce manifeste reste au niveau des vœux pieux ou de la protestation moralisante. Il lui manque précisément de bonnes références philosophiques.
Mon auto-critique
Enfin, mes critiques peuvent sembler oiseuses après tant d’années dans le sillage de la ND. En effet, le reproche pourrait aisément fuser : « Qu’as-tu f… là pendant si longtemps ? ». Pour ma défense, je dirais qu’il n’y avait rien d’autre en francophonie, et que mon intérêt pour le GRECE était parallèle à un intérêt pour les initiatives allemandes et italiennes de même nature. Je suis effectivement abonné à Criticón et à Junges Forum depuis 1978, bien avant mon passage au GRECE. Je lisais Linea de Pino Rauti et j’achetais en versions italiennes les livres d’Evola qui n’étaient pas traduits en français. Très tôt, j’ai pu comparer avantages et lacunes des uns et des autres. Ensuite, dès 1976, j’ai suivi de très près les initiatives de Georges Gondinet, à l’époque nullement assimilables à celles du GRECE. J’ai toujours, me semble-t-il, opté pour la pluralité des sources d’information contre le réductionnisme et l’assèchement sectaires. C’est une option qui me parait toujours valable : je demande donc à tout ceux qui s’intéressent à la ND parce qu’ils veulent sortir du ronron dominant de ne pas réduire leurs sources d’information à une et une seule officine, mais de chercher systématiquement la diversité. C’est par une pratique diversifiante et différAnciante (Derrida !) que les « refuzniks » que nous sommes finiront par appréhender et arraisonner le réel dans toutes ses facettes. Et ainsi gagner la bataille métapolitique, promise par de Benoist, avant qu’il n’opère ses replis frileux : peur de la politique, peur des populismes, peur des journalistes qui le critiquent, peur des langages francs et crus, peur de réaffirmer son biologisme, peur d’être traité de fasciste, peur de ne pas être reçu par une huile quelconque. Pas besoin d’être grand philosophe pour condamner et mépriser une telle attitude. Il suffit de se rappeler l’adage : la peur est mauvaise conseillère.
La «nouvelle droite» et l'histoire
Les regards que la «nouvelle droite» française a jetés sur l'histoire de l'Europe ont toujours été flous et ambigus. Quant à la «nouvelle droite» italienne, elle s'est fort préoccupée de redéfinir l'histoire du fascisme (alors que cette tâche était pleinement assumée par Renzo de Felice ou Zeev Sternhell). Redéfinir le fascisme était la tâche de son principal promoteur à l'université, était son boulot de chercheur, et nul parmi nous ne contestara évidemment cette fonction qui fut et reste la sienne.
A Paris, la vulgate ND —en disant « vulgate », je n’incrimine ni de Benoist ni d’autres exposants de la ND, mais une mouvance difficilement définissable que l’on a, à tort, assimilée à la ND et qui compénètre tout le champs des droites françaises— n’a pas développé une vision de l’histoire cohérente : tout au plus perçoit-on chez elle un vague mixte de vision décadentiste et de nordicisme (indo-européen), où les accents pessimistes de Gobineau (mal lu) et de Spengler (mal digéré) se mêlent aux accents « normandistes » et pessimistes du dernier Drieu. Chacun de ces auteurs est passionnant en soi. Chacun d’eux nous livre une œuvre aux strates multiples :
- Gobineau, notamment, outre son nordicisme (qui lui est vivement reproché) réhabilite le rôle de la Perse dans le rayonnement des peuples indo-européens et critique l’intellectualisme hellénistique (source de déclin) ; la Perse nous lègue notamment une éthique guerrière et chevaleresque, dont héritera, après bien des détours et à travers un filtre chrétien, les chevaliers médiévaux ; toute une historiographie et maints ragots colportés font de Gobineau l’inventeur d’un racisme hargneux devant à terme déboucher sur « l’impensable » ; en réalité Gobineau fut un grand voyageur ouvert à l’Islam iranien et à l’Orient, méprisant les « petits crevés » (comme il appelait les nullités des beaux quartiers de Paris) et ne prenant pas l’Europe pour « l’ombilic de l’univers l’univers » (cf. Jean Boissel, Gobineau (1816-1882). Un Don Quichotte tragique, Hachette, 1981 ; cf. également Alexis de Tocqueville, Œuvres Complètes, Tome IX, Correspondance d’A . de Tocqueville et d’A. de Gobineau, Gallimard, 1959). Gobineau est celui qui a ouvert la pensée française aux mystiques panthéistes de la Perse, qui a, bien avant Derrida, réclamé une ouverture de notre pensée à cet univers intellectuel.
- Spengler, avec sa notion de pseudo-morphose des civilisations, avec son mythe touranien, sa classification des cultures (faustienne, magique, etc.) ;
- Drieu, avec expérience de combattant de 1914, son passage à Dada (et sa participation à titre de témoin à décharge au « procès Barrès »), sa carrière d’écrivain parisien, ses tentations politiques (Doriot, etc.), ses réflexions sur les traditions, notamment sur Guénon, découvertes tardivement lors de la parution de son Journal.
Ces trois auteurs peuvent être interprétés de manières très diverses. Ils échappent ou devraient échapper à toute vulgate et à tout réductionnisme interprétatif.
Une pitoyable vulgate
Par ailleurs, une bonne part des militants de la mouvance de la “nouvelle droite” parisienne se percevaient comme les héritiers de ce complexe idéologique plus mystique que politique, plus idéaliste que concret, un complexe que l'on cultivait en ghetto à l'exclusion de tout autre et qui mêlait le “fascisme français” et les “écrivains maudits de la collaboration”. Ils mêlaient simultanément ce corpus complexe au filon nordiciste, issu d’une lecture très partielle de Gobineau voire de Vacher de Lapouge (3), où l'histoire était perçue comme l'amenuisement continu de l'influence physique et métaphysique des peuples germaniques en Europe, dont la France, leur pays, n'était que très partiellement l'héritière, une héritière, qui plus est, qui avait explicitement rejeté cet héritage depuis l'Abbé Siéyès.
Grosso modo, disons que, avant l'aggiornamento des années 90, dans les premières décennies de l'histoire de la ND, consciemment ou inconsciemment, l'accent était mis sur le filon Gobineau-Drieu la Rochelle, reprise des pamphlets anti-fascistes et anti-racistes, mais cette option, chez les camarades pseudo-nationalistes et néodroitistes, était revendiquée avec chromos brekeriens en prime; ce filon était détaché de tous contextes politiques réels puis simplifié en une vulgate assez étriquée, suscitant la commisération de tous ceux qui vivent quotidiennement les assauts du monde réel, sous quelque forme que ce soit. Dans les corridors et les coulisses de la ND parisienne, on avait l'impression d'errer dans une utopie irréelle, sous une bulle de verre où étaient voués aux gémonies tous les faits de vie réelle qui contrariaient l'image idéale du monde, des hommes et des Français, rêvée par ces petits étudiants ratés ou ces médiocres employés de banque subalternes, au profil psychologique instable et, qui, à cause de ce handicap, parce qu'ils ressentaient ces lacunes et ces tares en eux-mêmes, s'étaient recyclés, pour se donner une importance toute fictive, dans une “lutte métapolitique planétaire”.
Appuyés par tout un commerce de colifichets frappés du logo du GRECE, les tenants de la vulgate balbutiaient ou gribouillaient des fragments aussi oniriques que décousus de ce fatras nordico-fascisto-parisien; ces fragments, ils les faisaient dériver de ce filon pseudo-gobinien et les exprimaient en textes ou en images ou en discours avinés après le dessert, puis les ressassaient à l'infini, sans le moindre esprit critique en les mêlant à des interprétations naïves et juvéniles des mondes ouraniens-olympiens et des chevaleries idéales, décrits par Evola dans Révolte contre le monde moderne. Critiques du catholicisme populaire, volontiers blasphémateurs à l'égard des chromos, des crucifix, des vierges et des Saintes-Rita à la mode de Saint-Sulpice, les galopins du GRECE répétaient sous d'autres signes les mêmes travers que les chaisières et les bigotes des paroisses d'arrière-province.
L'anti-fasciste professionnel sans profession bien établie, l'ineffable “René Monzat”, a eu beau jeu de dénoncer cette bimbeloterie dans Le Monde, le 3 juillet 1993. Ce triste garçon, dont la jugeotte n'a certainement pas la fulgurance pour qualité principale, concluait au “nazisme fondamental” du GRECE, parce que de Benoist, qui n'est ni nazi ni rien d'autre que lui-même, rien d'autre que sa propre égoïté narcissique, s'était copieusement “sucré” en vendant des “tours de Yule” en terre cuite —modèle SS-himmlérien— à ses ouailles, en multipliant le prix de base de son grossiste allemand par dix!
Un scandinavisme irréel et onirique
Mais le nordicisme/germanisme de Gobineau s'inscrit dans une histoire plus complexe, dont la ND n'a jamais véritablement rendu compte: elle a contribué à pétrifier ce filon, surtout à le ridiculiser définitivement (Dumézil l'avait compris!), sans en avoir extrait les potentialités toujours vives, sans avoir dégagé, par exemple, l'apport géopolitique et géostratégique du monde nordico-scandinave dans l’histoire générale des peuples européens: ouverture des voies maritimes nord-atlantiques, exploitation de l'axe Baltique/Mer Noire, ouverture du commerce eurasien via le comptoir de Bulgar dans l'Oural, organisation du commerce fluvial sur le Dniepr, le Don et la Volga, ouverture de la Caspienne et accès du commerce européen à la Perse et à la Mésopotamie: autant de routes qui restent, aujourd'hui plus que jamais, d'une brûlante actualité. Non: pour la clique d'esprits bornés qui sautillaient et s'agitaient autour du gourou de Benoist (qui assurément ne partageait pas leurs simplismes), les Scandinaves du IXième au XIième siècles n'étaient ni des techniciens hors ligne de la navigation ni des commerçants audacieux qui ouvraient l'Europe au monde: ils étaient décrits comme des espèces de cannibales chevelus et moustachus qui pillaient les couvents ou, pire, comme des ruraux simplets, vivotant en dehors des tumultes du monde, confectionnant avec de la terre cuite des luminaires disgrâcieux (qui font rétrospectivement frémir Monzat et ses commanditaires du Monde) plutôt qu'étudiant la résistance des bois à la mer et au vent, la carte du ciel pour s'orienter en haute mer, l'aérodynamisme des coques de navires pour se lancer dans des expéditions hardies. Etre technicien ou commerçant, dans la vision du monde des débiles adeptes du grincheux gourou néo-droitiste, c'était déchoir dans la “troisième fonction”, c'est-à-dire la fonction du travail, de la production, jugée mineure par ces oisifs qui ne commandaient rien, qui ne produisaient rien, qui vivaient d'allocations ou de postes de fonctionnaire, mais qui croyaient, dur comme fer, qu'ils étaient potentiellement les souverains de la future “grande Europe”. Les Vikings imaginaires des milieux néo-droitistes n'étaient pas admirés pour ce qu'ils avaient été, des explorateurs, des marins et des négociants, mais parce qu'on leur prêtait des canons physiques stéréotypés: une blondeur et une vigueur qui étaient absentes, dans la plupart des cas, chez ces vikingomanes d'Auteuil-Neuilly-Passy. On sort ici de la politique, de la métapolitique, pour entrer de plein pied dans la psychopolitique voire la psychiatrie tout court.
Restaurer la « virtù » des Romains et des Germains
Revenons à l'histoire: le mythe nordiciste qui traverse l'historiographie européenne depuis les humanistes italiens du XVième siècle est surtout l'expression idéalisée de deux soucis récurrents dans la pensée politique de notre continent: la disparition de la virtù politique, de la force de façonner le politique pour le bien de la Cité, où la virtù était d'abord posée comme le propre du peuple et du Sénat de l'Urbs romana, puis par translatio imperii, comme le propre des peuples germaniques. Cette virtù est une idée républicaine au sens étymologique du terme, comme nous l'a explicité Machiavel dans son Prince. Elle s'oppose, en tant que telle, au césaro-papisme du Vatican qui, au XVième siècle, montre ses limites et s'enlise dans une impasse; elle s'oppose aussi aux tentatives de centraliser les Etats monarchiques au détriment des corps concrets qui composent la Cité. Dans ce sens, l'amenuisement de l'influence des peuples germaniques n'est rien d'autre que l'amenuisement de la virtù dans les corps politiques d'Europe et non pas la déperdition d'un quelconque système coercitif. L'assomption de la virtù équivaut à la perte d'autonomie des corps concrets de la Cité, à la dévitalisation des sociétés civiles. La vision de Gobineau n'est jamais qu'une manifestation tardive —à l'ère romantique qui est à l'évidence traversée par un spleen qui, risque, chez les esprits faibles, de s’avérer incapacitant— de ce souci récurrent de la virtù dans l'histoire des idées politiques en Europe; Gobineau n'a pas infléchi sa démarche dans un sens juridique et concret, alors même que le XIXième siècle s'interrogeait sur les sources du droit (Savigny, Ihering, de Laveleye, Wauters, etc.); il a, malgré lui et pour le malheur de sa propre postérité, jeté les bases d'un discours tissé de lamentations sur l'amenuisement du germanisme.
Dans la même veine pessimiste, Hippolyte Taine a été un penseur beaucoup plus concret et méthodique: la ND ne l'a jamais abordé. De même, rien n'a jamais été fait sur la problématique des races en France, qui a agité tout le débat du XIXième siècle, en opposant celtisants (Augustin et Amédée Thierry, H. Martin, Guérard, le “génie celtique de J. de Boisjoslin), germanisants (le mythe “franc” chez Chateaubriand, Guizot, Mignet, Gérard, Montalembert, de Leusse) et romanisants (Littré). Ce débat ne portait pas seulement sur la définition de la “race” et n'était nullement une anticipation des réductions caricaturales du national-socialisme, mais portait sur le droit, sur la manière de façonner la Cité, de répartir les tâches entre les classes. Taine parlait d'un “réalisme à connotation populaire et raciale”. Pour la ND, l'onirique a primé sur le réalisme que Taine appelait de ses vœux. Pourquoi ce refus ?
Drieu la Rochelle, écrivain dans le Paris décadent d'après 1918, après son comportement héroïque pendant la Grande Guerre et sa fréquentation des dadaïstes et des surréalistes, perçoit les enjeux du monde avec une remarquable lucidité, mais celle-ci est estompée par son pessimisme, par un décadentisme finalement assez pitoyable et par un spleen que révèlent pleinement les pages de son Journal (par ailleurs mine inépuisable de renseignements de toutes sortes). Après la défaite de l'Axe en 1945 et le suicide de Drieu, ce pessimisme et ce spleen sont d'autant plus incapacitants pour qui veut construire une véritable alternative philosophique, idéologique et politique. Plutôt qu’au Drieu triste, il faut retourner au Drieu visionnaire !
Echec de l’Axe, faillite de la « métaphysique occidentale »
Car 1945 n'est pas simplement l'échec de l'Axe: il est l'échec de toute la métaphysique et de la civilisation occidentales. Les Alliés ont gagné cette guerre sur le terrain, incontestablement, mais ils n'ont rien proposé d'autre que du “réchauffé”, comme le prouve, presque a contrario, le succès indéniable de la philosophie “déconstructiviste”, née en Amérique et chez Derrida dans le sillage de Heidegger. Ce dernier a perçu en germe de réelles potentialités dans la “révolution allemande” (en 1934 pendant la parenthèse de son “rectorat”), mais aussi de terribles impasses dans son volontarisme outrancier, où la volonté poussée à son paroxysme rompait les liens de l'homme avec les continuités qui le nourrissent spirituellement et politiquement et son constitutives de son identité profonde. Mais, en constatant les impasses du national-socialisme, Heidegger n'a pas davantage opté pour les visions américaniste et bolchéviste de la société et du monde. Face à cet éventail de faits et de pensées, face à ce triple rejet de la part de Heidegger, la ND aurait pu et dû:
- abandonner les pessimismes incapacitants;
- renouer au-delà de Gobineau avec le républicanisme de Machiavel, avec la notion de virtù, présente dans la Rome antique et, par translatio imperii, chez les peuples germaniques (comme l'avait bien vu la lignée des observateurs de Tacite aux humanistes italiens et de ceux-ci à Montesquieu, ce dernier étant une référence incontournable pour toute pensée démocratique sérieuse, c'est-à-dire pour toute pensée démocratique qui refuse d'accorder le label “démocratique” à tout ce qui se présente comme tel aujourd'hui en Europe occidentale).
- être attentive plus tôt, dès le départ, à la démarche de Heidegger; au lieu de lui avoir consacré une attention méritée dès le début de son itinéraire, la ND, vers la fin des années 60 et au début des années 70, mue par une sorte de paresse philosophique, a préféré parier pour une vulgate anti-philosophique tirée de la philosophie anglo-saxonne (une caricature malhabile de l'“empirisme logique”) pour qui les questions métaphysiques ou axiologiques, le langage métaphysique et l'énoncé de valeurs, sont vides de sens.
- dans la foulée d'une réception de Heidegger, la ND aurait pu embrayer sur le filon “déconstructiviste”, poursuivre une critique serrée de la “métaphysique occidentale” et ne pas laisser l'arme du déconstructivisme à ses adversaires! Cet abandon de l'arme du “déconstructivisme” condamne la ND à du sur-place, puis, inéluctablement, au déclin et au pourrissement. Sans une bonne utilisation de l’arme « déconstructiviste », la ND ne peut développer une critique crédible des institutions en place ou des fausses alternatives (gauchistes). Elle risque alors de passer pour un simple appendice intellectuel, un salon où l’on cause, un havre pour oisifs argentés, juste en marge du pouvoir.
Déconstructivisme et France rabelaisienne
Ensuite, la ND aurait pu faire advenir une pratique de la déconstruction permanente dans le champ de l'histoire. Je m'explique: surplombé par une métaphysique particulière (platonico-chrétienne), l'Occident a agi sur le terrain de l'histoire d'une certaine façon, c'est-à-dire d'une façon que déplorent les contestataires radicaux de cette métaphysique, de cet Occident et de cette histoire. La métaphysique occidentale, sur le terrain, a fait des dégâts, comme le constatait Heidegger. Ont été effacés de l'espace occidental, au nom d'une métaphysique particulière: les ressorts des communautés naturelles d'Europe, un processus qui est à l'œuvre, inexorablement, depuis la centralisation du Bas-Empire romain décadent jusqu'à une christianisation manu militari, en passant par la mise au pas des âmes par l'Inquisition, par la philosophie politique de Bodin qui ne laisse pas de place aux corps intermédaires de la société (c'est-à-dire aux corps concrets de la souveraineté populaire), par les déismes et les rationalismes hostiles à toutes originalités et tous mystères, par l'éradication des fêtes populaires, des fêtes de jeunesse, de l'espace de liberté des goliards et des vagantes, de l'univers dionysiaque-rabelaisien. Jamais la ND ne s'est branchée sur ces filons pluri-millénaires, jamais elle n'a utilisé ses atouts et ses entrées dans le monde journalistique français pour promouvoir les écrits de ceux qui faisaient le constat de cette éradication pluriséculaire, en dehors de tout encadrement politicien, idéologique ou “clubiste”. Si elle l'avait fait, jamais personne n'aurait pu lui reprocher de camoufler derrière un discours modernisé, une volonté de “réchauffer” la vieille soupe nationale-socialiste.
Parallèlement à cette négligence du filon rabelaisien, la ND n'a pas davantage revalorisé les luttes paysannes et populaires contre les Etats, expressions politiques de cette métaphysique occidentale. Elle a refusé cette démarche, malgré les appels incessants d'un Thierry Mudry notamment, parce qu'elle était prisonnière d'un seul mot: l'inégalitarisme. Alain de Benoist, soucieux de sa vocation pontificale au sein du microcosme néo-droitier, a développé pendant sa carrière dans la grande presse (Valeurs actuelles, Le Spectacle du Monde, Le Figaro-Magazine, partiellement, Magazine-Hebdo) tout un discours, somme toute assez boîteux, sur l'“inégalité”, avec des calculs de QI, des dérivées et des asymptotes comparant l'intelligence des Pygmées et des Suédois, des Mongols d'Oulan Bator et des Equatoriens de Quito, laissant entrevoir, peut-être même à son insu, un modèle pyramidal où il aurait trôné très haut, au sommet de la pyramide, avec le monde entier à ses pieds d’auguste membre de la MENSA (le club français qui recrute des gens dont le QI est supérieur à la moyenne, mais dont on ne jauge pas l'état psychologique avant de les admettre au bar select de l'association). Telle est sans doute la vision onirique qui traverse les rêves du Pape de la “nouvelle droite”. Tout cela est bien divertissant, mais où est l’intérêt (méta)politique d’une telle posture ?
Ignorance des révoltes populaires
L'option “inégalitaire” de la ND, illustrée avec une opiniâtreté quasi monomaniaque, interdisait de se pencher sur les luttes populaires, sous prétexte que Marx, Engels, Bloch, etc. s'étaient intéressés à la “Guerre des Paysans” du début du XVIième siècle et qu'un mouvement qui choisissait le label de “droite” ne pouvait évidemment frayer avec des “marxistes” (!!!!!!???), retentissante sottise qui a laissé ce terrain fécond des luttes et des révoltes populaires à des socialistes ou à des communistes qui, par ailleurs, étaient, eux aussi, prisonniers de la “métaphysique occidentale”, à cause de leur matérialisme figé (mécaniciste et physicaliste) et de leur rationalisme étriqué (acceptant les acquis de ce rationalisme more geometrico qui a commencé à mutiler les corps concrets de la souveraineté populaire dès la Renaissance). De même, les dimensions populaires des révoltes françaises du XVIIième siècle, des révoltes populaires et paysannes contre la monarchie et contre la république à la fin du XVIIIième, les petites jacqueries du XIXième (étudiées par l'historien Hervé Luxardo) (4), n'ont malheureusement pas eu de place dans les réflexions de la ND.
L'option anti-chrétienne, le rejet des structures dérivées de la “métaphysique occidentale” ne devrait pas déboucher sur le refus de s'identifier aux luttes des peuples réels contre les pays légaux, des concrétudes charnelles contre les abstractions juridiques et rationalistes, refus qui condamne la ND à n'être qu'un salon de précieux bavards aux ambitions limitées, sans connexions utiles avec le monde extérieur. Les professions de foi “organicistes” ne sont que purs discours si elles ne suggèrent pas une politique organique concrète. Les “intellectuels organiques” sont toujours à la tête du peuple réel ou, au moins, commandent un fragment du peuple réel, fût-il dispersé au travers de réseaux divers (professions, syndicats, partis, clubs, etc.). A terme, un club de pensée à vocation métapolitique et/ou politique doit rallier sous une seule bannière nouvelle des citoyens dispersés dans de multiples structures en voie d'obsolescence, car l’obsolescence est la loi de l'histoire pour les structures, quelles qu'elles soient. La ND ne peut plus parfaire un tel travail de rassemblement car les vieux droitismes figés qu'elle ne cesse de véhiculer (anti-égalitarisme rédhibitoire débouchant sur un anti-populisme incapacitant), malgré ses dénégations, l'empêchent paradoxalement de se brancher sur les quelques gauches organiques à vocation contextualiste (qui proclament et démontrent que le cadre, le contexte social, économique et politique doivent être respectés en tant que tels dans la théorie et dans la pratique, contrairement aux universalismes traditionnels des gauches; en France, une telle gauche est représentée par le MAUSS, c'est-à-dire le «Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales», que de Benoist courtise en vain, à coup des viles flatteries, depuis tant d'années).
Un piètre personnel subalterne
Enfin, il y a une autre démarche de la ND qui est condamnée à l'impasse: par son parisianisme, par son repli frileux autour de son gourou, elle s'est révélée incapable de disperser les centres dynamiques du mouvement sur tout le territoire français; ensuite, elle a été handicapée par sa frilosité à sortir des frontières de l'Hexagone et, à cause de la piètre qualité intellectuelle de son personnel subalterne à penser véritablement l'Europe, à apprendre les dynamiques politiques, culturelles et sociales à l'œuvre en Italie, en Allemagne, en Espagne, dans le Bénélux, en Scandinavie, etc., et à agir efficacement dans un contexte européen (ce qui implique de maîtriser plusieurs langues, d'accepter que l'Autre parle la sienne et non pas le français exclusivement, d'écouter poliment un exposé en allemand, en italien ou en anglais sans éprouver le besoin pressant de sortir pour fumer un clope dans le patio ou pour descendre une pils au comptoir, etc.). Les tentatives plus récentes de la ND parisienne de sortir des frontières de France se heurtent au même ballast structurel: recrutement d'autodidactes spécialisés en bricolages idéologiques, de vieux copains sans qualifications précises, de marginaux sans originalité et bourrés de fantasmes, de caractériels repêchés dans les poubelles des partis identitaires qui les ont exclus pour incapacité sur tous plans pratiques.
Ensuite, la ND parisienne n'a cessé d'être obnubilée par les “débats” parisiens dont tout le monde se fout à 30 km de la capitale française, ce qui lui a interdit de susciter un nouveau mouvement de contestation global, organique, dans tout l'Hexagone. Certes, Alain de Benoist —rendons-lui justice— a eu la volonté de se brancher sur les débats philosophiques américains, allemands, italiens, mais il n'a pas enseigné à ses ouailles la façon de maîtriser les sources non françaises d'information et de documentation qui auraient permis de renforcer dans le discours quotidien de la ND ce “poumon extérieur”, apportant en permanence des bouffées d'arguments neufs et de les déployer avant ses adversaires. De plus, comme d'habitude, de Benoist a eu l'art de recruter des étudiants ratés, des jojos hauts en couleurs ou tristes comme des ados coincés, incapables de lui porter ombrage (pour lui, c'était l'essentiel...) mais tout aussi incapables de maîtriser ne fût-ce qu'un basic English. Ils se coupaient du même coup de toute une documentation utile pour la révolution culturelle à laquelle ils étaient censés participer, dans le laboratoire de pointe qu'of course le GRECE prétendait être! De Benoist a voulu s'ouvrir sur l'Allemagne, jamais il n'a péché dans le sens d'un nationalisme français fermé sur lui-même, hostile au monde entier, rejetant l'Europe en construction, peuplé de “rancuneux” (cette belle expression, que mentionne encore le Littré a été réintroduite dans le discours politique par Michel Winock). Cette attitude de bon Européen, chez de Benoist, a suscité mon respect et ma sympathie, du moins au départ. Mais tandis qu'il était européiste, sans arrière-pensée, il a laissé la bride sur le cou à des pseudo-théoriciens d'un nationalisme français irréaliste dans ses expressions héroïcisantes et naïves, que le lecteur pantois, habitué à des analyses plus fines, a trouvé dans éléments n°38 (intitulé: «Pourquoi la France?»). Ensuite, il n'a cessé de fréquenter un certain Philippe de Saint-Robert (la particule serait fictive!), apôtre d'un hexagonalisme de droite et d'un anti-européisme navrant, rêvant de reconstituer la France aux 130 départements de Napoléon (5). Ces démarches délirantes ont empêché la fusion du corpus néo-droitiste et des revendications régionales en France, fusion qui aurait permis une évolution graduelle vers une constitution fédérale de modèle allemand, espagnol ou helvétique. La ND aurait dû indiquer dans son programme l'objectif qu'elle s'assignait pour la France et pour le bien des peuples de l'Hexagone: faire advenir dans les esprits une constitution fédérale pour une VIième République française, rompant de la sorte avec l'étatisme fermé d'inspiration bodinienne que n'avaient jamais abandonné les factions nationalistes françaises de diverses moutures. Le travail de la ND aurait dû être de préparer l'avènement à terme de cette VIième République, de façon à ce que la France ait une constitution en harmonie avec les autres pays de l'Europe en voie d'unification, de façon à ce qu'il y ait homogénéité constitutionnelle dans tous les Etats de l'Union avant l'unification monétaire et avant la suppression des frontières. Aujourd'hui, nous avons presque l’une et l’autre, mais sans homogénéité constitutionnelle, ce qui est une hérésie et une aberration: la ND aurait pu prévoir cette imposture et suggérer une alternative crédible. En ne le faisant pas à temps, elle n'a pas assumé sa responsabilité historique. Elle n’a pas respecté sa promesse d’être une instance de « première fonction » (instance incarnant la souveraineté et le droit selon Dumézil). On peut se demander pourquoi…
Régionalisme et critique de l’Etat bodinien
Si elle avait forgé sur le terrain une alliance durable avec les mouvements régionaux sérieux, la ND aurait travaillé à l'élaboration concrète de cette constitution fédérale pour l'Hexagone, niant du même coup les formes étatiques de la “métaphysique occidentale” qui ont oblitéré les sociétés françaises de François Ier au jacobinisme. Pour parfaire cette alliance ND/régionalismes, le club métapolitique d'Alain de Benoist aurait dû développer une vision non-bodinienne de l'Etat, une conception symbiotique des corps intermédiaires (qui sont, ne cessons jamais de le rappeler, les véritables corps concrets de la souveraineté populaire), permettant de coupler régionalismes et revendications sociales et populaires concrètes, en nouant cette idée symbiotique aux combats syndicalistes, en se débarrassant de son discours néo-libéral (ante litteram) sur l'égalitarisme et l'inégalité, qui ont fait qu'elle a été accusée sans interruption de “social-darwinisme” (de Benoist a eu beau s'en défendre par la suite, ce stigmate lui est resté collé à la peau).
Enfin, un mouvement métapolitique comme le GRECE, qui prétend dans son sigle même, vouloir appréhender l'ensemble des dynamiques à l'œuvre dans la civilisation européenne, n'a jamais raisonné sur les grandes forces historiques et géopolitiques qui ont traversé les régions d'Europe. Comme beaucoup de visions non dynamiques de l'histoire, le GRECE semble avoir cultivé lui aussi une vision figée de l'histoire, où des figures hiératiques, fortement typées, répéteraient inlassablement le même drame, sans imprévus autres que ceux prévus par le scénariste, avec, pour toile de fond, une tragédie réitérée en boucle sous la détestable impulsion des mêmes tricksters. Le gourou du GRECE aimait à se dire “spenglérien”, mais aucun lecteur de Spengler ne se reconnaîtra dans sa “vision” (bigleuse et non plus faustienne) de l'histoire européenne.
Dans l'officine néo-droitiste parisienne, peu de choses ont finalement été dites sur les lignes de force de l'histoire suédoise, allemande, russe, balkanique, hispanique, sur les dynamiques géopolitiques effervescentes le long des grands axes fluviaux d'Europe, sur les enjeux territoriaux, comme si ces tumultes millénaires allaient tout d'un coup s'apaiser, dès que le gourou déciderait, du haut de sa magnificence, de prendre la parole. Sa germanolâtrie, qui n'est rien d'autre qu'une coquetterie parisienne, ne parvient pas à s'articuler en Allemagne, où les nouvelles droites (très diverses) sont bien en prise avec les problèmes d’histoire et d’actualité. Le gourou de la ND est balourd dans le débat allemand. Son Allemagne de fillettes à longues tresses nouées, de ruraux coiffés de petits chapeaux bavarois, de soldats altiers et perdus, n'est qu'une Allemagne de chromos: l'Allemagne réelle est une Allemagne d'ingénieurs méticuleux, de philosophes précis et rigoureux, de philologues pointilleux, d'industriels efficaces, de techniciens chevronnés, de négociants redoutables, de révolutionnaires radicaux, de moralistes jusqu'au-boutistes, de syndicalistes combatifs, de juristes tenaces. Mais de cette Allemagne-là, il n'en a pas parlé, sans doute auraient-elles effrayé ses ouailles, donné des cauchemars aux petits garçons fragiles qui l'admirent tant. Pensez-vous, ils auraient dû cesser de rêver, et commencer à travailler.
Refus de l’histoire réelle et images d’Epinal
Lors d'un face-à-face avec la presse russe, à Moscou le 31 mars 1992, où deux journalistes de la revue moscovite Nach Sovremenik me demandaient quelle était ma position dans la nouvelle crise balkanique et face à la Serbie de Milosevic, j'ai répondu en rappelant des événements importants de l'histoire européenne comme la Guerre de Crimée, le Traité de San Stefano (1878), l'aide apportée par les Russes à la Serbie, la Roumanie et la Bulgarie au XIXième siècle et leur désir de voir une paix s'instaurer entre Serbes et Bulgares, etc. Pendant que je répondais à cette question, importante pour les Russes qui ont la mémoire historique longue, au contraire des Occidentaux, en m'engageant sur un terrain qui n'intéressait pas de Benoist, le bougre m'enjoignait de me taire sans mettre de bémol à sa voix, tirait sur les pans de mon veston en cachant son bras derrière le large dos d'Alexandre Douguine, sans se rendre compte qu'il était tout à la fois grossier pour les journalistes qui me mettaient sur la sellette et ridicule en pleurnichant de la sorte parce qu'il n'était plus le seul à pouvoir parler (6). Outre le narcissisme époustouflant du gourou, cet incident burlesque montre bien le refus néo-droitiste de l'histoire réelle; lourde tare, car si l'on ne prend pas le pouls de l'histoire au-delà des clivages politiciens et au-delà du clivage binaire gauche/droite, si on ne lit pas l'histoire à travers les textes des traités qui l'ont jalonnée, on agit sous la dictée de “représentations platoniciennes”, autrement dit d'“images d'Epinal”, artificielles, arbitraires, déconnectées du réel. Or les “images d'Epinal” sont toujours classées quelque part, étant par définition figées, non mouvantes parce que non vivantes. En maniant ses fantasmes esthétiques et éthiques (son obsession à vouloir édicter une “morale”...), de Benoist a énoncé un discours en marge du fonctionnement réel des Etats de notre continent, il s'est soustrait au jeu dramatique de l'histoire, par désintérêt, délibérément ou par peur de l'engagement. Grave péché contre l'esprit. Pire, une telle démarche relève de la médiocrité et, en disant cela, je songe à une réplique dans le Malatesta de Montherlant: «En prison, en prison, monsieur. Pour médiocrité!».
L'incapacité de la “nouvelle droite” à énoncer un corpus de droit cohérent
D'emblée, le propos de la “nouvelle droite” n'est pas de discourir sur le droit (l’aventure de la petite revue Hapax, torpillée par de Benoist, a malheureusement été trop éphémère, pour qu’on l’analyse ici). Pourtant, question légitime, peut-on penser le destin d'une civilisation, peut-on s'engager pour la défense et l'illustration d'une culture sans jamais penser le droit qui doit la structurer? La ND a voulu faire remonter les racines de l'Europe à la matrice indo-européenne. Volonté légitime, exprimée notamment par Emile Benvéniste dans son Vocabulaire des institutions indo-européennes. Dans cet ouvrage fondamental, véritable exploration en profondeur du vocabulaire indo-européen, Emile Benvéniste jetait les bases d'une recherche fondamentale. En effet, le vocabulaire institutionnel indo-européen révèle l'origine de toutes nos pratiques juridiques; les racines linguistiques les plus anciennes se répercutent toujours dans notre vocabulaire juridique et institutionnel, tout en véhiculant un sens précis qui ne peut guère être effacé par des manipulations arbitraires ou être enfermé dans des concepts trop étroits. Une bonne connaissance de cette trajectoire et surtout de ces étymologies est impérative.
L'idéologie dominante en France a jeté un soupçon systématique sur ce type de recherches, sous prétexte qu'il entretient des liens inavoués et occultes avec le national-socialisme. La ND a été accusée de relancer la thématique nationale-socialiste des “aryens” en se référant aux recherches indo-européanisantes. D'où un ensemble de quiproquos navrants qui ont la vie dure et qui font les choux gras de quelques petits graphomanes “anti-fascistes”, dûment stipendiés par de mystérieuses officines ou carrément par l'argent du contribuable. Pourquoi une telle situation? Le droit positif actuel, avec ses référents mécanicistes issus de la pensée matérialiste du XVIIIième siècle et d'un jusnaturalisme moderne qui se voulait détaché de tout contexte historique, ne peut tolérer, sous peine d'accepter à terme sa propre disparition, une recherche féconde et profonde sur les archétypes du droit en Europe. Un retour systématique à ces archétypes ruinerait également les assises politiques de la France (et d'autres pays), qui sont de nature coercitive en dépit du discours “démocratique” qu'ils tiennent à titre de pure propagande.
Dans le contexte français, la ND, par les maladresses de de Benoist et par sa manie des iconographies d'inspiration nationale-socialiste dont il truffait ses journaux, a permis aux vigilants de l'ordre jacobin et républicain de continuer à jeter le soupçon sur toutes les recherches indo-européanisantes. Il leur suffisait de dire: “voyez cet éditeur de chromos nazis dans des revues intellectuelles qui ne cessent de parler des Indo-Européens, il n'y a tout de même pas de fumée sans feu...”. En effet, dans le contexte des années 70, la confluence possible de certains linéaments contestataires de la “pensée 68” (chez Deleuze et Foucault) et d'un recours aux archétypes du droit, aurait pu contribuer à fonder un droit de rupture, tout à la fois futuriste et archétypal, en dépit de l'anti-juridisme fondamental de Foucault. En ultime instance, cet anti-juridisme foucaldien n'est rien d'autre qu'un anti-positivisme dans la mesure où le positivisme s'était entièrement emparé du droit surtout en France mais aussi ailleurs en Europe. Le positivisme avait édulcoré et figé le droit, qui était ainsi devenu mécanique et légaliste, suscitait une inflation de lois et de règlements, n'acceptait plus de modifications souples et d'adaptations, sous prétexte que la “loi est la loi”. En jetant un discrédit total sur les études indo-européennes (parce qu'elles contenaient en germe une contestation de l'ordre juridique positiviste de la République), en posant systématiquement l'équation « études indo-européennes = nouvelle droite = néonazisme », les journalistes-laquais du régime bloquent à titre préventif toute contestation des structures archaïques de la France républicaine. L'histoire devra établir si de Benoist a oui ou non joué sciemment le rôle de la “tête de Turc”, pour permettre cet exorcisme permanent et donner du bois de rallonge à la vieille république...
Ignorance de l’héritage de Savigny
Carl Schmitt s'est insurgé contre le positivisme et le normativisme juridiques, contre leur rigidité et leur fermeture à toute rénovation: sa position se veut “existentialiste”. Ainsi le droit, l'Etat, une constitution, une institution sont autant de corps ou d'entités vivantes, animées de rythmes lents, qu'il s'agit de capter, d'accepter, de moduler et non d'oblitérer, de refuser et d'éradiquer. Ces rythmes dépendent du temps et de l'espace, de l'histoire et de la tradition. Schmitt s'inspire ici de Friedrich Carl von Savigny. Ce juriste allemand du début du XIXième siècle, spécialiste du droit romain, voyait dans le droit un continuum, légué par les ancêtres (mos majorum), sur lequel on ne pouvait intervenir au hasard et subjectivement sans provoquer de catastrophes. Savigny concevait le droit comme un héritage et rejetait les manies modernes à vouloir imposer un droit, des lois et des constitutions inventées ex nihilo, au départ d'a priori idéologiques, de préceptes moraux ou éthiques adoptés en dehors et en dépit de la continuité historique du peuple. Savigny s'est opposé au code napoléonien, d'essence révolutionnaire, et aux constitutions écrites qui figeaient le flux vivant du Volksgeist (cf. Friedrich Karl von Savigny. Antologia di scritti giuridici, a cura di Franca De Marini, Il Mulino, Bologna, 1980).
Savigny, ses maîtres Gustav Hugo et Philipp Weis, partaient du principe que toute codification constituait une fausse route, était susceptible de déboucher sur l'arbitraire et la tyrannie. Le droit vit de l'histoire et ne peut être créé arbitrairement par des législateurs-techniciens au gré des circonstances ni imposé de force au peuple. Le droit se forme par un long processus organique, propre à chaque peuple. Toute intervention arbitraire dans le continuum du droit interrompt le processus naturel de son développement; même dans une phase de déclin, quand le pouvoir est obligé de recourir à des décrets coercitifs, la codification est dangereuse car elle fige et stabilise un droit corrompu, désormais privé de force vitale. La fixation et la stabilisation du droit en phase de décadence perpétuent des régimes foireux voire iniques. Carl Schmitt écrit dans son célèbre texte qui rend hommage à Savigny et déclare que son œuvre est “paradigmatique”: «Le droit en tant qu'ordre concret ne peut être détaché de son histoire. Le véritable droit n'est pas posé (gesetzt) [comme une loi], mais émerge d'un développement non intentionnel (absichtslos) ... Le positivisme, venu ultérieurement, ne connaît plus ni origine ni patrie (Heimat). Il ne connaît plus que des causes ou des normes fondamentales posées comme si elles étaient des hypothèses. Il veut le contraire d'un droit dépourvu d'intentionnalité; son intention ultime est de dominer et d'obtenir en tout la “calculabilité”».
Pour Ulrich E. Zellenberg, qui s'inscrit aujourd'hui dans le sillage de Savigny et Schmitt, le droit «s'exprime dans les mœurs de la communauté, qui sont perçus comme corollaires de la volonté de Dieu. Le droit et la justice sont dès lors une seule et même chose. Il n'y a pas de différence entre le droit positif et le droit idéal. Comme le Prince et le juge ne sont pas appelés à créer un droit nouveau, mais à garantir le droit déjà existant, les revendications individuelles, les décisions à prendre dans les cas concrets et les innovations de fait se légitimisent comme des recours au droit ancien, ou comme le rétablissement de son sens propre» (cf. Ulrich E. Zellenberg, « Savigny », in : Caspar von Schrenck-Notzing, Lexikon des Konservativismus, Stocker, Graz, 1996).
Défense de la « societas civilis » et droit de résistance
Le droit historique, acquis à la suite d'une longue histoire et non fabriqué par des légistes professionnels, implique a) la défense de la societas civilis et b) le droit de résistance à l'arbitraire et à la tyrannie. La volonté du positivisme de légiférer à tout crin met le droit à la disponibilité des seuls légistes professionnels. Conséquence: le droit devient l'instrument d'une minorité cherchant à asseoir son pouvoir, par ingénierie sociale. Même les “institutions” comme la famille, le mariage, etc. sont à la merci des interventions arbitraires d'une caste isolée de la societas civilis. Pour Schmitt, les “ordres concrets”, les institutions anthropologiques (selon la définition qu'en donne Gehlen), sont des bastions de résistance contre la frénésie légiférante des législateurs positivistes; ces “ordres concrets” imposent des limites à l'ingénierie sociale et juridique, mettent un frein au flux normatif et obligent les légistes à accepter les règles des ordres concrets sous peine de les détruire. La rage légiférante des légistes positivistes (Schmitt: “les législateurs motorisés”) détruit la confiance des citoyens dans le droit, qui perd toute autorité et toute légitimité.
Sur le plan historique, la réaction de Savigny s'oppose tout à la fois à l'école philosophique de Christian Wolff (1679-1754), qui inspire l'absolutisme rationalisant, et aux partisans de l'adoption systématique du code napoléonien (Anton Thibaut, 1774-1840). Le droit germanique prévoit le droit de résistance à la tyrannie: au moyen-âge, ce droit s'inscrit dans les obligations réciproques du seigneur et du vassal, puis dans le droit des états de la société de s'opposer à la violence arbitraire du Prince. Avec Althusius, le droit de résistance est le droit de la societas civilis à s'opposer à l'absolutisme.
Cette brève esquisse des principes de droit de la pensée dite “conservatrice” montre que le discours de la ND aurait dû s'infléchir vers une défense tous azimuts de la liberté populaire contre les instances bodiniennes, coercitives et jacobines de la République française. Sur le plan culturel, cette démarche, renouant avec la défense conservatrice, anti-absolutiste et anti-révolutionnaire de la societas civilis, aurait dû recenser, commenter et glorifier toutes les étapes et les manifestations de révolte populaire en France contre l'arbitraire de l'Etat. De même, la ND aurait dû participer à la définition d'un droit ancré dans l'histoire, comme Savigny l'avait fait pour l'Allemagne. Pour un mouvement qui prétendait mettre la culture au-dessus de la routine politicienne, de l'économie ou même du social, il est tout de même étonnant de ne jamais avoir rien publié sur la notion de Kulturstaat chez Ernst Rudolf Huber, partiellement disciple de Schmitt car il était fasciné par la notion d'“ordre concret”. Le Kulturstaat de Huber est un Etat qui tire son éthique (sa Sittlichkeit) et ses normes d'une culture précise, héritage de toutes les générations précédentes. Cette culture est une matrice prolixe, ouverte, fructueuse: elle est une “source” organique inépuisable tant qu'on n'attente pas à son intégrité (Savigny et, à sa suite, Schmitt insistaient énormément sur cette notion de “source”/“Quelle”, sur l'image parlante de la “source” en tant que génératrice du droit). La notion de source chez Savigny et Schmitt, la notion de “culture” chez Huber interdisent de voir dans le droit et dans l'Etat de pures intances instrumentales. Le Kulturstaat n'est pas un Zweckstaat (un Etat utilitaire, sans continuité, sans ancrage territorial, sans passé, sans projet). Le rôle de l'Etat est de protéger l'intégrité de la “source”, donc de la culture populaire. Telle est la première de ses tâches. Par suite, la culture n'est pas quelque chose qui relève de l'“esprit de fabrication”, de la “faisabilité” comme on dit aujourd'hui, elle génère des valeurs intangibles, lesquelles à leur tour fondent l'idée de justice et justifient l'existence de secteurs non marchands, comme l'éducation (cf. Max-Emanuel Geis, Kulturstaat und kulturelle Freiheit. Eine Untersuchung des Kulturstaatskonzepts von Ernst Rudolf Huber aus verfassungsrechtlicher Sicht, Nomos-Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 1990).
Sur base de cette approche du droit, que possèdent les écoles conservatrices allemande, autrichienne, italienne et espagnole, la ND aurait pu :
- développer une critique des instances révolutionnaires institutionalisées en France et dans les pays influencés et meurtris par le républicanisme révolutionnaire et l'impact du code napoléonien;
- aligner ce pays sur les préoccupations politiques de son environnement européen (car l'organicisme se répercute finalement sur l'ensemble des familles idéologiques, au-delà des clivages politiciens);
- préparer au niveau européen une contre-offensive organique bien étayée;
- élaborer des correctifs contre les miasmes de la centralisation, de l'utilitarisme anti-culturel, de la déconstruction des secteurs non-marchands au niveau eurocratique, etc.
Savigny, école historique, Bachofen
Schmitt, dans son plaidoyer pour un recours aux principales idées-forces de Savigny (cf. «Die Lage der europäischen Rechtswissenschaft», in: Verfassungsrechtliche Aufsätze, Berlin, 1973), fait explicitement le lien entre la démarche de Savigny dans le domaine du droit, d'une part, et celle de Gustav von Schmoller et de son “école historique” en économie, d'autre part. En outre, Schmitt annonce la nécessité de se replonger dans l'étude de la Tradition, en évoquant notamment Bachofen et l'approfondissement des études de philologie classique. Celles-ci nous donnent une image désormais très précise de la plus lointaine antiquité européenne. Les sources les plus antiques du droit nous apparaissent dans toute leur densité religieuse. Grâce aux efforts des philologues, les visions édulcorées de l'antiquité classique qu'un certain humanisme scolaire avait véhiculées, disparaissent dans les poubelles de l'histoire. Schmitt écrit: «Il ne s'agit nullement aujourd'hui de revenir en arrière à la façon des réactionnaires, mais de conquérir une immense richesse de connaissances nouvelles, qui pourront s'avérer fructueuses pour le présent dans le domaine des sciences du droit; nous devons nous emparer de ces richesses et les mettre en forme» (op. cit., p. 416). Dans cet appel de Schmitt, le lien entre les sciences juridiques et la nouvelle philologie classique, considérablement enrichie depuis Bachofen, est clairement établi. Schmitt légitimise dans le discours politologique le recours à la Tradition. L'héritage philologique est mobilisé dans le but de donner à la Cité un droit correspondant à son histoire et à ses origines, à ses sources. La ND a mal utilisé cet héritage philologique, surtout en répétant et en paraphrasant Dumézil, en le mêlant à certaines intuitions d'Evola, lui-même inspiré par Bachofen, mais sans jamais le mobiliser pour proposer un autre droit, pour opposer, au droit républicain et révolutionnaire institutionnalisé, un droit véritablement conforme aux sources européennes du droit. Alain de Benoist a raté le coche: il a fait de son pur discours culturel (cultureux!) un but en soi. Il a failli à sa mission. Il a trahi. Il a servi l'adversaire. Par ses maladresses et son absence de suite dans les idées, par sa négligence du message de Carl Schmitt, il a servi les ennemis de la population française, les ennemis de l'Europe, les ennemis des peuples européens.
Schmitt, en réclamant une recherche bi-disciplinaire, unissant le droit et la philologie d'après Bachofen, entendait donner un instrument à l'élite future de l'Europe: si le droit est demeuré coutumier en Angleterre mais reste aux mains des possédants de la société civile, si le droit est aux mains de fonctionnaires-légistes en France, auxquels fait face la société civile aidée de ses avocats trop souvent impuissants, l'Allemagne, dans l'esprit de Savigny, doit aligner une phalange de professeurs de droit et de philologues, capables de juger selon le sens du droit et non selon les formes et les règles abstraites. Cette phalange de juristes traditionnels et de philologues remplacerait l'ancienne “Chancellerie impériale”, chargée d'arbitrer les diversités du Saint-Empire. Schmitt appelait ainsi de ses vœux une “première fonction” souveraine, organisée selon le projet de Savigny. Cette “première fonction” utiliserait les méthodes organicistes et historiques. La ND, si elle avait été dirigée par des hommes compétents, aurait eu la chance de devenir une telle élite. Malheureusement, elle ne s'est pas concentrée sur les tâches que Schmitt assignait à celle-ci. Elle a pratiqué un occasionalisme systématique et ridicule, où toutes les occasions de “faire le malin” étaient bonnes, de briller dans les salons parisiens peuplés d'imbéciles aux cerveaux pourris par les folies révolutionnaires et jacobines, par l'“esprit de fabrication” (Joseph de Maistre !), par les slogans les plus absurdes, dont Bernard-Henri Lévy et toute la clique des vedettes médiatisées ont donné un bel exemple lors de la crise bosniaque. Tel était l’objectif prioritaire de de Benoist : réussir des coups médiatiques sans lendemain. Face à cette basse-cour parisienne, la ND n'a pas opposé un projet clair: au contraire, elle a présenté un véritable “mouvement brownien” de brics et de brocs d'idées diverses, sans liens apparents entre elles. Du coup, elle ne faisait pas le poids devant ceux qui avaient une longueur d'avance sur elle dans le monde “intellectuel” (?) parisien.
Un droit familial et collégial
Le recours aux études indo-européennes aurait également pu dépasser le clivage qui avait ruiné la postérité de Savigny en Allemagne: l'opposition stérile entre romanistes et germanistes, c'est-à-dire entre partisans du droit romain et partisans du droit germanique. Aujourd'hui, la philologie et les études indo-européennes indiquent au contraire une source commune, plus ancienne, propre à toutes les grandes traditions populaires européennes, et se situant au-delà de ce clivage artificiel romanité/germanité. Tel a été l'apport d'Emile Benveniste, du Géorgien Thomas V. Gamkrelidze, du Russe Vjaceslav V. Ivanov, de Dumézil et de Bernard Sergent. Dans tous ces travaux qui révèlent à nos contemporains les matrices culturelles du monde indo-européen, une part importante de ces volumes respectables traite des “institutions”. Gamkrelidze et Ivanov sont très précis pour tout ce qui concerne les liens sociaux, base du droit privé et du droit public, de l'antiquité à nos jours. Si la ND s'était référée à ces corpus, plutôt que de tirer de Dumézil une sorte de sous-mythologie guerrière, tout juste digne des jeux de rôle pour adolescents désorientés, elle n'aurait jamais essuyé le reproche de “national-socialisme”.
Avec un apport philologique solide, la ND aurait été mieux armée face à ses adversaires. Le droit primitif indo-européen est familial et collégial, il implique la liberté, le droit de résistance à la tyrannie, la délibération démocratique: la ND aurait eu beau jeu de ruiner les arguments de ses adversaires républicains en France. En critiquant tout apport philologique, ceux-ci se rangeaient automatiquement dans le camp des partisans de l'absolutisme, de la coercition, de la rupture entre société civile et appareil d'Etat. La ND aurait arraché leurs masques avec délectation: ces faux démocrates sont de vrais terroristes et le républicanisme institutionalisé n'est pas démocratique, il est même le pire des contraires de la démocratie. La ND aurait pu confisquer pour elle seule le label de “démocratie”. Schmitt conseillait même d'appeler Tocqueville à la rescousse... Effectivement, devant la phalange regroupant Savigny, Tocqueville, Schmoller, Schmitt et les philologues indo-européanisants, le discours républicain serait bien rapidement apparu pour ce qu'il est: un bricolage sans consistance.
Enfin, la notion de Volksgeist apparait certes comme typiquement allemande. Les savants allemands ont étudié en profondeur, de Herder aux frères Grimm, les tréfonds de l'âme populaire germanique. Mais, en dehors de la sphère culturelle et linguistique germanique, les philologues slaves ont pris le relais et ont exploré à fond les coins et les recoins de l'âme slave. Une telle demarche a été entreprise pour la France par quelques esprits aussi hardis que brillants (Van Gennep), mais cet acquis doit à son tour être politisé et instrumentalisé contre les partisans républicains de la “cité géométrique” (ce terme est de Georges Gusdorf, autre penseur capital qui a été totalement ignoré par de Benoist ; on peut légitimement se poser la question ; pourquoi cet ostracisme ?).
Entrelacs très dense de juridictions et de traditions
L'ancienne France n'avait peut-être pas de constitution, mais elle n'était pas un désert juridique. Au contraire: l'histoire des droits communaux ou municipaux, les structures juridiques des paroisses des provinces de France, les assemblées organisées ou non par des syndics permanents ou élus, la diversité des instances de justice, le régime de la milice populaire, l'assistance publique et l'organisation des hôpitaux et des maladreries, la fonction des prudhommes, les protections accordées à l'agriculture, sont autant de modèles, certes complexes, qui expriment la vitalité du petit peuple et sont les garants de ses droits fondamentaux face au pouvoir.
C'est dans ces entrelacs très denses de juridictions et de traditions juridiques que s'est épanouie la France rabelaisienne, la fameuse gaîté française (cf. Albert Babeau, Le village sous l'Ancien Régime, rééd., Genève, 1978, éd. or., Paris, 1878). Plutôt que d'encourager les fantasmes douteux et vikingo-germanolâtres de certains adolescents fragiles (ou de gâteux précoces...), la ND française aurait dû renouer avec cette France joyeuse des libertés villageoises, même si le type du gai Gaulois, païen, paillard et libertaire ne correspond pas au personnage sinistre, lugubre, grognon et tyrannique qui orchestre aujourd’hui cette ND moribonde, tenaillé par un ressentiment hargneux de vieille femme délaissée. Le recours à la vieille France rabelaisienne aurait été détonnant si la ND l'avait couplé à une exploitation idéologique efficace de cette distinction capitale qu'avait opérée l'ethnologue Robert Muchembled entre la “culture du peuple” et la “culture des élites”. La culture du peuple est fondamentalement païenne (c'est-à-dire paysanne et tournée vers les rythmes naturels auxquels nul ne peut échapper), elle est axée sur la diversité du réel et sur les innombrables différences qui l'animent. La culture des élites est étriquée, schématisée, géométrique avant la lettre, répressive, “surveillante et punissante” (pour reprendre les expressions favorites de Michel Foucault), en un mot, scolastique. Le pari pour la culture populaire rabelaisienne impliquait aussi de prendre parti
- pour les révoltes régionales contre la “cité géométrique” montée par Siéyes et les révolutionnaires ;
- pour la diversité des expressions populaires dans les anciennes provinces de France ;
- pour les révoltes populaires en général, que ces révoltes soient paysannes, régionalistes, syndicales ou ouvrières.
Cette triple prise de parti permettait de renouer avec la notion de “droit de résistance”.
Mais hélas: l'option droitière, le désir irrépressible (mais jamais réalisé!) de “manger à la table des puissants”, de servir de mercenaires aux droites du pouvoir, de débiter inlassablement des discours anticommunistes ineptes, de s'allier avec des politiciens droitiers véreux qui étalent leur prose dans la presse bourgeoise, de vouloir à tout prix collaborer à cette presse (parce qu'elle paie bien), empêchaient de jouer cette double carte de la défense et de l'illustration de la vieille France populaire et rabelaisienne, de revendiquer le droit de résistance de la societas civilis, de défendre le peuple réel contre ses oppresseurs, légistes ou militaires. Mais les puissants n'ont pas accepté le mercenariat proposé, le gourou de la ND a été remercié; c'est alors que l'on a assisté à un aggiornamento de la ND, à une tentative de s'ouvrir sur la gauche intellectuelle, ses cénacles, ses salons. Mais comment entrer dans ce monde-là, quand on revient piteusement d’en face, quand on a voulu se faire le gendarme intellectuel d'une fausse droite qui n'est jamais rien d'autre que la vraie gauche républicaine institutionnalisée?
Créer une « chancellerie impériale »
Schmitt, dans son projet de reconstituer une sorte de “chancellerie impériale” en créant son élite de juristes traditionnels et de philologues, gardiens du plus ancien passé de l'Europe, n'entendait pas jeter brutalement tout l'édifice juridique révolutionnaire-institutionalisé à terre. Il jetait un soupçon sur la validité et surtout sur la légitimité de cet édifice, il constatait que l'inflation de lois et de réglements, que la fixation sur les normes avaient conduit à un totalitarisme insidieux, à une tyrannie des normes, à l'émergence d'une cage d'acier institutionnelle rendant aléatoires les changements et les adaptations nécessaires. Or, en France, le gaullisme des années 60, pourtant héritier du républicanisme français, gère une constitution, celle de la Vième République, qui a reçu indirectement, via René Capitant, l'influence de Schmitt et de l'école décisionniste allemande. L'influence de Schmitt a parfois été considérée comme “étatiste”; on a dit qu'elle servait à soutenir les vieux Etats de modèle occidental et leurs appareils de contrôle et de répression. C'est là une interprétation schématisante de son œuvre. Nous l'avons vu en analysant son plaidoyer pour un retour à la démarche de Savigny. La societas civilis et ses ordres concrets sont, pour Schmitt, des instances et des valeurs d'ordre et de discipline, sont les réceptacles de vertus créatrices. Les constitutionnalistes de la Vième République, en suivant la logique de Schmitt, ont dû parvenir au même constat. Et admettre que le républicanisme français et ses imitateurs en Europe généraient une coupure problématique et perverse entre la societas civilis et les appareils d'Etat. Dans les années 60, les politologues gaulliens ont réfléchi à la question: le hiatus entre societas civilis et appareils d'Etat devait être surmonté par trois innovations réellement fécondes: a) la participation dans le domaine économico-industriel, b) la création d'un Sénat des professions, hissant l'élite de la societas civilis au plus haut niveau de l'Etat et de la représentation politique; c) la création d'un Sénat des régions, permettant de redonner à tous les territoires de l'Hexagone une représentation directe sur une base locale, contournant ce que Gusdorf avait appelé l'“ivresse géométrique de la France en carrés” (in La conscience révolutionnaire. Les idéologues, Paris, 1978).
Malgré ses dénégations, malgré ses déclarations réitérées de vouloir sortir du ghetto de l'extrême-droite, de Benoist n'a jamais cessé d'être accroché par toutes sortes de fils à la patte à ses petits copains de l'ex-OAS qui faisaient de l'anti-gaullisme un dogme et étaient tellement aveuglés par leurs ressentiments qu'ils ne constataient pas les mutations positives du gaullisme dans les années 60. Certes, de Benoist a un jour écrit un bon article dans le Figaro-Magazine, où il affirmait être gaullien plutôt que gaulliste. Mais la transition qu'il semblait annoncer par cet article en est restée là... Seul Europe, Tiers-Monde, même combat constitue une tentative d’Alain de Benoist de sortir concrètement du duopole de la Guerre Froide, mais, hélas, ce livre n’a pas eu de suite, n’a pas été remis à jour après 1989. Armin Mohler avait enjoint les Allemands à parier sur l’alliance française et l’appui aux « crazy states » hors d’Europe. Alain de Benoist lui a emboîté le pas. Mais où est la recette pour l’après-perestroïka ? Quelle théorie sur la Russie ? Alain de Benoist est fidèle à sa maladie : rien que les idées abstraites et les éthiques désincarnées, ses pièces de meccano. Pour le reste, fuite hors de l’histoire, fuite hors du monde.
Droit de résistance et citoyenneté active
Enfin, si la ND avait renoué avec la notion —pourtant éminemment conservatrice— de “droit de résistance”, elle n'aurait eu aucune peine à déployer un projet de citoyenneté active (et participative), et à défendre les secteurs non-marchands (éducation, secteur médical) battus en brèche par l'économicisme ambiant. Aujourd'hui, les quelques références à une citoyenneté active dans les textes de la nouvelle droite semblent tomber du ciel, semblent n'être qu'une manie et qu'un caprice passager, que les vrais partisans de la citoyenneté active ne prennent pas au sérieux. Mais nous, Sampieru, Mudry et moi-même, qui avions revendiqué très tôt cette orientation vers le peuple réel, étions traités par le gourou de “trotskistes” ou d'“écolos”, de lecteurs de la revue Wir Selbst, jugée à l'époque dangereusement “gauchiste”. Aujourd'hui, le gourou est lui-même devenu, paraît-il, un “trotskiste” et un “écolo”, il flatte bassement mais sans résultat le directeur de Wir Selbst, alors, pour dédouaner ses anciennes injures, il a fait écrire à l'un de ses serviteurs italiens une lettre insultante qui nous campait comme les “teste matte della Mitteleuropa” (les têtes brûlées de la Mitteleuropa). Vouloir la subsidiarité, le rétablissement du droit de résistance, vouloir un droit plongeant dans l'humus de l'histoire, être fidèles à Carl Schmitt, est-ce un programme capable de séduire des “têtes brûlées”? (7).
Lacunes économiques et géopolitiques
Enumérer les multiples errements de la ND française exigerait un livre entier. En guise de conclusion, signalons encore que l'économie a été une parente pauvre de la “révolution métapolitique” de la secte GRECE. Rien de sérieux n'a été entrepris pour faire connaître dans un public large les thèses des économistes hétérodoxes. En matière de géopolitique, on a vaguement évoqué un binôme franco-allemand (insuffisant dans l'Europe actuelle) et répété un anti-américanisme incantatoire, plus éthique que pratique. Alain de Benoist n'a jamais reproché aux Américains de fabriquer des “traités inégaux” avec toutes les autres puissances de la planète, n'a jamais analysé sérieusement le déploiement de la puissance américaine depuis l'indépendance des Etats-Unis: lors d'un colloque du GRECE, devant le public abasourdi, son argument principal ne fut-il pas de dire: “la sodomie entre époux est passible des tribunaux dans certains Etats de l'Union”. Et de Benoist, immédiatement après avoir prononcé cette phrase historique, regardait son public, semblait attendre une réaction. Les participants regardaient leurs chaussures d'un air géné. Et de Benoist a continué à parler, passant de la sodomie à autre chose, comme les polygraphes passent de la physique nucléaire à la bande dessinée. L'argument obsessionnel et pathologique de la sodomie épuise-t-il toute critique de l'américanisme?
Les litanies anti-américaines, justifiées par l'esthétisme, par l'éthique guerrière européenne, par l'hostilité au christianisme en général et au christianisme protestant américain en particulier, par la volonté obsessionnelle de défendre la liberté de se sodomiser en rond n'apportent rien de concret. Ligues de vertu puritaines et hystériques et cénacles pansexualistes et promiscuitaires ne servent jamais que de dérivatifs: pendant que les uns et les autres vocifèrent et s'agitent, ils ne se mêlent pas du fonctionnement de la Cité, au vif plaisir des dominants. La CIA peut dormir sur ses deux oreilles.
La CIA peut dormir sur ses deux oreilles…
La ND, qui se pose en théorie comme un mouvement pour la défense et la sauvegarde de l'Europe, n'a jamais formulé une géopolitique continentale d'un point de vue français. On connait les visions mitteleuropéennes de la géopolitique allemande, voire les projets de Kontinentalblock dérivés de la pensée de Haushofer. Jamais la ND française n'a vulgarisé les acquis de la géopolitique française contemporaine: aucun texte n'a été publié sur les ouvrages de Hervé Coutau-Bégarie, de Pascal Lorot, de François Thual, de Jacques Sironneau, d'Yves Lacoste (un “gauchiste”...), de Michel Foucher (un méchant qui a travaillé pour Globe...), de Zaki Laïdi (un “Arabe”...), de Michel Korinman, etc. alors que, dans toute l'Europe, ces travaux sont pionniers et inspirent les écoles géopolitiques en place. Pire, jamais la ND n'a emboîté le pas à Jordis von Lohausen qui demandait aux Français et aux Allemands de défendre l'Europe “dos à dos”, ce qui impliquait un engagement français sur l'Atlantique, une défense de la marine française, traditionnellement européiste et vaccinée contre les excès de germanophobie qui ont souvent agité les milieux militaires. La ND parisienne a-t-elle défendu les marins français et leurs projets, a-t-elle recommandé la lecture des écrits théoriques de l'amirauté? Non. La CIA peut dormir sur ses deux oreilles. La Navy League aussi. La germanophilie et l'européisme germanisant de la ND de de Benoist sont des leurres, des attrape-nigauds, des miroirs aux alouettes. Une politique germanophile et européiste en France est une politique de soutien à la marine du pays et implique un engagement civil et militaire dans l'Atlantique; l'Allemagne réorganise la continent avec la Russie; la France garde la façade atlantique. Dos à dos, disait Lohausen.
En philosophie, les carences de la ND sont effrayantes. Alors qu'en Allemagne, terre par excellence de la philosophie, tous recourent aux philosophes français contemporains pour court-circuiter les routines qui affligent la pensée allemande d'aujourd'hui, que des fanatiques tenaces cherchent à aligner sur les critères les plus étriqués de la “political correctness”, la ND parisienne a délibérément ignoré les grands philosophes français contemporains. J'ai même entendu dire et répéter dans les rangs de la ND qu'il n'y avait plus de “grands philosophes” aujourd'hui, mis à part de Benoist, bien sûr, le génie d'entre les génies! On ne saurait être plus à côté de la plaque!
Enfin, une stratégie métapolitique ne saurait être purement esthétique, ni virevolter au gré de tous les vents ni présenter ses arguments dans le désordre à la façon du “mouvement brownien” des particules. Une stratégie métapolitique ne peut se placer en-deçà de l'effervescence politicienne et partisane, que
- si elle se donne pour tâche de retrouver et de renouer des fils conducteurs,
- si elle capte et repère des forces dans le grouillement du réel ;
- si elle procède à un travail d'archéologie des institutions.
Les méthodes d'un tel travail, les philosophes français nous les ont léguées. Encore faut-il ne pas les avoir ignorés...
En bref, pour nous, entre autres textes de référence pour orienter notre travail, nous avons choisi celui de Schmitt, commenté dans cet exposé. Ensuite, nous posons des objectifs clairs, nous ne percevons pas le travail théorique comme un jeu de salon. Ces objectifs sont:
- restauration d'un droit européen basé sur ses racines et ses sources les plus anciennes (référence à Savigny).
- restauration des droits des communautés réelles qui font le tissu de l'Europe.
- restauration d'une “chancellerie impériale” capable d'harmoniser cette diversité juridique, corollaire de la diversité européenne (et cette chancellerie impériale doit compter des hommes et des femmes de toutes nationalités, capables de maîtriser plusieurs langues européennes).
- maintenir les systèmes de droit ouverts, afin d'éviter les fanatismes normativistes et toute forme de “political correctness”.
- prévoir une instance décisionnelle en cas de danger existentiel pour l'instance politique (nationale ou européenne).
- étude systématique des traditions d'Europe, comme Schmitt nous l'a demandé.
- coupler cette restauration juridique et cette méthode historique à un programme hétérodoxe en économie (la référence que fait Schmitt à l'école historique de Gustav von Schmoller).
Les remarques de Kowalski
Ce programme est vaste et interpelle quasiment toutes les disciples du savoir humain. Mais ce progamme ne saurait en aucun cas s'abstraire du mouvement de l'histoire. Et s'encombrer du ballast inutile des fantasmes, des images d'Epinal, des vanités personnelles... Pour terminer, signalons tout de même une hypothèse sur la ND, formulée par un politologue allemand, Wolfgang Kowalsky (in: Kulturrevolution? Die Neue Rchte im neuen Frankreich und ihre Vorläufer, Opladen, 1991). Kowalsky, après avoir analysé l'évolution des idéologies politisées en France, de mai 68 à l'avènement de Mitterrand, après avoir examiné le rôle de la ND dans cette longue effervescence, concluait en disant que la “métapolitique” de la ND, plus exactement son programme de “révolution culturelle”, était une arme contre la société civile (Kulturrevolution als Barriere gegen die Zivilgesellschaft). Certes, l'argumentation de Kowalsky est confuse, il confond allègrement ND et FN, croit en un “partage des tâches” entre ces deux formations (ce qui est une lubie des enquêteurs anti-fasciste professionnels sans profession définie). Néanmoins, la question de Kowalsky doit être posée, mais différemment: vu l'absence totale de consistance des discours de la ND sur le droit, l'économie, la géopolitique, les relations internationales, la staséologie (l'étude des mouvements sociaux; ce néologisme est de Jules Monnerot), l'histoire, l'organisation de la santé, les projets pratiques en écologie et en approvisionnement énergétique, etc., nous sommes bien obligés, à la suite de Kowalsky, de constater que la societas civilis, espace réel de la civilisation ou de la culture européenne, ne trouve dans la ND aucun argument pour assurer sa défense contre l'emprise croissante d'un monde politique totalement dévoyé, qui n'a plus d'autre projet que de se perpétuer, en s'auto-justifiant à l'aide d'arguments vieux de deux ou trois siècles, en pillant la societé civile par une fiscalité délirante, en la contrôlant par la presse et les médias stipendiés, en surveillant et en punissant ceux qui osent contester ce pouvoir inique (emprisonnement de fédéralistes français, poursuites judiciaires contre des indépendants contestant le système de sécurité sociale, contrôle de la fonction médicale, etc., toutes pratiques que l'on trouve évidemment dans d'autres pays). Kowalsky exagère sans nul doute en suggérant que de Benoist a construit pour toute la France une barrière contre la société civile, pour protéger et perpétuer le système bodinien, en place depuis Richelieu et les jacobins. Le rôle de de Benoist, s'il a vraiment été un dérivatif, a été plus modeste: empêcher que dans les milieux dits de “droite”, des argumentaires en faveur de la décentralisation, du fédéralisme, de la défense de la société civile, de la réforme juridique, judiciaire et constitutionnelle, qu'un retour aux projets gaulliens de participation et de sénat des professions et des régions (oubliés depuis le départ et la mort du Général), ne se cristallisent et ne se renforcent, afin de défier sérieusement le système en place et d'opter pour une révolution européenne armée d'un programme cohérent. La “métapolitique” selon de Benoist n'a été qu'un rideau de fumée, qu'un dérivatif, n'a servi qu'à désorienter de jeunes étudiants en ne les mobilisant pas pour un travail juridique, économique, sociologique et philosophique politiquement fécond à long terme. Pistes perdues... Rendez-vous manqués… Aveuglement ou sabotage ? L’Histoire nous l’apprendra…
Robert STEUCKERS,
Forest, février 1998.
(1) Roland Gaucher, qui reconnaît pleinement les mérites du GRECE, lui reprochant toutefois une méconnaissance de la stratégie de Gramsci, sait aussi croquer avec humour les travers que nous dénonçons par ailleurs : « Je me souviens ici d’une intervention d’Alain de Benoist, qui m’avait frappé lors d’un colloque organisé par l’Institut d’études occidentales. Quand vint son tour de parler, partant du fond de la salle, il s’avança, raide et gourmé, un rouleau de papier à la main. Ses partisans se levèrent pour l’acclamer — il n’était, à l’époque, guère connu mais il avait déjà su constituer sa clique et sa claque. Je n’ai pas retenu grand chose de son intervention, sinon l’expression d’un rejet radical de l’histoire de Job sur son fumier. Selon lui, elle ne nous touchait pas. Elle était radicalement étrangère à la cultue européenne » (Roland Gaucher, « Les Nationalistes en France, tome 1, La traversée du désert (1945-1983), p. 157). Plus loin, Gaucher se fait plus caustique encore : « J’en finirai sur cette aspect du GRECE avec une anecdote qui me fut un jour contée par le regretté Bonomo aujourd’hui décédé, excellent reporter, d’origine pied-noir. Bonomo, il y a une quinzaine d’années (peut-être à l’époque de la création du « Fig-Mag ») avait servi de pilote à Alain de Benoist et à un de ses amis pour un raid vers le Cap Nord. Bonomo conduisait la voiture, les deux autres étaient assis à l’arrière. Et au fur et à mesure que le temps passait, il était clair que se développait chez ces deux Nordiques un sérieux complexes de supériorité à l’égard de ce Méditerranéen, poisson de second choix. On parvint enfin au terme du voyage, en un point X… que la tradition nordico-païenne avait sans doute désigné : - Alors, raconte Bonomo, de benoist et son pote jaillissent de la voiture. Et, frappant de leurs petits poings leurs maigres bréchets ils avancent jusqu’au bord de la falaise et ils crient, extasiés, le visage levé vers le soleil pâle : « Père ! Père ! C’est nous ! Nous sommes revenus ! Nous t’adorons ! ». Bref, c’était gentil papa Soleil ! (op. cit., pp. 157-158).
(2) Près de Pérouse en février 91, Alain de Benoist était assis au fond de la salle de conférence, une salle magnifique de cet ancien couvent transformé en centre de séminaires, avec un parquet du XVIIIième parfaitement restauré. Il était interdit de fumer pour ne pas abîmer ce parquet. Alain de Benoist fumait, sale et dépenaillé, avec son costume fripé, sa chemise souillée et ses pompes qui n’avaient plus vu de cirage depuis des lunes. Une auréole de fumée s’élevait au-dessus de son crâne et de celui de sa maîtresse, vêtue d’un jeans troué et effiloché aux niveaux du genou et de la fesse gauche, curieux contraste avec toutes les dames italiennes présentes, dont l’élégance, ce jour-là, était véritablement époustouflante. Les copains parisiens ramenaient des bords de la Seine le look clodo. «Le style, c’est l’homme », disait Ernst Jünger et Alain de Benoist aimait à répéter cette phrase. Je l’ai aussi méditée, en le regardant, ce jour-là. Vers la moitié de mon exposé, il s’est levé pour aller fumer dehors, rappelé à l’ordre par le concierge. Il est revenu à l’entracte pour me dire : « Pourquoi t’as parlé de Derridada ?».
(3) Cette lecture partielle est une lecture anti-fasciste de Gobineau. Bon nombre d’hurluberlus de droite ont repris telles quelles les calomnies répandues sur Gobineau en France par les tenants d’un anti-racisme vulgaire, qui feraient bien mieux de s’inspirer des expériences de Gobineau en Orient pour développer un anti-racisme cohérent. Force est de constater que les vulgates anti-racistes et racistes partagent la même vision tronquée sur l’œuvre magistrale de l’orientaliste Gobineau.
(4) Cf. Hervé Luxardo, « Les paysans. Les républiques villageoises. 10ème-19ème siècle », Aubier, Paris, 1981 ; Hervé Luxardo, « Rase campagne. La fin des communautés paysannes », Aubier, Paris, 1984.
(5) et, du même coup, de refaire de Hambourg le chef-lieu du département des “Bouches-de-l'Elbe”. Fantasme qui avait déjà valu au bonhomme quelques ennuis, quand il était en poste à Bruxelles et rêvait de commencer sa marche vers l'Elbe, en conquérant la Wallonie et les Fourons.
(6) Il fallait le voir! Il aurait fait les délices d'un caricaturiste primesautier, avec ses sourcils tombant tristement, comme la chute des moustaches d'un Tarass Boulba de fête foraine, la bouche ouverte, la mâchoire pendouillant misérablement comme s'il venait d'essuyer un uppercut, les bajoues agitées de convulsions nerveuses, la lippe inférieure tremblotante, retenant à peine, grâce à la forte viscosité d'une salive nicotinée, son éternel bout de clope à moitié éteint et pestilentiel!
(7) Et que faut-il penser de la clique des vikingomanes de Paris et des environs, du fameux Chancelier du gourou, pied-noir et grande gueule, s'époumonant à hurler les pires inepties lors des universités d'été du GRECE, s'agitant à formuler un grossier paganisme de bazar oriental, et que faut-il penser de cette maîtresse vulgaire et illettrée qui faisait naguère, la clope au bec et l'invective sur la lippe, la pluie et le beau temps dans les bureaux du gourou, et que faut-il penser du Président actuel de la secte qui grenouillait dans les années 60 dans un groupe ultra-raciste (à faire pâlir Julius Streicher!) exclu avec fracas par Jean Thiriart de “Jeune Europe” à Bruxelles, d'un Président qui nous lance une fatwah du haut de sa tribune, lors du dernier colloque du GRECE, en prétendant que nous sommes de « dangereux extrémistes » ? Non, ceux-là ne sont pas des “teste matte”: c'est, paraît-il, l'avant-garde de l'élite européenne. Mais est-ce bien cette élite-là que Schmitt appelait de ses vœux? Je me permets d'en douter.
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jeudi, 30 juillet 2009
Terre & Peuple n°39: l'arme géopolitique
Terre & Peuple - Wallonie - Communiqué
TERRE & PEUPLE Magazine n°39
"L'arme géopolitique"
Dans son éditorial au numéro 39 du T&P Mag, qui évoque la dimension raciale du conflit antillais, né par hasard avec l’ère Obama, Pierre Vial relève que les mêmes qui qualifient ces violences de ‘culturelles et identitaires’ jugent ignoble le souhait de ‘préserver sa race’. Parce que contraire à une idéologie officielle largement admise par une population pressée de trahir dans l’espoir d’éviter le fameux choc. Il est temps dès lors de mettre en place la fraternité blanche.
Autour des nouveaux musées (Guggenheim, à Bilbao, Coop Himmelb(l)au à Lyon), FAV s’applique à une analyse de la ‘médiasphère’ qui vise à transformer le musée-conservatoire en un lieu d’actualités, présentant le musée lui-même comme l’événement sensationnel, pour assurer sa survie financière. Afin que l’individu, détribalisé, ingurgite sa ration d’images pieuses.
Emmanuel Ratier, documenté et vigilant, épingle une nouvelle monnaie norvégienne à l’effigie de Knut Hamsun, Prix Nobel enfermé à 85 ans dans un asile, après son éloge funèbre à Hitler. Bernard Kouchner, dénoncé par Pierre Péan, pour ses magouilles sous paravent humanitaire, et pour ses faux ‘camps d’extermination serbes’, s’en tient à accuser Péan d’antisémitisme, ce que Maurice Szafran et Joseph Cohen jugent être la mort du débat public.
Le gros dossier ‘L’arme géopolitique’ est assumé pour moitié par Alain Cagnat. Pour lui, trois affaires marquent le sort de la planète : l’oléoduc BTC/l’Irak/l’Afghanistan. Dès 1994, Halliburton (Dick Cheney) et Chevron (Condolezza Rice), pour affranchir les pétroles du Kazakstan du contrôle russe, projettent l’oléoduc BTC (de Bakou en Azerbaidjan, par Tbilissi en Georgie à Ceyhan en Turquie). En 2000, le PNAC (Project for a New American Century, de Cheney/Rumsfeld/Wolfowitz/Perle) programme la seconde guerre contre l’Irak, obstacle à l’hégémonie (énergétique) des States.
La ‘vieille Europe’ tente alors de dialoguer avec la Russie. La ‘jeune Europe’ orientale, revancharde, mise sur l’Amérique, seule à avoir résisté à l’URSS. Pour affaiblir l’Europe, les Etats-Unis accélèrent la dislocation de la poudrière multiculturelle des Balkans, y favorisant la pression islamiste (Albanie, Kosovo). Ils incitent l’Europe centrale à adhérer à l’UE et à l’OTAN, ce qui leur ouvre un double accès à la Mer Noire et présentent l’Iran (mais en fait la Russie) comme une menace (bouclier anti-missiles). Les Pays baltes (Lithanie/Lettonie) ayant pris le contrôle du grand oléoduc nord-ouest, la Russie entame la construction du BPS (Baltic Pipeline System) et Gazprom s’entend avec BASF et Ruhr Gaz pour mettre en place Northstream, que les Polonais s’ingénient à retarder. En Europe orientale et en Europe caucasienne : les Américains n’ont pas réussi, en Biélorussie, à déstabiliser le fidèle Loukachenko, ami des Russes.
Le GUAM (Organisation pour la démocratie et le Développement) s’affaire à détacher de l’influence russe l’Ukraine, la Georgie, l’Azerbaïdjan et la Moldavie. Il projette un oléoduc OBP entre la Mer Noire et la Pologne. Mais parallèlement, l’UE avec l’Allemagne et la Tchéquie fonde le Partenariat oriental, avec l’Europe orientale et caucasienne, y compris l’Azerbaïdjan. La Moldavie dépend fort de la Russie. L’Ukraine, d’abord emportée par la ‘révolution orange’ de Iouchtchenko, voit à présent sa ‘tsarine’ Ioulia Timochenko signer un accord avec Poutine dans la ligne d’un partenariat Europe-Russie indispensable à l’équilibre du continent. Reste en question la Crimée, rattachée à l’Ukraine par Khrouchtchev et qui compte 60% de Russes (75% à Sébastopol, base concédée à la flotte russe jusqu’en 2017 !). L’Arménie, fidèle à la Russie qui l’a sauvée des Ottomans, sous blocus de l’Azerbaïdjan et ravitaillée par l’Iran, compte sur sa puissante diaspora américaine.
L’Azerbaïdjan s’est épuré de ses Arméniens (pogroms en 1990) à l’exception du Nagorny-Karabakh (rattaché au pays par Staline), où ils sont encore 80%. Le pays détient d’énormes réserves de pétrole et de gaz. Puissamment soutenu par la Fondation Soros (dont il a néanmoins fait échouer la ‘révolution orange’), le président Aliyev joue l’équilibre. Les Azéris, chiites, sont travaillés par les islamistes iraniens. Dès son indépendance, la Géorgie, à qui Staline (géorgien lui-même) avait greffé trois territoires autonomes (Ossétie du Sud, Abkhazie et Adjarie), est entrée en guerre sanglante contre eux. Avec la ‘révolution des roses’, l’avocat newyorkais Michaïl Saakachvili a pris le pouvoir. Fort du soutien des Etats-Unis et d’Israël, il a lancé contre l’Ossétie du Sud une désastreuse opération, qui a révélé l’impuissance américaine et déterminé l’UE à dialoguer avec la Russie. Le Nord Caucase, qui groupe des républiques de la Fédération de Russie, musulmanes (Tcherkessie, Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan) ou orthodoxe (Ossétie du Nord) est un patchwork multiculturel composé par Staline dans le but d’affaiblir chacune.
Ce sont des islamistes coriaces, que Poutine traite fermement (« jusque dans les chiottes »). Au Proche-Orient, Israël étant partie prenante des oléoduc BTC et gazoduc BTE vers la Turquie, il fallait que les Serbes soient virés du Kosovo. Toutefois, depuis la gaffe géorgienne, les Russes menacent les deux tracés. Dans les espérances occidentales, la Turquie devait hériter du ‘pouvoir de nuisance’ de la Russie. Bien que d’une stabilité douteuse, les Turcs peuvent affaiblir Russes comme Européens, chez qui, heureusement, les anti-turcs tiennent bon. C’est la Bible et leur propre histoire de Terre promise qui rapprocheraient les Américains d’Israël, leur treizième porte-avions. Toutefois, depuis le fiasco du Liban (2006) et l’échec de Tsahal à Gaza (2008), et avec sa nouvelle majorité explosive, la stabilité d’Israël ne tient plus qu’à l’instabilité de ses voisins. L’Egypte est gangrenée par les Frères musulmans, proches des Iraniens et du Hamas et qui contrôlent le Sinaï et la zone frontalière de Gaza. L’Arabie saoudite, ‘amie des Américains, achète sa tranquillité, en finançant les fondamentalistes ! Les Monarchies du Golfe ne sont que des lunaparks méprisés par tous les bons musulmans.
La Jordanie deviendra peut-être la Grande Palestine (si les Israéliens achèvent le ménage). La Syrie, hostile à Israël, est un des voyous de l’Axe du Mal, mais un interlocuteur incontournable. Le Liban n’existe que par le Hezbollah, qui en contrôle la moitié. L’Irak, après ses guerres Bush I et Bush II, a été officiellement pacifié par le général Petraeus (et l’accord avec le Mahdi chiite Moqtadar-al-Sadr). Sunites, chiites et Kurdes attendent pour reprendre leur guerre civile le départ des Américains. Lesquels ne resteraient que pour protéger les Kurdes (et leur pétrole). A défaut, ils auraient perdu pour rien quatre mille hommes, des centaines de milliards et gagné la haine de la planète. La concurrence entre les projets de gazoducs Nabucco c/Southstream (qui confronte l’UE à Gazprom russe et à ENI italienne) donne plusieurs longueurs d’avance aux seconds : les Russes ont déjà des accords avec la Hongrie, la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et l’Autriche, de même qu’avec le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, alors que l’avenir de Nabucco est encore incertain. Si les potentats de cinq républiques ex-soviétiques d’Asie centrale ont d’abord été aisément subjugués par quelques dizaines de millions de dollars, le mouvement s’est renversé.
Le président Karimov d’Ouzbékistan a sévèrement réprimé une manifestation encouragée par les Américains, qui n’ont eu que le temps de lui rappeler les droits de l’Homme que déjà ils étaient expulsés. Cible des islamistes, il préfère se rapprocher des Russes. De même, le Turkménistan, qui ne tolère aucun soldat étranger, a préféré les Russes aux Américains. Le président Nazarbaiev du Kazakhstan, pris entre ses Kazakhs au sud et ses Russes (30%) au nord, maintient difficilement l’unité. Son pétrole voyage par l’oléoduc CPC et, pour son gaz, il est partie prenante avec le Turkménistan d’un accord avec la Russie. Le bail de la base spatiale russe de Baïkonour court jusqu’en 2014 et celle de Sary Chagoun jusqu’en 2050. Le Kirghizistan (peuplé d’Indoeuropéens) a fait l’objet d’une ‘révolution des tulipes’. Il s’est retourné depuis contre les Américain, qui doivent évacuer la base militaire qu’ils louaient fort cher, alors que les Russes en reçoivent gratuitement ! Le Tadjikistan, pays persanophone pauvre, voisin de l’Afghanistan, est en guerre civile larvée et est occupé à la fois par les Russes et par les Américains.
Pour la Mer Caspienne, les Américains nourrissent le projet d’une ‘Caspian Guard’ aéronavale, officiellement pour empêcher les trafics de drogue et d’armes, mais il leur manque d’avoir un pied dans un pays riverain. Puissance stable du Moyen-Orient, l’Iran, peuplé d’Indoeuropéens chiites, regorge de pétrole. Il a le soutien de tous les damnés de la terre (sunites comme chiites irakiens, Hezbollah, Hamas, Frères musulmans, Afghans et Kurdes). Il est partie dans un axe Moscou-Téhéran-Pékin. Il a même passé un accord gazier avec la Turquie. Il ne renoncera pas à sa bombe atomique. A défaut de pouvoir le vaincre, les Américains doivent le convaincre.
L’Afghanistan est une aberration britannique, une mosaïque de peuples en guerre par tradition, où les Américains ont joué les islamistes contre les soviétiques. Le gouvernement Karzaï ne contrôle qu’un cinquième du pays. Il est impossible à l’OTAN de gagner, ni d’empêcher les Afghan d’être les premiers producteurs mondiaux d’héroïne. Au Pakistan voisin, la CIA a arrosé les fous d’Allah avec des torrents de dollars. La contagion s’est étendue et les talibans en sont à menacer les voies de ravitaillement américaines. Les bombardements de représailles touchent essentiellement des civils et font de nouvelles recrues antiaméricaines. La guerre au Cachemire achève d’affaiblir le front ‘occidental’. OTSC et OCS sont deux alliances antiaméricaines : l’Organisation du traité de sécurité collective est une réplique de l’OTAN, qui a permis à l’Ouzbékistan et au Kirghizistan de se débarrasser de leurs troupes américaines ; l’Organisation de coopération de Shanghaï, rassemble, avec la Russie et la Chine, le Kazakhstan, le Khirgizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan et elle a accepté l’Inde, le Pakistan, la Mongolie et l’Iran comme observateurs. L’Inde, le Japon et la Chine sont de faux colosses, peu impliqués encore dans le jeu géopolitique.
L’Inde, qui essaie une troisième voie occidentale, n’est en rien une nation. Elle est pratiquement en guerre avec le Pakistan (l’une comme l’autre ont la bombe atomique !). Le Japon est un satellite désarmé des Etats-Unis, dont la renaissance ne passera que par sa redécouverte des samouraïs. La Chine est une menace pour après-demain. Elle multiplie les relations avec la Russie et l’Iran et avec les républiques d’Asie centrale. Plus encore qu’avec les Tibétains, les Chinois ont des problèmes avec les Ouïghours, turcomongols musulmans sécessionnistes. Avec tout cela, les Américains ont perdu une partie de leurs pions et vont devoir abandonner un costume trop grand pour eux, les Russes ont regagné une grande partie de leurs positions et les Européens (UE) ont fait le mauvais choix.
Alain Cagnat, encore lui, pose le choix ‘Occident ou Eurosibérie ?’. L’Occident, protecteur de l’univers contre le Mal absolu du terrorisme, ce leurre destiné aux foules rendues stupides, se fissure. Obama promet un changement, dans la continuité car tout son entourage appartient au White Power. A l’inverse, dans la Russie (qu’on nous présentait comme définitivement humiliée), Poutine s’est attaqué aux oligarques (qu’on nous présentait comme des dissidents). Elle n’est plus une menace pour l’Europe et a intérêt à se rapprocher d’elle, ce que redoutent les Américains. Lesquels n’ont plus les moyens de leurs prétentions hégémoniques, avec une économie en faillite et une armée qui ne tolère pas les pertes ! Notre chance est l’Eurosibérie. Nos enfants ne nous pardonneront pas de la laisser passer, pas plus que nous ne devons pardonner à nos ancêtres d’avoir déclenché la première guerre mondiale.
Pour Pierre Vial, le gouvernement de la France, vendu à Washington, ne pouvait que déboulonner Aymeric Chauprade, esprit libre, de sa chaire de géopolitique au Collège Interarmées de Défense. Il y démontrait la nécessité pour la France et l’Europe de faire échec au mondialisme américain, produit de la finance newyorkaise. Chauprade avertit contre le potentiel révolutionnaire islamiste et conteste que les Etats-Unis aient les moyens de leur ‘destination divine manifeste’. Il mise au contraire sur la Russie, à qui ses richesses naturelles donnent les moyens de sa politique d’indépendance et de puissance.
Jean-Patrick Arteault annonce la guerre coloniale, dans la ligne de la géopolitique anglo-saxonne. Puissance maritime insulaire destinée à dominer le commerce, elle doit ‘contenir’ le continent, c’est-à-dire empêcher que la puissance réelle de celui-ci s’exprime.
Le messianisme judéo-yankee a nourri deux écoles de politique étrangère américaine. La première, Hard Power, divise le monde en vassaux ou en ennemis à abattre, au besoin par la force (R. Reagan, G. W. Bush). La seconde, Soft Power, préfère amener l’interlocuteur aux concessions, dans la voie d’un mondialisme cornaqué par l’oligarchie capitaliste et ses think tanks. La formule a l’avantage de sauver la face aux collaborateurs, à qui le berger fait oublier qu’ils ne sont que des moutons. Ils vendent à leur opinion publique l’image d’une Amérique bonne fille, qui nous a secourus et protégés contre l’indicible et qui mérite dès lors qu’on l’aide contre les méchants Afghans. Dans le genre Kollabo, le trio infernal de l’atlantisme français (Sarközy-Kouchner-Levitte) rêve de souffler aux Britanniques le rôle de premier caniche de Washington, apprenant à se plier sans donner le sentiment de se coucher. L’armée de terre américaine, qui veut guerroyer avec zéro mort, a un besoin urgent de supplétifs et, le dollar vacillant, de faire casquer les vassaux. Alors que le bourbier afghan est une nouvelle guerre coloniale qui ne pourra pas être gagnée, car son objectif géopolitique (entre autres, barrer à la Russie l’accès aux mers chaudes) ne satisfait pas les opinions publiques ni les combattants. Ceux-ci devraient se contenter d’apporter la démocratie et les droit de la femme à des moujahidins qui sont incomparablement mieux motivés à se défendre contre les mercenaires des oligarchies financières.
Pierre Vial clôture ce numéro en beauté. Et en chantant la profusion des beautés que vient de dévoiler l’archéologie dans les vestiges que ‘Nos ancêtres les gaulois et nos ancêtres les Germains’ nous ont laissés dans le Puy-de-Dôme, dans la Somme, en Corrèze, dans le coeur historique de Reims, à Saint Dizier en Haute-Marne. Le cliché des ‘barbares hirsutes’ a enfin rendu son âme dévote. Notamment entre les mains de Bossuet, pour qui la Providence avait choisi la voie lumineuse de la civilisation gréco-romaine pour apporter la vérité unique aux brutes sauvages de nos sombres forêts.
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mercredi, 08 juillet 2009
Le Waldgänger et le militant
Le Waldgänger et le militant
par Claude Bourrinet - http://www.europemaxima.com/
« Fabrice eut beaucoup de peine à se délivrer de la cohue ; cette scène rappela son imagination sur la terre. Je n’ai que ce que je mérite, se dit-il, je me suis frotté à la canaille. »
Stendhal, La Chartreuse de Parme.
Qui s’avisera de lire la dernière fable de La Fontaine, son mot dernier avant la mort, connaîtra peut-être l’ultime message d’un sage épicurien en matière d’engagement : l’amateur de jardin ne place pas plus haut l’urgence sacrée de la contemplation, et tout ce qui en peut brouiller l’onde transparente est davantage qu’une faute philosophique : c’est un crime vis-à-vis de l’âme. La vertu de cet ultime apologue est de présenter, dans leur radical altruisme, les deux figures du militant qu’une civilisation ayant pour paradigmes l’apôtre et le citoyen a léguée à l’Europe. On ne fait pas plus concis. L’une, animée du zèle le plus politique, érige la justice en exercice de vertu. L’autre, poussée par une charité admirable, soigne avec abnégation son prochain. Les deux récoltent incompréhension, ingratitude et vindicte. L’hôte des bois, seul, dans son ermitage, sauve quelque chose du grand naufrage humain.
Néanmoins, il n’est pas certain que l’épilogue de ce grand livre du monde que sont les Fables fût si péremptoire dans la condamnation d’un travers dont on sentait, en cette fin de grand siècle, les prémisses. Mainte saynète offre en effet matière, sinon à l’espoir, du moins à un certain plaisir de vivre, voire à un bonheur certain. Si La Fontaine verse quelque peu dans le jansénisme avec les affres de l’âge, il reste pour l’éternité un épicurien sensible aux sollicitations positivement ordonnée d’un Monde qui n’est pas si désagréable que cela, nonobstant sa cruauté.
En ce temps-là, peu avaient oublié Montaigne, le maître de tous, celui qui inspirait ou repoussait, parfois les deux à la fois, sans qui il ne fût ni Charon, ni Pascal, ni La Fontaine, ni beaucoup d’autres. Le châtelain périgourdin avait eu l’occasion de côtoyer La Boétie, qui promettait, ne fût-ce la mort, de donner à la France une plume et un grand cerveau, sinon un grand cœur. Montaigne conçut ses Essais comme un écrin pour l’ouvrage de son ami, lequel est tout un programme, puisqu’il s’intitule De la servitude volontaire. Les Temps étaient pourtant à la rébellion (mais l’une n’empêche pas l’autre), Parpaillots, Ligueurs s’empoignaient, avec l’aide fraternelle des ennemis de la France, pour s’entrégorger pour la plus grande gloire de leur Dieu. Cet âge de fer vit naître, peut-être, le militant moderne. On se mit à concevoir des programmes politiques destinés à changer le régime monarchique, la religion se transmuta en idéologie, et les Églises devinrent des partis. L’État n’était plus le médiateur naturel du Dieu transcendant et du peuple chrétien : il était devenu un instrument autonome, susceptible de transformations, malléable, améliorable, dont on pouvait s’emparer, et qui possédait sa propre Raison. Ainsi, avec le militant, naquit la politique.
On connaît la position de Montaigne là-dessus. Le maire de Bordeaux et le grand commis qui s’entremit entre Henri III et Henri de Navarre, si son loyalisme le plaça dans les régiments royaux, où il fit avec un certain plaisir guerrier le coup de feu, se garda de s’offrir pleinement à la flamme du combat, où il eût à se brûler l’âme, le cœur, ou, quelque fût son nom, ce qui lui assurait de toutes les façons, devant le monde et devant lui-même, la pérennité de son être. Il s’en faut bien de se prêter pour ne pas se perdre. Tel était l’honnête homme, qui, moulé par un livre consubstantiel à sa recherche, invitait à exercer par le monde des hommes et face à la nécessité une indifférence active, qui n’est pas sans prévenir la nonchalance dévote de François de Sales. C’est bien là, chez Montaigne, qui n’évoqua jamais Jésus dans ses écrits, une sorte de synthèse improbable entre le stoïcisme et l’épicurisme. Aussi bien invoqua-t-il volontiers les figures emblématiques de Socrate, d’Alcibiade, de César, d’Alexandre, pour illustrer cette virilité négligente et attentive, cette implication dans les combats de la terre, et cette plasticité de l’âme et du corps, qui saisit le sel de la vie au moment du plus grand danger, comme si ce fût une promenade parmi les prairies élyséennes.
Nous sommes loin du culte chevaleresque et du moine-soldat. L’on n’y perçoit nullement la droite rectitude des héritiers de Zoroastre, des lutteurs manichéens et des croisés juchés sur leurs étriers afin de pourfendre le Mal et vider la cité des hommes des ennemis de la cité de Dieu.
Il faudrait donc repenser le problème et du militantisme et de l’engagement, en ayant conscience des conditionnement culturels et historiques qui en dessinent l’image. Bien évidemment, tout questionnement surgit en son point historial où la réponse est toujours contenue dans la manière d’interroger le destin. Les implicites sont bien plus redoutables que les apparences conceptuelles et rhétoriques les plus sensibles. La pensée, lorsqu’elle se fait servante de l’action, est freinée dans ses élans et ses capacités à creuser jusqu’aux racines. Elle exige un retrait.
L’interrogation première devra porter sur cette inhibition quasi universelle à mettre à la question les plus évidentes légitimités, incertaines dans la mesure de leur évidence. À n’en pas douter, l’engagement pour une cause est une nourriture pour l’existence, même passagère, dont il est bien difficile de se passer comme viatique. Il ne s’agit parfois que de trouver la chapelle sur le marché des causes. Les situationnistes, bien après Nietzsche, rejetaient cette forme de confort qui, même lorsqu’il impliquait la mort et la souffrance, le sacrifice et l’opprobre, semblait octroyer au croyant l’assurance d’un salut, au regard de Dieu, des hommes, ou de soi-même, en tout cas un rôle, dont la véritable et profonde raison réside dans l’irraison de pulsions inavouées ou d’un narcissisme, d’un amour-propre, pour user de la terminologie du Grand Siècle, qui confère à tout discours assertif, et même performatif lorsqu’il s’agit d’agir, cette dose plus ou moins volumineuse de soupçon, de défiance, qui ne demande qu’à envahir l’esprit et le cœur, et justifier toutes les désertions, les abandons et le ressentiment.
Mais il est vrai que le nomadisme militant et la haine des anciens emballements sont des traits caractéristiques de la conscience contemporaine, comme si la maladie sectatrice dénoncée chez les réformés par Bossuet se trouvait soudain envahir le champ politique, une fois les Grands Récits idéologiques chus dans la poussière de l’Histoire.
Il est permis de se demander si un tel type de conscience se manifestait dans l’Antiquité non chrétienne. Il ne semble pas qu’il y eût, avant l’universalisation de la Weltanschauung galiléenne, ce dépassement, cet outre-passement qui caractérise le lutteur convaincu de sa bonne foi et désireux de convertir autrui, avec cette obsession clinique de la trahison, des autres et de soi-même. On pourrait certes excepter de la communauté philosophique grecque, très bigarrée, les disciples d’Antisthène, ces cyniques, qui privilégiaient la physis au Nomos, et convoquaient la parrhèsia, la franchise qui invite à tout dire, pour lancer des invectives à l’égard des pouvoirs en place, ce qui leur valut maints déboires sous l’Empire, sous lequel leur mouvement avait pris une tournure populaire. Julien n’hésitait pas à mêler dans le même mépris cette Cynicorum turba, munie du tribôn et de la besace, et les « Galiléens incultes », auxquels ils ressemblaient beaucoup. Les autres philosophes se contentaient d’une saine abstention, ou, de façon plus risquée, de jouer les conseillers des Princes.
Pour le reste, les Anciens se battaient pour défendre les dieux du foyer, de la cité, de la communauté, ils n’avaient en vue que les intérêts de cette dernière, et si la pensée plus ample d’un ordonnancement impérial leur vint à l’esprit, à la suite des Perses et des Égyptiens, ce fut comme la donnée d’un état de fait, comme le fruit d’un arbre immense à l’ombre duquel devaient s’ébattre, dans leurs particularismes, les peuples variés constituant l’humanité. Nulle part, à nul moment, le Grec et le Romain n’apparaissent comme des sectateurs d’une religion impérieuse. À l’intérieur de la Cité s’affrontaient des factions, les potentes, les humiliores, populo grasso et populo minuto de toujours. Mais il s’agissait de combat politique, d’organisation de l’État, un État organique, lié par mille liens au tissu sociétal, et qui s’incarnait particulièrement dans des hommes, qui étaient des orateurs et des soldats. On recrutait des clientèles, on se faisait des armées privées. Ces solidarités verticales dureraient autant que l’ancien monde, jusqu’à la première moitié du XVIIe siècle, où les puissants, dans une sorte de protection déclinée jusqu’au bas de l’échelle sociale, unissaient les membres de la société, pour parfois les mobiliser contre un État de plus en plus froid et autonome.
Il s’avère néanmoins qu’apparaissaient dans les temps antiques des revendications souvent rapportées par les marxistes dans leur désir d’asseoir leur usurpation sur les traces du passé. Par exemple, dans les pages consacrées à Tibérius et Caius Gracchus, Plutarque reproduit un discours censé avoir été prononcé par Tibérius : « Les bêtes, disait-il, qui paissent en Italie ont une tanière, et il y a pour chacune d’elle un gîte et un asile ; mais ceux qui combattent et meurent pour l’Italie n’ont que leur part d’air et de lumière, pas autre chose. Sans domicile, sans résidence fixe, ils errent partout avec leurs enfants et leurs femmes, etc. » Comment éviter l’émergence de l’espoir quand il faut trouver du pain ? Les fils de Cornélie étaient assez grands pour se vouer au parti populaire et en perdre la vie. Leur stoïcisme les élevait à la conception d’un cosmos garant du Nomos de la Cité, et le caractère subversif de leur combat n’était qu’une tentative de restitutio de l’Urbs, des Temps anciens où le Romain était paysan et libre. On sent dans cette lutte héroïque cet élan de justice qui sert de modèle pour l’éternité aux révoltés de tous temps. Cependant, les Gracques sont d’ici-bas, de la portion sublunaire de l’univers, commune aux choses périssables et imparfaites, et l’édifice qu’ils convoitent, qui participe de la bonne vie en quoi Aristote voit le télos de l’action politique, n’est pas une cathédrale pointée vers le ciel. Leur silhouette ne ressemble pas à celles des saints peints par Gréco, longilignes, tendus presque à rompre vers un point du Ciel ouvrant des vertiges angoissés. Les Gracques ont combattu pour remplir le devoir de leur gens, de leur lignée, celle qui leur enjoignait de défendre le peuple, d’en être le protecteur. Logiquement, César reprendra le flambeau, et assurera les fondements d’un État plus apte à unir les membres de l’Empire.
Depuis la Renaissance, il est d’usage d’invoquer l’exemple de la geste politique antique pour inspirer l’action. Mais la filiation est rompue, la parenté apparente de la politique contemporaine avec celle de l’antiquité est illusoire.
La frontière, on le sent bien, tient à peu de choses, mais séparent deux contrées entièrement différentes. Augustin savait parfaitement que Cité terrestre et cité de Dieu étaient intimement mêlées, et qu’il n’était pas si loisible de les identifier au sein d’une vie qui se nourrit de tout ce qu’elle trouve pour se justifier. Tant que la notion de Res publica subsista, et quand elle revint dans la conscience des hommes, les luttes politiques manifestèrent la propension des clans, des ordres, des classes, des partis, à se projeter dans l’avenir pour établir ce que d’aucuns considéraient comme l’ordre légitime des choses. Chacun au demeurant, même dans les siècles « obscurs » où, selon toutes les apparences, le christianisme appuyait son empreinte, ne remettait en cause l’ordre naturel qui s’appuyait sur l’inégalité, la hiérarchie, l’occupation justifiée de places prédestinées qu’il ne s’agissait seulement que de consolider ou d’élargir. Les potentialités subversives du christianisme, un christianisme au fond vulgaire, comme il y eut un marxisme qu’on appela tel, n’apparaissaient pas, parce qu’on scindait nettement le bas et le haut de la Création, et que les fins de la Justice divines, parfois impénétrables, étaient reportées à plus tard, si possible après la mort, ou à la fin des Temps.
Le militant se trouvait donc chez les orants, les moines. Les évêques, avant le Concile de Trente, ressemblent plus à des Princes qu’à des Bergers soucieux de l’éducation de leur troupeau. L’engagement du croyant, hormis lors de ces brusques flambées que furent les Croisades, qui n’étaient pas si fréquentes, au fond, mis à part l’Espagne de la Reconquista (période où se développe la figure du militant, telle qu’elle se réalisa plus tard dans la vocation de l’hidalgo Ignace de Loyola), était de bien tenir son rôle dans l’économie divine. Cette idée subsiste chez Calderon, dans sa pièce El Gràn teatro del mundo, par exemple, où pauvre, riche, seigneur etc. ont leur rôle dévolu de toute éternité.
Le gouffre ouvert à partir de la révolution nominaliste, qui affirme que les universaux sont des signes, et non des substances, donne au discours, même déraciné, toute sa faculté d’expression et d’universalisation. Si la réalité est singulière, les universaux ne sont pas moins existants, quoique séparés, et relèvent de l’ordre logique, ce que le conceptualisme va étayer, en posant une morale autonome, indépendante de l’ordre naturel. La voie est donc ouverte pour l’élaboration d’une liberté civique spécifiquement humaine, constructiviste, dont les attendus et les conséquences ne dépendent plus d’une transcendance ou d’une immanence cosmique, ou même théologique.
La tension néanmoins prégnante dans l’anthropologie humaniste et baroque, qui sourd parfois de minorités marquées par la structuration mentale lentement instaurée par des siècles de christianisme, tension qui se manifeste spectaculairement dans l’éruption de mouvements millénaristes, comme les mouvements paysans allemands, comme celui des anabaptistes, ou ceux des niveleurs anglais, et même chez les jansénistes qui, bien que fondamentalement dans l’incapacité de proposer un programme politique, comme l’avaient fait les Réformés, ont durablement marqué de leur empreinte militante le paysage politique de la France des XVIIe et XVIIIe siècle, et bien plus tard, n’a pas été contrarié par l’adoption, au sein des grands commis de l’État, des principes machiavéliens de la Raison d’État, selon lesquels la fin justifie les moyens.
L’ironie voudra que ce soit l’être le plus hostile à l’ancien monde, Lénine, le fondateur du parti bolchevik, qui synthétise ces traditions pour unir l’enrégimentement jésuitique et le prophétisme apocalyptique. La puissance d’un programme comme celui contenu dans Que faire ? ne peut s’apprécier que si l’on y distingue la jonction électrique entre le formidable effondrement des valeurs provoqué par l’avènement de l’ère moderne et l’exacerbation d’un vieux fonds mystique, particulièrement présent en Russie orthodoxe, un peu moins dans l’Europe occidentale agnostique.
On découvrit il y a quelques décennies, au moment où mouraient ce que l’on nomma les « Grands Récits » que l’entrée en militantisme possédait de nombreux points communs avec la conversion, l’entrée en religion. Mais on ne put le dire que parce qu’on en était sorti, et que dorénavant on pouvait s’en moquer, comme du pape et des curés de village. Le militantisme de masse devint aussi étrangement suranné que les voix nasillardes de la T.S.F. et les chapeaux mous. Les sociologues et les ethnologues s’en donnèrent à cœur joie. On perdit même l’habitude de coller des affiches sur les murs. Et la production de « Grands Récits » fut remplacée par les stories selling, les compagnons de route par des publicistes girouettes, et les électeurs par des consommateurs d’offres politiques. Dans le même temps, les rivalités générées par la Guerre froide, qui avaient donné l’illusion qu’un choix était possible, devenaient des options de gouvernance.
La vérité se présente-t-elle sous une clarté solaire, nous continuons comme avec nos jeux d’ombres. Le désert a gagné tous les aspects de la vie et de la pensée, et Internet, ironiquement, n’a fait que l’universaliser. Les happy few qui communiaient jadis dans une cercle restreint, parisien, se relisant sans cesse et se prenant de la gueule, ne connaissaient pas autant ce sentiment de vide, cette inutile clameur, que nous, qui sommes dotés de tous les moyens d’expression et de diffusion. Les noms deviennent abstraits, et les paroles, comme les feuilles dans le vent, retombent où elles peuvent. Les idées restent idéelles, peut-être idéales, et ne sont guère suivies d’effets. Le pire, pour un homme qui se respecte, est l’illusion, vertu ô combien plébéienne !
Finalement, la solitude est la vraie condition de l’homme moderne, et il faut une force surhumaine pour réussir à rester homme. Il est plus difficile de trouver un homme véritable maintenant, que du temps de Diogène. Toute communication étant devenue impossible, qu’il n’existe qu’un impératif pour celui qui veut sauver quelque chose du désastre : écrire un texte, le glisser dans une bouteille balancée à la mer immense de l’absurde, et disparaître.
Au demeurant, il faut une perspicacité hors du commun pour saisir du premier coup d’œil, qui vaut un instinct, la vérité d’un système, surtout quand on est plongé dans les conditions horribles qui étaient celles d’Alexandre Zinoviev, lorsqu’il avait dix-sept ans sous Staline. Du moment où la vue prend un peu de hauteur, qui n’est certes pas celle de Sirius, la question de savoir ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire se pose autrement que lorsque elle reçoit l’écume des événements, à la manière des journaux.
Dans le premier chapitre du Voyage au bout de la nuit, Céline nous plonge dans une conversation de café du commerce. Bardamu et Ganate, anticipant les anti-héros beckettiens, parlent de tout, et changent d’avis en un temps record. La critique célinienne va loin. Car ce qui est dénoncé, dans le Voyage…, ce n’est pas seulement la guerre, la colonisation, l’Amérique et la misère. Ce serait déjà beaucoup, mais dès les premières lignes, on saisit l’angle par lequel il faut aborder le monde contemporain, celui qui, faisant appel aux masses, est responsable de dizaines de millions de mort et de l’assassinat d’une civilisation comme on en a rarement vu dans l’Histoire. Ce n’est pas un hasard que Le Temps, le quotidien à succès de la belle époque, vienne à nourrir la conversation. Comme écrit Camus dans La Chute, un autre livre sans concession lui aussi, « Une phrase leur [les historiens futurs] suffira pour l’homme moderne : il forniquait et lisait des journaux. ». Une remarque de Ganate nous met au fait, comme pour nous offrir une clé : « … Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés !... » En plus de Schopenhauer, il y a de L’Écclésiaste et du Pascal chez Céline. Autant dire que c’est un moraliste de notre Temps de détresse, comme Cioran. Avec seulement de plaisir que le style.
Venons-en justement, au style. Car il faut bien l’avouer, la dose d’optimisme pour faire d’un homme un militant est à peu de chose près la même que pour en faire un imbécile. L’aristocrate, comme le guerrier, sait bien lui, que le cœur de ce phénomène somme toute étrange qu’est l’existence est de savoir mourir élégamment. Tout le reste est du commerce et de la réclame.
Comment prendre néanmoins les situations les plus désagréables ou les plus insupportables ? Les cas extrêmes ne semblent pas offrir beaucoup le choix. Ce même Zinoviev, dont l’autobiographie est un bréviaire pour tout dissident, sauva sa vie plusieurs fois par des gestes dont le génie venait de leur folie même. Ainsi, au sortir de la Loubianka, escorté par deux hommes du N.K.V.D., leur faussa-t-il compagnie de la manière la plus improbable, les sbires ayant oublié quelque chose et l’ayant laissé provisoirement sur place, dans la rue, ne pensant pas qu’il eût l’audace de partir. Ce qu’il fit, sans le sou, sans rien, pour suivre un destin picaresque. Et tragique.
Alexandre Zinoviev, paradoxalement, ne ménageait pas sa peine lorsqu’il s’engageait dans une activité. Il fut bon travailleur, bon soldat, héroïque même. Comme Jünger fut un bon guerrier. Ce qui distingue le rebelle véritable est sa pensée de derrière. Pascal en était un. Le non que l’on porte au fond de soi est peut-être plus efficace que toute agit-prop. Ne fût-on qu’un seul à dire non, la machine est déjà grippée. L’absence d’assentiment, la passivité, la désertion morale sont bien plus dangereux pour le totalitarisme, dur ou mou, que l’attaque frontale, qui ne fait souvent qu’alimenter la propagande en retour et conforter la police. À la longue, ce travail de sape, la multiplication des refus intimes, parfois prudemment partagés avec des happy few, travaille le sol qui soutient l’édifice. Car tout totalitarisme ne vise pas que les corps : il ne peut subsister si ses membres n’adhèrent pleinement à ses rêves, qui ne sauraient être que désirables.
La logique du monde étant régie, depuis des millénaires, par une destruction de plus en plus accélérée de la Tradition, le chaos est le point terminus de son évolution, ce qui peut offrir des perspectives sportives permettant aux âmes guerrières d’exceller.
Le monde contemporain, « post-moderne », est un univers hyper-sophistiqué, emmaillé d’un réseau électronique de surveillance, enfliqué et empuanti de délateurs, géométrisé, arithmétisé, balisé, lobotomisé, enfarci de lipides télévisés engluant les neurones encalminés, robotisé par un dressage pavlovien, qui produit sa bave en guise d’huile de vidange, une société où les flics ont désormais des silhouettes de scaphandres intersidéraux, spectres humanoïdes au regard vide, comme ces caméras qui nous épient cent fois en une heure ; nos gènes sont pesés, enregistrés, archivés, nos désirs sont gérés et marchandisés, nos rêves domestiqués, la trace des colliers irrite de sa sanglante et empestée blessure nos cous, nos poignées, nos sursauts, nos paroles sont empaquetées, lessivées, ensucrées, aseptisées, notre fatigue auscultée, hospitalisée, pharmacataloguée, notre mémoire est enrégimentée, encasernée, emmaillotée dans un drapeau qu’on nous a mis sur le dos, comme ça, quand on avait les yeux braqués sur le présent. Parce que l’homme post-moderne, il ne songe qu’à la baffre, aux délectables digestions d’après-orgies, à coups de bourrages tripaux et crâneux, avec de gros entonnoirs bien vissés qui lui traversent la carcasse jusqu’au croupion pour qu’il déverse son caca bien conforme, soupesé par les pinces régulées de scolopendres aux sourires frigides.
Mais par-delà les barreaux de la cage peinturlurée de couleurs vulgaires, se hument les sous-bois fauves et frais de la forêt splendide, aux sentiers rayés des flèches du soleil, aux buissons sombres des mystères ancestraux, aux butes arides tapissées de feuilles bruissantes, aux odeurs fortes et enivrantes de l’humus, qui est le parfum préféré des loups furtifs et libres. Ils n’ont de rêves que l’étreinte serrée des écorces et des taillis teignant leur pelage âcre des couleurs du combat. La horde suit son chef au fond de la nuit, et la lune, comme l’écho de leurs songes, fait étinceler les crocs acérés. Tapie à l’orée de sa cité sauvage, elle épie de ses yeux étincelants comme des étoiles les spectacles méprisables de la ville grasse et torve, écroulée sous sa masse abrutie.
Cependant ce recours physique aux forêt est bien rare, et ses plaisirs peu à même de se renouveler à mesure que le monde devient plus civilisé, plus féminisé, plus consensuel.
Au demeurant, ceux qui invoquent le peuple devraient réfléchir. Qu’aurait-on à lui proposer, sinon de juguler ses désirs et sa vanité ? Sa place est nécessairement inférieure aux prêtres et aux guerriers. Si révolution il doit y avoir, elle sera autant pour le peuple, dans la mesure où l’humilité est pour lui, avec la protection des puissants, un gage de bonheur, et contre le peuple, parce que le monde moderne est tout autant son produit, celui de l’intérêt, du matérialisme et du dénigrement du sacré.
Le recours aux forêts mentales offre plus de richesse, à mon sens. L’univers n’a pas si sombré dans l’Âge de Kali qu’il ne subsistât, à qui sait les saisir, d’antiques fragments de la Cité perdue. Ils sont à la mesure de chacun, et répondent à qui peut les percevoir. Des expériences dionysiaques et apolloniennes intenses sont à portée, à condition d’en extraire, comme un élixir, la quintessence.
Ainsi partira-t-on de ce postulat, que l’espoir est affaire de Thersite, que l’aristocrate, ou tout simplement celui qui ressent la nostalgie d’un ancien sens du monde, sait que le Temps n’existe pas, qu’il est vain d’ « améliorer les choses », de les « faire bouger », comme l’on dit, ce qui d’ailleurs a toute chance de les faire empirer ; qu’une fois perdu, le monde clos, hiérarchisé, naturellement enté dans l’ordre cosmique, n’a guère de chance de revenir au jour, à moins que la roue ne retourne à l’origine, ce qui ne peut se produire qu’après un cataclysme intégral. Au fond, le meilleur service qu’on puisse faire au monde est d’accélérer sa décomposition, afin de hâter la vitesse de la roue.
La vie est un naufrage. Je veux parler de celle qui échappe à la lumière d’Apollon, et qui est fort commune. Il est bien connu que la vraie est ailleurs, et que je est un autre. Il est évident que la recherche du bonheur est une stupidité, à laisser à la plèbe. Nous avons nos urgences. Et comme il faut bien subsister, la nécessité de côtoyer les imbéciles et les fainéants s’impose à nous. La frénésie que manifestent la plupart des hommes, non seulement à trouver une place plus ou moins rémunératrice, mais aussi à s’élever au sommet du panier de crabe où l’on est bien contraint de s’agiter, subsidiairement de s’appuyer sur la tête ou les parties génitales de ses congénères, rend l’espèce humaine suprêmement comique. Cependant, l’on n’est pas démuni, pour peu qu’on veuille sauver quelque chose de cette ridicule pantalonnade. Trois attitudes sont susceptibles d’êtres adoptées :
— l’attitude baroque : l’on est spectateur du Gràn teatro del mundo, des autres et de soi-même. La distance se présente comme une réaction de salubrité ;
— l’attitude que j’appellerais martiale : l’on possède un dharma, un devoir à remplir, fixé par l’Ordre cosmique, qui nous dépasse, et qu’on ne peut que deviner par les retombées d’un destin qu’on ne peut connaître que fort tard, trop tard peut-être. Nous ne sommes que de braves soldats postés sur la ligne de front, perdus ou sacrifiés, je l’ignore, fidèles à leur devoir.
Ces deux visions ne sont pas incompatibles, comme le suggère Calderon.
— Reste la poésie, qui est une grâce, ou une malédiction. L’Artifex est aussi, et surtout, Vates. Il accède à une existence supérieure par l’imagination, qui est la vision. Il traduit, annonce, clame, enchante. Il s’enchante lui-même car il saisit la finalité d’un combat où hommes, bêtes, dieux sont mêlés. Son rôle rejoint celui du prêtre, qui est de lier. Littéralement, il est porté par enthousiasme, par une force supérieure, l’éros, qui lui donne la paix.
Claude Bourrinet
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jeudi, 02 juillet 2009
Necesidad de un Pensamiento Revolucionario
Necesidad de un Pensamiento Revolucionario
Por Guillermo Faye
Ex: http://elfretenegro.blogspot.com/
Ex: http://elfretenegro.blogspot.com/
El sistema está globalmente en estado de disfuncionamiento. Ninguna mejora es posible, porque la ideología hegemónica –y no la opinión común- la rechaza; una incompatibilidad de humor se ha instalado entre esta ideología y las soluciones prácticas que sería necesario aplicar para salvaguardar lo esencial de esta civilización. Hoy, ninguna reforma parcial es ya suficiente: se debe cambiar de sistema, como un antiguo motor cuyas piezas ya no pueden ser reparadas, sino que deben ser remplazadas.
Un partido político cuyo objetivo no sea el arribismo de sus cuadros sino la salvación de su nación, ya no debe de pensar en términos reformistas, sino revolucionarios. La mentalidad revolucionaria puede definirse como un estado de guerra permanente. Una oposición "clásica" piensa en el poder que quiere tomar como en un adversario cuyos cuerpos constituidos están compuestos de colegas políticos; una oposición revolucionaria piensa en el poder y en sus miembros como en enemigos.
Sin embargo, hay dos concepciones del pensamiento revolucionario, que Maquiavelo y Lenin habían entendido perfectamente. La primera es defensiva y conduce al fracaso. Es la estrategia del león que siempre muere, a menudo con valentía, bajo de las picas de las lanzas. Esta estrategia rechaza toda alianza táctica, todo compromiso provisional, en nombre de una pureza doctrinal mal comprendida. Es una estrategia sin espíritu de ataque. Se carga con el pantalón rojo, bigote al viento, antes morir bajo las balas de las metralletas enemigas.
La segunda concepción es asaltante. Subordina los medios al fin. Es la estrategia del zorro, la raposa que siempre devasta, de noche, los gallineros. Sabe contratar alianzas con los tontos útiles y los oportunistas, los chaqueteros que saben disimular la espada bajo la toga para así golpear más fuerte, que conocen el arte de la máscara. Saben proceder con paciencia y constancia: el mantenimiento secreto de sus objetivos radicales. Saben hacer concesiones, provisionalmente, sin perder de vista la integridad de sus objetivos, apoyados en una voluntad de hierro. Practican el arte de la mentira, alabado por Nietzsche. Como buenos marineros, saben bordear y utilizar la potencia de los vientos contrarios, sin olvidar nunca el puerto final, el objetivo final.
La primera concepción es romántica; sus raíces mentales son germánicas y célticas. La segunda concepción es clásica. Sus raíces mentales son helénicas y romanas. La primera concepción es inepta para tomar el poder, pero después de la toma del poder, puede ser muy eficiente.
Un partido político cuyo objetivo no sea el arribismo de sus cuadros sino la salvación de su nación, ya no debe de pensar en términos reformistas, sino revolucionarios. La mentalidad revolucionaria puede definirse como un estado de guerra permanente. Una oposición "clásica" piensa en el poder que quiere tomar como en un adversario cuyos cuerpos constituidos están compuestos de colegas políticos; una oposición revolucionaria piensa en el poder y en sus miembros como en enemigos.
Sin embargo, hay dos concepciones del pensamiento revolucionario, que Maquiavelo y Lenin habían entendido perfectamente. La primera es defensiva y conduce al fracaso. Es la estrategia del león que siempre muere, a menudo con valentía, bajo de las picas de las lanzas. Esta estrategia rechaza toda alianza táctica, todo compromiso provisional, en nombre de una pureza doctrinal mal comprendida. Es una estrategia sin espíritu de ataque. Se carga con el pantalón rojo, bigote al viento, antes morir bajo las balas de las metralletas enemigas.
La segunda concepción es asaltante. Subordina los medios al fin. Es la estrategia del zorro, la raposa que siempre devasta, de noche, los gallineros. Sabe contratar alianzas con los tontos útiles y los oportunistas, los chaqueteros que saben disimular la espada bajo la toga para así golpear más fuerte, que conocen el arte de la máscara. Saben proceder con paciencia y constancia: el mantenimiento secreto de sus objetivos radicales. Saben hacer concesiones, provisionalmente, sin perder de vista la integridad de sus objetivos, apoyados en una voluntad de hierro. Practican el arte de la mentira, alabado por Nietzsche. Como buenos marineros, saben bordear y utilizar la potencia de los vientos contrarios, sin olvidar nunca el puerto final, el objetivo final.
La primera concepción es romántica; sus raíces mentales son germánicas y célticas. La segunda concepción es clásica. Sus raíces mentales son helénicas y romanas. La primera concepción es inepta para tomar el poder, pero después de la toma del poder, puede ser muy eficiente.
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samedi, 27 juin 2009
Petite bibliographie sur la Révolution Conservatrice allemande
Petite bibliographie sur la Révolution conservatrice allemande
GENERALITES
-Armin MOHLER : La Révolution Conservatrice allemande (1918-1932), Pardès, Puiseaux, 1993 (Première édition 1950).
-Dominique VENNER : Histoire d’un fascisme allemand, les corps-francs du Baltikum et la Révolution Conservatrice, Pygmalion/Gerard Watelet,Paris, 1996.
-Stefan BREUER : Anatomie de la Révolution conservatrice, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1996.
-Louis DUPEUX : Aspects du fondamentalisme national en Allemagne de 1890 à 1945 et essais complémentaires, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001.
-Louis DUPEUX (sous la direction de) : La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Editions Kime, Paris, 1992.
-Barbara KOEHN (sous la direction de) : La Révolution conservatrice et ses élites intellectuelles, Presse Universitaires de Rennes, 2003.
-Paul LACOSTE : La Révolution Conservatrice allemande (1918-1932), Imperium, Epinay sur Orge, 1997.
-Edmond VERMEIL : Doctrinaires de la Révolution allemande 1918-1938, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1948.
-Robert STEUCKERS (éditeur) : in Vouloir n°8 nouvelle série, Révolution Conservatrice, automne 1996.
-Robert STEUCKERS : La « Révolution Conservatrice » en Allemagne, 1918-1932 in Vouloir ancienne série n°59/60, novembre-décembre 1989, p : 11-16.
-Luc PAUWELS : Armin MOHLER et la « Révolution Conservatrice » in Vouloir ancienne série n°63/64, Printemps 1990, p : 13-19.
-Alain de BENOIST (entretien avec) : in Eléments n°70, printemps 1991, p : 24-37.
-Giorgio LOCCHI : Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932 in Nouvelle Ecole n°23, automne 1973, p : 94-107.
-Erwin BUCHEL : Armin MOHLER, l’historien de la « Révolution Conservatrice » in Nouvelle Revue d’histoire n°8, septembre-octobre 2003, p : 22-23.
LES JEUNES CONSERVATEURS
-Oswald SPENGLER : Le déclin de l’Occident, 2 volumes, Gallimard, Paris, 1948.
-Oswald SPENGLER : Prussianisme et socialisme, Actes Sud/ Hubert Nyssen, Arles, 1986.
-Oswald SPENGLER : L’homme et la technique, Idées, Gallimard, Paris, 1969.
-Oswald SPENGLER : Années décisives, Copernic, Paris, 1980.
-Oswald SPENGLER : Écrits et pensées, Copernic, Paris, 1980.
-Robert STEUCKERS (éditeur) : Dossier Spengler in Orientations n°1, janvier 1982, p : 14-25.
-Thomas MANN : Considérations d’un apolitique, Grasset, Paris, 1975 (réédition 2002).
-Denis MAGNE : Thomas MANN ou la domination des contraires in Nouvelle Ecole n°41, Automne 1984, p : 11-44.
-Laurent SCHANG : La jeunesse « apolitique » de Thomas Mann in Nouvelles de Synergies Européennes n°33, mars-avril 1998, p : 21-22.
-Carl SCHMITT : La notion de politique/ théorie du partisan, Champs/Flammarion, Paris, 1992.
-Carl SCHMITT : Terre et mer. Un point de vue sur l’histoire mondiale, Labyrinthe, Paris, 1985.
-Carl SCHMITT : Du politique, « légalité et légitimité » et autres essais, Pardès, Puiseaux, 1990.
-Carl SCHMITT : Machiavel-Clausewitz, droit et politique face aux défis de l’histoire, Krisis, Paris, 2007.
-Carl SCHMITT : La dictature, Seuil, Paris, 2000.
-Carl SCHMITT : Théologie politique, Gallimard, Paris, 1988.
-Alain de BENOIST : Carl Schmitt actuel-« Guerre juste, terrorisme, état de guerre, Nomos de la terre », Krisis, Paris, 2007.
-Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK : Le troisième Reich, Fernand Sorlot, Paris, 1981.
Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK : La révolution des peuples jeunes, Pardès, Puiseaux, 1993.
-Alain DE BENOIST : Arthur MOELLER VAN DEN BRUCK, une « question à la destinée allemande » in Nouvelle Ecole n°35, Hiver 1979-1980, p : 40-73.
-Giselher WIRSING : L’âge d’Icare, de la loi et des frontières de notre temps, PanEuropa, Paris, 2003 (édition originale 1944).
LES NATIONAUX-REVOLUTIONNAIRES/NEO-NATIONALISTES
-Ernst JUNGER : Orages d’acier, Livre de poche, Paris, 1989.
-Ernst JUNGER : Le boqueteau 125, Christian Bourgois (nouvelle traduction), Paris, 1995
-Ernst JUNGER : La guerre comme expérience intérieure, Christian Bourgois, Paris, 1997 (nouvelle traduction de La guerre, notre mère).
-Ernst JUNGER : Feu et sang, Christian Bourgois, Paris, 1998.
-Ernst JUNGER : Lieutenant Sturm, Viviane Hamy, Paris, 1991.
-Ernst JUNGER : Le travailleur, Christian Bourgois, Paris, 1989.
-Ernst JUNGER : Sur les falaises de marbre, Gallimard, Paris, 1979.
-Alain de BENOIST : La figure du travailleur entre dieux et titans in Nouvelle Ecole, n°40, automne 1983, p :11-61.
-Alain de BENOIST (Editeur) : in Nouvelle Ecole, n°48, année 1996, Ernst JUNGER.
-Robert STEUCKERS (Editeur) : in Vouloir n°4 nouvelle série, printemps 1995, Ernst JUNGER 100 ans.
Robert STEUCKERS (Editeur) : in Nouvelles de Synergies Européennes, Hommage à Ernst JUNGER, n°33, mars-avril 1998, p : 2-10
-Isabelle GRAZIOLI-ROZET : JUNGER, Qui suis-je ?, Pardès, Grez-Sur-Loing, 2007.
-Isabelle GRAZIOLI-ROZET : Hommage à Ernst JUNGER in Eléments n°92, Juillet 1998, p : 4-8.
-Philippe BARTHELET (Sous la direction de) : Ernst JUNGER, Les Dossiers H, L’Âge d’Homme, Paris/ Lausanne, 2000.
-Ernst VON SALOMON : Les cadets, UGE/10-18, Paris, 1986.
-Ernst VON SALOMON : Les réprouvés, Christian Bartillat, Paris, 2007.
-Ernst VON SALOMON : Histoire proche, essai sur l’esprit corps-franc, Porte Glaive, Paris, 1987.
-Ernst VON SALOMON : Le questionnaire, Gallimard, Paris, 1982.
-Ernst NIEKISCH : « Hitler, une fatalité allemande » et autres écrits nationaux-bolcheviks, Pardès, Puiseaux, 1991.
-Thierry MUDRY : L’itinéraire d’Ernst NIEKISCH in Orientations n°7, septembre-octobre 1986, p : 34-37.
-Paul BAHN : L’itinéraire de Friedrich HIELSCHER, 1902-1990 in Nouvelle Ecole n°53-54 (Le Fascisme), année 2003, p : 170-182.
-Robert STEUCKERS : Friedrich-Georg JUNGER (1898-1977), la perfection de la technique, Synergies Européennes, Bruxelles, 1996.
-Robert STEUCKERS : L’itinéraire philosophique et poétique de Friedrich-Georg JUNGER in Vouloir n° 45/46 ancienne série, janvier-mars 1988, p : 10-12.
LES VOLKISCHEN/ FOLCISTES
-Ludwig FERDINAND CLAUSS : L’âme des races, L’homme Libre, Paris, 2001.
-Ludwig FERDINAND CLAUSS : David et Goliath in Etudes et Recherches nouvelle série, n°2, quatrième trimestre 1983, p :17-23.
-Hans F. K. GUNTHER : Platon, eugéniste et vitaliste, Pardès, Puiseaux, 1987.
-Hans F. K. GUNTHER Religiosité indo-européenne, Pardès, Puiseaux, 1987.
-Hans F. K. GUNTHER Mon témoignage sur Adolf Hitler, Pardès, Puiseaux, 1990.
-Hans F. K. GUNTHER Les peuples de l’Europe, Editions du Lore, 2006.
-Hans F. K. GUNTHER La race nordique chez les Indo-Européens d’Asie, L’Homme Libre, Paris, 2006.
-Otto RAHN : La cour de Lucifer, Pardès, Puiseaux, 1994.
-Robert STEUCKERS : L’œuvre de Hermann Wirth (1885-1981) in Vouloir n°101/102/103/104 ancienne série, avril-juin 1993, p : 53-55.
-Nicholas GOODRICK-CLARKE : Les racines occultistes du nazisme. Les Aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1890-1935, Pardès, Puiseaux, 1989.
LES BUNDISCHEN
-Karl HOFFKES : Wandervogel révolte contre l’esprit bourgeois, ACE, Saint-Etienne, 2001 (nouvelle édition augmentée).
-Alain THIEME : La jeunesse « Bundisch » en Allemagne au travers de Die Kommenden (janvier 1930-juillet 1931), ACE, Saint-Etienne, 2003.
-Walter FLEX : Le pèlerin entre deux mondes, Porte Glaive, Paris, 1996.
-Hans BLUHER : Wandervogel, histoire d’un mouvement de jeunesse, tome 1, Les Dioscures, Paris, 1994.
-Luc SAINT-ETIENNE : La sexologie politique de Hans BLUHER, GRECE, Paris, 1994.
LE LANDVOLKBEWEGUNG/ MOUVEMENT PAYSAN
-Ernst VON SALOMON : La ville, Gallimard, Paris, 1986.
-Michelle LE BARS : Le mouvement paysan dans le Schleswig Holstein 1928-1932, Peter Lang, Berne, 1986.
DIVERS
-Robert STEUCKERS : Conception de l’homme et Révolution Conservatrice, Heidegger et son temps in Nouvelle Ecole n°37, Printemps 1982, p : 55-75.
-Robert STEUCKERS : Le mouvement métapolitique d’Engelbert PERNERSTORFER à Vienne à la fin du XIXème siècle, précurseur de la « Révolution Conservatrice » in Nouvelles de Synergies Européennes n°55/56, avril-juillet 2002, p : 21-35.
-Stefan GEORGE : Dichtungen/Poèmes, édition bilingue, Aubier/Flammarion, Paris, 1969.
-Stefan GEORGE : L’étoile de l’alliance, Editions de la Différence, Paris, 2005.
-Jean-François THULL : Claus SCHENK Graf von Stauffenberg, un aristocrate dans la tourmente in Le Baucent, n° 19, mai-juin 2000, p : 25-30.
-Henri COURIVAUD : L’Allemagne secrète de Claus von Stauffenberg in Revue Catholica n°97, Automne 2007, p : 111-126.
-H.T. HANSEN : Julius EVOLA et la « Révolution Conservatrice » allemande, association les Deux Etendarts, Montreuil-sous-Bois, 2002.
-Werner SOMBART : Le bourgeois, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1966.
-Werner SOMBART : Le socialisme allemand, Pardès, Puiseaux, 1990.
-Alain de BENOIST : Le paradigme de la culture humaine in Les idées à l’endroit, Editions Libres/Hallier, Paris, 1979, p : 215-249.
-Ferdinand TONNIES : Communauté et société, Retz, Paris, 1977.
-Armin MOHLER : Le « style » fasciste in Nouvelle Ecole n° 42, Eté 1985, p : 59-86.
-Martin KIESSIG : Ludwig KLAGES et son temps in Vouloir ancienne série n°59/60, novembre-décembre 1989, p : 17-19.
-Thierry MUDRY : Le « socialisme allemand », analyse du télescopage entre nationalisme et socialisme de 1900 à 1933 en Allemagne in Orientations n°7, septembre-octobre 1986, p : 21-30.
-Thierry MUDRY : La figure du partisan, approche historique in Le Partisan Européen, n°7-8, Vendémiaire-Brumaire 1986, p :10-22.
-Thierry MUDRY : Le « socialisme allemand » de Werner Sombart in Orientations n°12, été 1990-hiver 1990-91, p : 22-27.
-Julien Freund : La décadence, Sirey, Paris, 1984.
Bibliographie réalisée par Pascal Lassalle Pour Novopress France
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A review of "La convergence des catastrophes" by Guillaume Corvus
A review of "La convergence des catastrophes" by Guillaume Corvus
"La convergence des catastrophes by Guillaume Corvus, Paris: Diffusion International, 2004, 221 pages
by Michael O'Meara
Part I
NEARLY THREE HUNDRED YEARS ago, the early scientistic stirrings of liberal modernity introduced the notion that life is like a clock: measurable, mechanical, and amenable to rationalist manipulation. This modernist notion sought to supplant the traditional one, which for millennia held that life is organic, cyclical, and subject to forces eluding ma"thematical or quantifiable expression. In this earlier view, human life was understood in terms of other life forms, being thus an endless succession of seasons, as birth, growth, decay, and death followed one another in an order conditioned by nature. That history is cyclical, that civilizations rise and fall, that the present system will be no exception to this rule -- these notions too are of ancient lineage and, though recognized by none in power, their pertinence seems to grow with each new regression of the European biosphere. With Corvus' Convergence des catastrophes, they assume again something of their former authority.
"For the first time in its history," Corvus writes, "humanity is threatened by a convergence of catastrophes." This is his way of saying that the 18th-century myth of progress -- in dismissing every tradition and value distinct to Europe -- is about to be overtaken by more primordial truths, as it becomes irrefutably evident that continued economic development creates ecological havoc; that a world system premised on short-term speculation and financial manipulation is a recipe for disaster; that beliefs in equality, individualism, and universalism are fit only for a social jungle; that multiculturalism and Third World immigration vitiate rather than re-vitalize the European homelands; that the extension of so-called republican and democratic principles suppress rather than supplant the popular will, etc. In a word, Corvus argues that the West, led by the United States, is preparing its own irreversible demise.
II
Though Convergence des catastrophes takes its inspiration from the distant reaches of the European heritage, its actual theoretical formulation is of recent origin. With reference to the work of French mathematician René Thom, it first appeared in Guillaume Faye's L'archéofuturisme (Paris: L'aencre, 1998), arguably the most important work of the "new European nationalism." Indeed, those familiar his style and sentiments are likely to suspect that "Corvus" is Faye himself.
Anticipating today's "chaos theory," Thom's "catastrophe theory" endeavored to map those situations in which gradually changing circumstances culminate in abrupt systemic failure. Among its non-scientific uses, the theory aimed at explaining why relatively smooth changes in stock markets often lead to sudden crashes, why minor disturbances among quiescent populations unexpectedly explode into major social upheavals, or why the Soviet Union, which seemed to be surpassing the United States in the 1970s, fell apart in the 1980s. Implicit in Thom's catastrophe theory is the assumption that all systems -- biological, mechanical, human -- are "fragile," with the potential for collapse. Thus, while a system might prove capable of enormous expansion and growth, even when sustaining internal crises for extended periods, it can, as Thom explains, suddenly unravel if it fails to adapt to changing circumstances, loses its equilibrium, or develops "negative feedback loops" that compound existing strains.
For Corvus -- or Faye -- the liberal collapse, "the tipping point," looks as if it will occur sometime between 2010 and 2020, when the confluence of several gradually mounting internal failures culminate in something more apocalyptic. Though the actual details and date of the impending collapse are, of course, unpredictable, this, he argues, makes it no less certain. And though its effects will be terrible, resulting in perhaps billions of dead, the chaos and violence it promises will nevertheless prepare the way for a return to more enduring truths.
III
What is this system threatening collapse and what are the forces provoking it? Simply put, it is the technoeconomic system born of 18th-century liberalism -- whose principal exemplar has been the United States and Europe, but whose global impetus now holds most of the world in its grip.
Faye's work does not, however, focus on the system per se. There is already a large literature devoted to it and, in several earlier works, he has examined it at length. The emphasis in Convergence des catastrophes is on delineating the principal fault lines along which collapse is likely to occur. For the globalization of liberal socioeconomic forms, he argues, now locks all the world's peoples into a single complex planetary system whose fragility increases as it becomes increasingly interdependent. Though it is difficult to isolate the catastrophes threatening it (for they overlap with and feed off one another), he believes they will take the following forms:
1. The cancerization of the social fabric that comes when an aging European population is deprived of its virile, self-confident traditions; when drug use, permissiveness, and family decline become the norm; when a dysfunctional education system no longer transmits the European heritage; when the Culture Industry fosters mass cretinization; when the Third World consolidates its invasion of the European homelands; and, finally, when the enfeebling effects of these tendencies take their toll on all the other realms of European life.
2. The worsening social conditions accompanying these tendencies, he predicts, will be exacerbated by an economic crisis (or crises) born of massive indebtedness, speculation, non-regulation, corruption, interdependence, and financial malpractices whose global ramifications promise a "correction" more extreme than that of the 1930s.
3. These social and economic upheavals are likely to be compounded by ecological devastation and radical climatic shifts that accelerate deforestation and desiccation, disrupt food supplies, spread famine and disease, deplete natural resources (oil, along with land and water), and highlight the unsustainability of the world's present overpopulation.
4. The scarcity and disorders these man-made disasters bring will not only provoke violent conflicts, but cause the already discredited state to experience increased paralysis, thus enhancing the prospect of global chaos, especially as it takes the form of strife between a cosmopolitan North and an Islamic South.
These catastrophes, Faye argues, are rooted in practices native to liberal modernity. For the globalization of Western civilizational forms, particularly American-style consumerism, has created a latently chaotic situation, given that its hyper-technological, interconnected world system, dependent on international trade, driven by speculators, and indifferent to virtually every non-economic consideration, is vulnerable to a diverse range of malfunctions. Its pathological effects have indeed already begun to reach their physical limit. For once the billion-plus populations of India and China, already well embarked on the industrializing process, start mass-producing cars, the system will simply become unfit for human habitation. The resource depletion and environmental degradation that will follow are, though, only one of the system's tipping points.
No less seriously, the globalizing process creates a situation in which minor, local disputes assume planetary significance, as conflicts in remote parts of the world are imposed on the more advanced parts, and vice versa. ("The 9/11 killers were over here," Pat Buchanan writes, "because we were over there.") In effect, America's "Empire of Disorder" is no longer restricted to the periphery, but now threatens the metropolis. Indeed, each new advance in globalization tends to diminish the frontier between external and internal wars, just as American-sponsored globalization provokes the terrorism it ostensibly resists. The cascading implication of these developments have, in fact, become strikingly evident. For instance, if one of the hijacked Boeings of 9/11 had not been shot down over Pennsylvania and instead reached Three Mile Island, the entire Washington-New York area would have been turned into a mega-Chernobyl -- destroying the U.S. economy, as well as the global order dependent on it. A miniature nuke smuggled into an East Coast port by any of the ethnic gangs specializing in illegal shipments would have a similar effect. Revealingly, speculation on such doomsday scenarios is now seen as fully plausible.
But even barring a dramatic act of violence, catastrophe looms in all the system's domains, for it is as much threatened by its own entropy (in the form of social-racial disorder, economic crisis, and ecological degradation), as it is by more frontal assaults. This is especially the case with the global economy, whose short-term casino mentality refuses the slightest accountability. Accordingly, its movers and shakers think nothing of casting their fate to fickle stock markets, running up bankrupting debts, issuing fiat credit, fostering a materialistic culture of unbridled consumption, undermining industrial values, encouraging outsourcing, de-industrialization, and wage cutting, just as they remain impervious to the ethnocidal effects of international labor markets and the growing criminality of corporate practices.
IV
Such irresponsible behaviors are, in fact, simply another symptom of the impending crisis, for the system's thinkers and leaders are no longer able to distinguish between reality and their virtualist representation of it, let alone acknowledge the folly of their practices. Obsessed with promoting the power and privileges sustaining their crassly materialist way of life and the progressive, egalitarian, and multicultural principles undergirding the global market, they see the world only in ways they are programmed to see it. The ensuing "reality gap" deprives them, then, of the capacity both to adapt to changing circumstances or address the problems threatening the system's operability. (The way the Bush White House gathers and interprets "intelligence," accepting only that which accords with its ideological needs, is perhaps the best example of this). In this spirit, the system's leaders tirelessly assure us that everything is getting better, that new techniques will overcome the problems generated by technology, that unbridled materialism and self-gratification have no costs, that cultural nihilism is a form of liberation, that the problems caused by climatic changes, environmental degradation, overpopulation, and shrinking energy reserves will be solved by extending and augmenting the practices responsible for them. These dysfunctional practices are indeed pursued as if they are crucial to the system's self-legitimacy. Thus, at the very moment when the system's self-corrective mechanisms have been marginalized and the downhill slide has become increasingly immune to correction, the charlatans, schemers, and careerists in charge persist in propagating the belief that everything is "hunky-dory."
Karl Marx spilt a great deal of ink lambasting ideologues who thought capitalism arose from natural principles, that all hitherto existing societies had preordained the market's triumph, or that a social order subordinate to economic imperatives represented the highest stage of human achievement. Today, the "new global bourgeoisie" gives its euronationalist critics even greater cause for ridicule. Paralyzed by an ideology that bathes itself in optimistic bromides, the system's rulers "see nothing and understand nothing," assuming that the existing order, in guaranteeing their careers, is a paragon of civilizational achievement, that the 20,000 automobiles firebombed every year in France by Muslim gangs is not sign of impending race war, that the non-White hordes ethnically cleansing European neighborhoods will eventually be turned into peaceful, productive citizens, that the Middle East will democratize, that the spread of human rights, free-markets, and new technologies will culminate in a consumer paradise, that limitless consumption is possible and desirable, that everyone, in effect, can have it all.
Nothing, Faye argues, can halt the system's advance toward the abyss. The point of no return has, indeed, already been passed. Fifteen years of above average temperatures, growing greenhouse gases, melting ice caps, conspicuous biological deterioration, and the imminent peaking of oil reserves, combined with an uncontrolled Third World demographic boom, massive First World indebtedness, social policies undermining the state's monopoly on our loyalties, and a dangerous geopolitical realignment -- each of these potentially catastrophic developments is preparing the basis of the impending collapse. Those who think a last minute international agreement will somehow save the day simply whistle pass the graveyard. Washington's attitude (even more pig-headed than Beijing's) to the modest Kyoto Accords -- which would have slowed down, not halted greenhouse emissions -- is just one of the many signs that the infernal machine cannot be halted. The existing states and international organizations are, in any case, powerless to do anything, especially the sclerotic "democracies" of Europe and United States, for their corrupt, short-sighted leaders have not the slightest understanding of what is happening under their very noses, let alone the will to take decisive action against it. Besides, they would rather subsidize bilingual education and Gay Pride parades (or, on the conservative side, ban Darwin) than carry out structural reforms that might address some of their more glaring failures. For such a system, the sole solution, Faye insists, is catastrophe.
V
The ecological, economic, demographic, social, civilizational, and geopolitical cataclysms now in the process of converging will bring about the collapse of liberalism's technoeconomic civilization. In one of the most striking parts of his book, Faye juxtaposes two very different TV images to illustrate the nature of the present predicament: one is of a troubled President Bush, whose Forest Gump antics left him noticeably perplexed on 9/11; the other is of the traditionally-dressed, but Kalachinokov-bearing Bin Laden, posing as a new Mohammed, calmly and confidently proclaiming the inevitable victory of his rag-tag jihadists. These two images -- symbolizing the archaic violence that promises to disturb the narcoticized sleep of a sickened modernity -- sum up for Faye the kind of world in which we live, especially in suggesting that the future belongs to militant traditionalists rooted in their ancestral heritage, rather than high-tech, neo-liberal "wimps" like Bush, who are alienated from the most elementary expressions of Europe's incomparable legacy.
Though rejecting liberalism's monstrous perversion of European life, Faye does so not as a New Age Luddite or a left-wing environmentalist. He argues that a technoeconomic civilization based on universalist and egalitarian principles is a loathsome abnormality -- destructive of future generations and past accomplishments. But while rejecting its technological, bureaucratic, cosmopolitan, and anti-White practices, he fully accepts modern science. He simply states the obvious: that the great technological and economic accomplishments of Europe cannot be extended to the world's six billion people -- let alone tomorrow's ten billion -- without fatal consequence. For this reason, he predicts that science and industry in a post-catastrophe world will have no choice but to change, becoming the province of a small elite, not the liberal farce that attempts to transform all the world's peoples into American-style consumers. Similarly, Faye does not propose a restoration of lost forms, but rather the revitalization of those ancient spirits which might enable our children to engage the future with the confidence and daring of their ancestors. Thus, as befits a work of prophecy, Faye's survey of the impending tempests aims at preparing us for what is to come, when the high flood waters and hurricane winds clear away the system's ethnocidal illusions and create the occasion for another resurgence of European being. It aims, in a word, at helping Europeans to resume the epic course of their history.
[Michael O'Meara, Ph.D., studied social theory at the Ecole des Hautes Etudes in Sciences Sociales and modern European history at the University of California. He is the author of New Culture, New Right: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (2004)]
Source: http://foster.20megsfree.com/index_en.htm
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mercredi, 24 juin 2009
Universidade de Verao da Associaçao Terra e Povo
Universidade de Verão da Associação Terra e Povo
No próximo sábado, dia 27 de Junho, decorrerá em Lisboa a primeira Universidade de Verão da Associação Terra e Povo, que contará com a presença de vários oradores de diversos países. A recepção dos participantes será feita a partir das 10 horas e os trabalhos iniciar-se-ão às 10:30, prevendo-se que terminem às 17:30. As inscrições são limitadas e obrigatórias, devendo ser feitas por correio electrónico ou telefone. O preço é de € 30 e inclui almoço. Associados e estudantes beneficiam do preço reduzido de € 25.
Organização: Associação Terra e Povo
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mardi, 23 juin 2009
Il cantore del mito nuovo: Giorgio Locchi
Il cantore del mito nuovo: Giorgio Locchi
di Adriano Scianca (2005) - http://augustomovimento.blogspot.com/
E per ultima venne la “globalizzazione”. In duemila anni di pensiero unico egualitario ci siamo sorbiti: “l’inevitabile” venuta dei tempi messianici, “l’inevitabile” avanzata del progresso tecnico, economico e morale, “l’inevitabile” avvento della società senza classi, “l’inevitabile” trionfo del dominio americano, “l’inevitabile” instaurazione della società multirazziale. Ed ora, appunto, è la “globalizzazione” ad imporsi come “inevitabile”. Il cammino è già tracciato, nulla possiamo contro il Senso della Storia. Certo, l’ingresso trionfale nell’Eden finale va continuamente procrastinato, giacché sempre emergono popoli impertinenti che non apprezzano gli hegelismi in salsa yankee di cui sopra. Ma prima o poi – ce lo dice Bush, ce lo dicono i pacifisti, ce lo dicono gli scienziati, i filosofi e i preti – la storia finirà. È sicuro. Sicuro?
Fine della storia?
È vero: la storia può effettivamente finire. È del tutto plausibile che nel futuro che ci aspetta si possa assistere al triste spettacolo dell’“ultimo uomo” che saltella invitto e trionfante. Ma questo è solo uno dei possibili esiti del divenire storico. L’altro, anch’esso sempre possibile, va nella direzione opposta, verso una rigenerazione della storia attraverso un nuovo mito. Parola di Giorgio Locchi. Romano, laureato in giurisprudenza, corrispondente da Parigi de “Il Tempo” per più di trent’anni, animatore della prima e più geniale Nouvelle Droite, fine conoscitore della filosofia tedesca, della musica classica, della nuova fisica, Locchi ha rappresentato una delle menti più brillanti ed originali del pensiero anti-egualitario successivo alla sconfitta militare europea del ‘45.
Molti giovani promesse del pensiero anticonformista degli anni ‘70 conservano ancora oggi il nitido ricordo delle visite da “Meister Locchi” presso la sua casa di Saint-Cloud, a Parigi, «casa dove molti giovani francesi, italiani e tedeschi si recavano più in pellegrinaggio che in visita; ma simulando indifferenza, nella speranza che Locchi […] fosse come Zarathustra dell’umore giusto per vaticinare anziché, come disgraziatamente faceva più spesso, parlare del tempo o del suo cane o di attualità irrilevanti»1. Le ragioni di una tale venerazione non possono sfuggire anche a chi l’autore romano lo abbia conosciuto solo tramite i suoi testi. Leggere Locchi, infatti, è un’“esperienza di verità”: aprendo il suo Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista – un «grande libro», «uno dei testi classici dell’ermeneutica wagneriana», come lo definisce Paolo Isotta sul… “Corriere della Sera”!2 – ci si trova di fronte al disvelamento (ἀλήθεια, a-letheia) di un sapere originale ed originario. Disvelamento che non può mai essere totale.
L’aristocratica prosa locchiana è infatti ermetica ed allusiva. Il lettore ne è conquistato, nel tentativo di sbirciare tra le righe e cogliere un sapere ulteriore che, se ne è certi, l’autore già possiede ma dispensa con parsimonia3. Ad aumentare il fascino dell’opera di Locchi, poi, contribuisce anche la vastità dei riferimenti e la diversità degli ambiti toccati: dalle profonde dissertazioni filosofiche alle ampie parentesi musicologiche, dai riferimenti di storia delle religioni alle ardite digressioni sulla fisica e la biologia contemporanea. Chi è abituato alle atmosfere asfittiche di certo neofascismo onanistico o ai tic degli evolomani di stretta osservanza ne è subito rapito.
La libertà storica
Il punto di partenza del pensiero locchiano è il rifiuto di ogni determinismo storico, ovvero l’idea che «la storia – il divenire storico dell’uomo – scaturisca dalla storicità stessa dell’uomo, cioè dalla libertà storica dell’uomo e dall’esercizio sempre rinnovato che di questa libertà storica, di generazione in generazione, fanno personalità umane differenti»4. È il rifiuto della “logica dell’inevitabile”. La storia è sempre aperta e determinabile dalla volontà umana. Due sono, a livello macro-storico, gli esiti possibili, i poli opposti verso cui indirizzare il divenire: la tendenza egualitarista e la tendenza sovrumanista, esemplificate da Nietzsche con i due mitemi del trionfo dell’ultimo uomo e dell’avvento del superuomo (o, se si preferisce, dell’“oltreuomo”, come è stato rinominato da Vattimo nell’intento illusorio di depotenziarne la carica rivoluzionaria). Il filosofo della volontà di potenza afferma la libertà storica dell’uomo tramite l’annuncio della morte di Dio: chi ha acquisito la consapevolezza che “Dio è morto” «non crede più di essere governato da una legge storica che lo trascende e lo conduce, con l’umanità intera, verso un fine – ed una fine – della storia predeterminato ab aeterno o a principio; bensì sa ormai che è l’uomo stesso, in ogni “presente” della storia, a stabilire conflittualmente la legge con cui determinare l’avvenire dell’umanità»5.
Tutto ciò porta Locchi ad individuare una vera e propria “teoria aperta della storia”. Il futuro, in questa prospettiva, non è mai stabilito una volta per tutte, rimane costantemente da decidere. Non solo: anche il passato non è chiuso. Il passato, infatti, non è ciò che è avvenuto una volta per tutte, un mero dato inerte che l’uomo può studiare come fosse un puro oggetto. Esso, al contrario, è interpretazione eternamente cangiante. Il tempo storico, lo stiamo vedendo a poco a poco, assume un carattere tridimensionale, sferico, essendo caratterizzato da interpretazioni del passato, impegni nell’attualità e progetti per l’avvenire eternamente in movimento. L’origine mitica finisce per proiettarsi nel futuro, in funzione eversiva nei confronti dell’attualità. Le diverse prospettive che ne fuoriescono finiscono per scontrarsi dando vita al conflitto epocale.
Il conflitto epocale
Il “conflitto epocale” è dato dallo scontro di due tendenze antagoniste. Si è già detto quale siano le tendenze della nostra epoca: egualitarismo e sovrumanismo. Ogni tendenza attraversa tre fasi: quella mitica (in cui sorge una nuova visione del mondo in modo ancora istintuale, come sentimento del mondo non razionalizzato e quindi come unità dei contrari), quella ideologica (in cui la tendenza, affermandosi storicamente, comincia a riflettere su se stessa e quindi si divide in differenti ideologie apparentemente contrapposte tra loro) e quella autocritica o sintetica (in cui la tendenza prende atto della sua divisione ideologica e cerca di ricreare artificialmente la propria unità originaria). E se l’egualitarismo (oggi in fase “sintetica”) è la tendenza storica dominante da duemila anni, la prima espressione “mitica” del sovrumanismo va ricercata nei movimenti fascisti europei.
Il fascismo, per Locchi, non può essere compreso che alla luce della “predicazione sovrumanista” di Nietzsche e Wagner6 e della “volgarizzazione” di tali tesi ad opera degli intellettuali della Rivoluzione Conservatrice (che, quindi, cessa di essere un’entità “innocente”, astrattamente separata dalle sue realizzazioni pratiche, come vorrebbe certo neodestrismo debole). Fascismo come espressione politica del Nuovo Mito comparso nell’ottocento da qualche parte tra Bayreuth e Sils Maria, quindi. Un qualcosa di nuovo, dunque. Ma, wagnerianamente, anche un qualcosa di antico.
Il fascismo, infatti, rappresenta anche la piena assunzione del “residuo” pagano che il cristianesimo non è riuscito a cancellare e che è sopravvissuto nell’inconscio collettivo europeo. Un fenomeno rivoluzionario, insomma, che si richiama ad un passato quanto più possibile ancestrale ed arcaico, proiettandolo nel futuro per sovvertire il presente. Lo scopo, nella lunga durata, è quello di far «regredire oltre la soglia memoriale» la Weltanschauung cristiana, versando significati nuovi nei significanti vecchi di matrice biblica, così come originariamente il cristianesimo “falsificò” i termini pagani per veicolare la propria visione del mondo in un linguaggio che non risultasse incomprensibile alle genti europee. È il progetto che il Parsifal wagneriano esprime con la formula «redimere il redentore»7.
Il male americano
Ma il primo tentativo di agire concretamente nella storia da parte della tendenza sovrumanista, come sappiamo, è sfociato nella sconfitta militare europea del 1945. Una sconfitta che ha posto il vecchio continente tra le fauci della tenaglia costruita a Yalta. In quel periodo, è bene ricordarlo, troppi eredi del mondo uscito perdente dal secondo conflitto mondiale pensarono di rinverdire la loro militanza sostenendo uno dei due bracci della tenaglia a scapito dell’altro, vagheggiando di un Occidente “bianco” che altro non poteva essere se non la “terra della sera” (Abend-land) in cui veder tramontare ogni speranza di rinascita europea. Scelsero, quei “fascisti” vecchi o nuovi, la tattica del “male minore”. Che, notoriamente, non è altro che la tattica dell’“utile idiota” vista… dall’utile idiota.
In questo contesto, sarà proprio Locchi (non da solo, né per primo: si pensi solo a Jean Thiriart) a denunciare le insidie del “male americano”. E Il male americano è anche il titolo di un libro tratto da un articolo comparso su Nouvelle Ecole nel 1975 a firma Robert De Herte ed Hans-Jürgen Nigra, pseudonimi rispettivamente di Alain de Benoist e dello stesso Locchi. Tale testo contribuirà in maniera decisiva a depurare il corpus dottrinale della Nuova Destra di ogni suggestione occidentalista. Del resto, i due autori cortocircuiteranno la logica dei blocchi citando una frase di Jean Cau: «Nell’ordine dei colonialismi, è prima di tutto non essendo americani oggi che non saremo russi domani». C’è una grande saggezza in tutto ciò. Ne Il male americano l’America è descritta più nella sua ideologia implicita, nel suo way of life, che nella sua prassi criminale. Un’ideologia fatta di moralismo puritano, di disprezzo per ogni idea di politica, tradizione o autorità, di mentalità utilitarista, di conformismo e mancanza di stile, di odio freudiano contro l’Europa. Ciò che soprattutto interessa agli autori è l’influenza della Bibbia nella mentalità collettiva statunitense, senza la quale sarebbero inconcepibili i deliri neocons dell’attuale gestione. Ed inoltre – il ricordo del ‘68 è ancora caldo – non manca la ripetuta sottolineatura della sostanziale convergenza tra la contestazione sinistrorsa ed i miti di oltre-Atlantico. New York come capitale del neo-marxismo: ce n’è abbastanza per distinguere il testo di Locchi/De Benoist dalle denunce “progressiste” dei vari Noam Chomsky (che pure, beninteso, hanno anch’esse la loro funzione).
La terra dei figli
Ma “il male americano” è soprattutto un male dell’Europa. Oggi che la Guerra Fredda è finita e all’ordine di Yalta è subentrato il feroce solipsismo armato di uno pseudo-impero fanatico e usuraio, ce ne accorgiamo più che mai. L’Europa: il grande malato della storia contemporanea. Ma anche un’idea-forza, un mito, un ripiego sulle origini che è progetto d’avvenire, come vuole la logica del tempo sferico.
In questo senso, i riferimenti all’avventura indoeuropea o all’Imperium romano, alle poleis greche piuttosto che al medioevo ghibellino servono come materiale grezzo da cui forgiare qualcosa di nuovo, qualcosa che non si è mai visto. «Se si vuol parlare d’Europa, progettare una Europa, bisogna pensare all’Europa come a qualcosa che ancora non è mai stato, qualcosa il cui senso e la cui identità restano da inventare. L’Europa non è stata e non può essere una “patria”, una “terra dei padri”; essa soltanto può essere progettata, per dirla con Nietzsche, come “terra dei figli”»8. Se nostalgia dev’esserci, allora che sia “nostalgia dell’avvenire”, come nello (stranamente felice) slogan missino di qualche tempo fa. Questo mondo che crede nella fine della storia sta forse assistendo semplicemente alla fine della propria storia. Per il resto, nulla è scritto. Sprofonderemo anche noi fra le rovine putride di questa decadenza al neon? Oppure avremo la forza di forgiare il nostro destino attraverso l’istituzione di un “nuovo inizio”? A decidere sarà solo la saldezza della nostra fedeltà, la profondità della nostra azione, la tenacia della nostra volontà.
Note
(1) Stefano Vaj, Introduzione a Giorgio Locchi, Espressione e repressione del principio sovrumanista. Tra gli intellettuali influenzati da Locchi ricordiamo, oltre allo stesso Vaj, tutto il nucleo fondante della Novelle Droite anni ‘70/80, da De Benoist a Faye, Steukers, Vial, Krebs, ma anche Gennaro Malgieri ed Annalisa Terranova, oggi in AN. Spunti locchiani emergono anche in tempi recenti in Giovanni Damiano e Francesco Boco. Non possiamo non citare, inoltre, Paolo Isotta, critico musicale del “Corriere della Sera” (!), cui Maurizio Cabona riuscì a far redigere un entusiastico saggio introduttivo al libro su Nietzsche e Wagner e che anche ultimamente (vedi nota successiva) è tornato a citare Locchi proprio sulle colonne del maggiore quotidiano italiano.
(2) Paolo Isotta, “La Rivoluzione di Wagner”, ne “Il Corriere della Sera” del 04/04/2005.
(3) Va detto, inoltre, che tra le carte lasciate da Locchi si trova diverso materiale inedito, tra cui un saggio su Martin Heidegger probabilmente e sfortunatamente destinato a non vedere mai la luce.
(4) Da Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista.
(5) Ibidem.
(6) Grande merito di Locchi è del resto il fatto stesso di aver riscoperto le potenzialità rivoluzionarie dell’opera wagneriana in un ambiente che continuava a pensare al compositore tedesco nell’ottica della duplice “scomunica” nietzschana ed evoliana.
(7) Gli indoeuropei, la filosofia greca, Nietzsche, la Konservative Revolution, il fascismo, l’Europa: il lettore attento avrà già scorto, dietro a simili riferimenti, l’ombra possente di Adriano Romualdi. Eppure, incredibilmente, Locchi sviluppò il suo pensiero del tutto autonomamente da Romualdi. Anzi, sarà solo grazie ad alcuni giovani italiani recatisi da lui in visita a Parigi che il filosofo conoscerà l’opera del giovane pensatore morto prematuramente. Senza mancare di sottolineare l’oggettiva convergenza di vedute. Per gli amanti della rete (e i poliglotti), segnaliamo la presenza, in Internet, di un testo in spagnolo (La esencia del fascismo como fenómeno europeo. Conferencia-Homenaje a Adriano Romualdi) che riproduce un discorso di Locchi pronunciato proprio in onore del compianto autore di Julius Evola: l’uomo e l’opera. Ignoriamo le circostanze cui far risalire tale discorso.
(8) Da L’Europa: non è eredità ma missione futura.
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dimanche, 21 juin 2009
Perspectives géopolitiques eurasiennes
Archives de" SYNERGIES EUROPEENNES - 1992
Perspectives géopolitiques eurasiennes
Table ronde tenue dans les locaux de la revue moscovite Dyenn, organe de l'opposition
Avec la participation de Sergeï Babourine, Alain de Benoist, Alexandre Douguine, Lieutenant-Général Nikolaï Klokotov, Chamil Soultanov, Robert Steuckers
Les participants:
Chamil SOULTANOV: journaliste musulman, observateur politique à la rédaction de la revue Dyenn, spécialiste des questions géo-économiques et géopolitiques.
Sergeï BABOURINE: leader de l'opposition au sein du Parlement de la république de Russie et chef du groupe des députés "Rossiia" (= Russie); député, juriste. Il a eu plus de voix lors de l'élection au poste de président du haut conseil de la Russie au printemps de 1991; il battait ainsi son rival Chazboulatov, numéro 1 dans l'équipe d'Eltsine. Mais vu la faible participation des électeurs à cette élection, elle a été annulée. Babourine a fondé le parti patriotique "Renaissance", qu'il dirige de main de maître.
Alexandre DOUGUINE, Président de l'Association historique-religieuse Arktogaïa, éditeur, écrivain.
Nikolaï KLOKOTOV, Lieutenant-Général de l'Armée Soviétique; Directeur de la chaire de stratégie à la haute école de l'état-major de l'Armée Soviétique.
A. DOUGUINE: Commençons par prendre en considération la doctrine géopolitique eurasienne. Aujourd'hui, les facteurs géopolitiques reprennent toute leur importance, au moment, précisément, où s'effondrent, avec une rapidité déconcertante, les univers idéologiques qui avaient été conventionnels jusqu'ici. Nous ne pouvons plus envisager le monde dans l'optique dichotomique habituelle, opposant un camp socialiste à un camp capitaliste. Sommes-nous capable de donner une réponse satisfaisante quand on nous pose la question de savoir si la Russie d'aujourd'hui vit sous un régime capitaliste ou un régime socialiste? Devant l'impossibilité de répondre à cette question, parce qu'il n'y a pas encore de réponse, nous devons immanquablement nous référer à un système doctrinal stable, pour pouvoir nous orienter dans le monde politique, devenu très compliqué, parfois paradoxal. Je pense que l'approche géopolitique est pour l'instant la seule acceptable, parce qu'elle insiste sur les réalités politiques et historiques les plus durables et refuse d'accorder trop d'importance aux circonstances passagères et éphémères de la politique politicienne.
Je voudrais, ici, attirer votre attention sur un projet géopolitique défendu par plusieurs auteurs en Europe actuellement. Tous appartiennent à des milieux intellectuels non conformistes. Généralement, on les désigne sommairement par l'étiquette «Nouvelle Droite». Leur projet reprend des thèses énoncées dans les années 20 par des géopoliticiens allemands, souvent russophiles. Parmi eux, les nationaux-bolchéviques regroupés autour de Niekisch et plusieurs représentants de l'école de Karl Haushofer. Le noyau de ce projet, c'est l'application pratique de la célèbre doctrine géopolitique du géographe britannique Sir Halford John Mackinder, mais en en inversant le sens.
Mackinder jetait un regard bien circonstancié sur la situation géopolitique mondiale; en effet, son optique est celle des puissances thalassocratiques, surtout l'Angleterre; son objectif est de défendre leurs intérêts. Pour Mackinder, le plus grand danger qui guettait les Etats maritimes, démocratiques et marchands (capitalistes) était l'éventualité d'une alliance entre tous les Etats tellurocratiques ou continentaux, autour du pays détenteur de la grande masse continentale, le Heartland. Le rôle-clef dans cette alliance, pourrait être joué soit par la Russie soit par l'Allemagne soit par une quelconque alliance entre pays européens et/ou asiatiques.
Les nationaux-bolchéviques allemands et Haushofer ont tenu compte des thèses de Mackinder mais ont refus la politique d'endiguement qu'il préconisait. Ils voulaient, au contraire, que les puissances continentales s'unissent et se développent en autarcie; base de cette union grande-continentale: l'alliance germano-russe, sur les plans géopolitique et stratégiques. Haushofer a donné le nom de Kontinentalblock à ce projet, qui impliquait l'anti-américanisme ou, plus généralement, l'opposition à toute forme d'impérialisme thalassocratique. La Nouvelle Droite européenne —radicalement anti-américaine et anti-bourgeoise— a repris à son compte les mêmes thèses, en les modernisant et en les appliquant à la situation géopolitique actuelle. Le précurseur de cette tendance a été sans conteste Jean Thiriart, le leader d'un mouvement pour l'unité européenne, actif dans les années 60 en Belgique et en Italie et portant le nom de «Jeune Europe». Jean Thiriart n'a pas participé au lancement de la Nouvelle Droite: au moment où celle-ci voyait le jour, il s'était déjà retiré de la politique active et n'écrivait plus rien (années 1966-69). Ce n'est que vers 1983-84 qu'il a rédigé et distribué à compte d'auteur ses thèses sur l'unification eurasienne et formulé son projet «euro-soviétique».
Plus tard, l'anti-américanisme est systématisé par Alain de Benoist, chef de file de la Nouvelle Droite en Europe. L'intérêt pour les doctrines géopolitiques eurasiennes se retrouve dès 1981 chez Robert Steuckers, l'éditeur des revues Vouloir et Orientations. En Allemagne, les courants néo-nationalistes ne sont plus du tout russophobes —à quelques exceptions près— et l'anti-américanisme est une constante solidement ancrée dans ces milieux. Un général de l'armée autrichienne, Jordis von Lohausen, rédige en 1979 un traîté de géopolitique, reprenant les thèses des écoles d'avant-guerre en les modernisant. Sa conception est très européo-centrée mais ses critiques contre l'Amérique sont acerbes.
Le noyau essentiel de cette démarche pro-continentale et anti-thalassocratique, c'est la reconnaissance, réaliste et froide, nécessaire, qu'il y a opposition entre les puissances maritimes —rassemblées aujourd'hui dans le projet planétaire et thalassocratique des Etats-Unis, c'est-à-dire le «Nouvel Ordre Mondial»— et les puissances eurasiatiques continentales de la Chine à l'Espagne. Cette opposition doit être reconnue comme telle, divulguée, présentée au public sans aucune équivoque de type moralisant, sans hypocrisie.
Aujourd'hui, nous devons constater que le lobby atlantiste et pro-américain est très fort dans les pays eurasiatiques. Cette présence est patente dans les pays du Tiers-Monde (leurs dirigeants travaillent souvent ouvertement pour la CIA) et en Europe. Mais les événements récents que nous avons subis dans notre pays, montrent que ce lobby est également ici, chez nous, en Russie. Il est donc temps d'y réfléchir pour que nous puissions amorcer une lutte consciente et cohérente contre ces forces, téléguidées depuis Washington. Organiser la résistance continentale eurasiatique est un impératif très actuel pour nous qui devons agir au nom de nos intérêts géopolitiques, au nom de notre tradition et de nos valeurs étatiques et spirituelles, menacées par les Américains et leurs agents politiques et culturels.
Ne pensez-vous pas, Messieurs, que la doctrine eurasienne devient aujourd'hui de plus en plus actuelle et nécessaire?
S. BABOURINE: Cette vision de l'actualité géopolitique me paraît extrêmement intéressante, mais un peu trop générale. Je voudrais attirer votre attention sur des problèmes plus concrets, quoique liés au thème central que nous soumettons à discussion. Nous, les Russes, avons assisté au cours de ces dernières années à la destruction systématique de toutes les structures qui assuraient la sécurité de l'Etat. On en arrive même à détruire des structures plus directement vitales, dans les domaines économique et stratégique.
Ce processus involutif a commencé dès l'annonce de la «démocratisation». Cette «démocratisation» —qui est d'ailleurs quelque chose de tout à fait différent de la démocratie— je pourrais la définir comme le régime du «libéralisme nihiliste». La doctrine du libéralisme rejette toutes les considérations d'ordre proprement géopolitique, de la même façon qu'elle refuse d'accepter les valeurs de l'Etat, de l'ordre politique, etc. Dans notre société, le libéralisme a nié les intérêts géopolitiques nationaux, les intérêts de l'instance qu'est l'Etat. Dans une telle situation, les idées positives, qui exigent une certaine élévation de l'esprit, parce qu'elles veulent penser un ordre concret pour le continent ou pour l'Eurasie, ne trouvent aucune réponse, dans une société «démocratisante» qui s'enfonce dans les voies de l'anarchie et de l'hyper-individualisme délétère.
La crise alimentaire se fait sentir d'une manière très forte. Par conséquent, toutes les tentatives de réveiller la conscience géopolitique du peuple russe seront bloquées par le nihilisme qui ne cesse de croître. Pourtant, travailler à réveiller cette conscience est nécessaire: le nihilisme ambiant ne doit pas nous empêcher de la faire.
Ch. SOULTANOV: A propos du libéralisme, je pense plutôt qu'il y a des nations intelligentes et des nations moins intelligentes. Les premières peuvent assimiler le poison imposé de l'extérieur et le transformer, sinon en remède, du moins en quelque chose d'inoffensif. Le modèle démocratique et libéral, qui est intrinsèquement anti-organique, anti-traditionnel et anarchique, a été imposé au Japon et à l'Allemagne occidentale après la deuxième guerre mondiale. Mais ces deux pays ont réussi à introduire dans ce système libéral-démocratique des éléments issus de l'ordre traditionnel, impliquant une hiérarchie des valeurs. Au Japon surtout, on peut retrouver derrière la façade capitaliste et les discours libéraux, les restes de l'esprit des samouraïs, l'éthique japonaise traditionnelle, la conscience aigüe des intérêts nationaux, le collectivisme créatif. A l'extérieur, le Japon correspond aux critères de la démocratie voulue par les Américains, mais l'esprit qui l'anime est radicalement autre.
Je me demande pourquoi, nous Soviétiques, nous nous conduisons aujourd'hui comme une nation stupide, en acceptant sans aucune distance critique les propositions libérales de l'Occident? De plus, nous n'avons même pas été vaincus par une puissance étrangère, comme c'était le cas pour le Japon et l'Allemagne. Pourquoi n'avons-nous pas imité l'expérience de la Chine, qui a pu réaliser des réformes économiques très importantes sans crises brutales et catastrophes sociales? Vers 1985, nous étions une superpuissance relativement stable qui aurait eu seulement beoin de quelques modernisations superficielles et de quelques innovations technologiques. Pourquoi les changements ont-ils pris aujourd'hui une allure tellement dramatique?
S. BABOURINE: Je me souviens des paroles d'un homme politique russe, appartenant au camp des patriotes, Milyoukov. En observant les agitations du parlement bourgeois russe des années 1916-1917, il se demandait: «Qu'est-ce que c'est? De la stupidité ou de la trahison?». Si cette question était posée aujourd'hui, la seconde possibilité évoquée par Milyoukov répondrait à votre question, Monsieur Soultanov.
N. KLOKOTOV: A mon avis, le recours aux perspectives géopolitiques est un impératif catégorique aujourd'hui. Nous sommes le plus grand pays eurasien et nos intérêts sont inextricablement liés à l'espace eurasiatique et cela, sur tous les plans, économique, stratégique, politique, etc. On ne doit pas oublier que le continent eurasiatique est beaucoup plus riche par ses ressources que le continent américain. Cela nous donne un certain avantage stratégique.
Ch. SOULTANOV: Mackinder affirmait que les puissances maritimes, surtout l'Angleterre, ne doivent jamais tolérer qu'un Etat continental s'organise économiquement et politiquement, qu'il deviennent fort et puissant. Telle était la position traditionnelle de la Grande-Bretagne face à ses voisins européens. Par conséquent, dans cette même logique, l'éclatement de l'Etat soviétique répond aux nécessités stratégiques de la Grande Ile qu'est le Nouveau Monde, héritier de la politique thalassocratique anglaise, et adversaire de cette Plus Grande Ile qu'est l'Eurasie.
N. KLOKOTOV: Cette continuité géopolitique est désormais, pour ainsi dire, inscrite dans les gènes des peuples anglo-saxons. Face au Vieux Continent, les Etats-Unis ont hérité cette tactique de l'Angleterre. En tenant compte du développement des armes modernes, l'Ile Amérique est devenue pour l'Eurasie, ce qu'était jadis l'Angleterre pour l'Europe. Pour ma part, je suis convaincu que la conscience géopolitique des peuples est une faculté qui, peu à peu, devient héréditaire. Les Américains ont une mentalité d'insulaires. Ce qui m'amène à la certitude que les Américains agissent toujours, en politique internationale, pour favoriser géopolitiquement leur Ile-Amérique et pour contrecarrer les synergies à l'œuvre en Eurasie, le continent rival.
Par ailleurs, il m'a toujours paru évident que les expansionnismes allemands et japonais ne pouvaient avoir disparu purement et simplement avec leur défaite de 1945. Nous, Russes, sommes contraints de regarder le retour du Japon et de l'Allemagne sur l'avant-scène de la politique internationale avec une certaine inquiétude. Vont-ils jouer le jeu de l'Ile Amérique ou parier pour l'unité eurasiatique? J'ai toujours refusé de croire que les Allemands étaient devenus de braves pacifistes innocents. Je ne crois pas qu'ils puissent un jour abandonner complètement leur prétention à vouloir unifier à leur profit et pour leur compte la masse continentale eurasienne ni à réaliser leur projet de Lebensraum à nos dépens. L'idée même d'une Allemagne pacifiste m'apparaît contre-nature. Raison pour laquelle les Russes doivent être constamment en état d'alerte sur le plan géopolitique.
A. DOUGUINE: Monsieur Klokotov, permettez-moi une question indiscrète. Y a-t-il dans l'Armée Soviétique, actuellement, un lobby eurasiatique qui s'opposerait à la tendance nettement pro-atlantiste et pro-américaine de nos dirigeants «démocratiques» d'aujourd'hui, tels Gorbatchev, Yakovlev et Eltsine?
N. KLOKOTOV: Il n'y a pas qu'un lobby ou un groupe de stratéges. Trouver dans l'armée des atlantistes est extrêmement difficile, peut-être même impossible. Malgré les efforts des commissaires politiques dans l'armée, qui voulaient nous convaincre que notre histoire militaire a commencé en 1917, nous, les officiers soviétiques, avions bien conscience du passé glorieux des armes russes; toutes les victoires russes de l'histoire étaient nos victoires. Et comme la stratégie militaire russe était essentiellement et naturellement eurasiatique, continentale et, en ce sens, universelle et supra-ethnique, ces mêmes traditions se perpétuaient dans l'armée soviétique. L'idée de la solidarité entre tous les peuples de l'Eurasie était le fondement doctrinale de notre armée. Dans l'armée actuelle, aucune querelle n'oppose les nationalités, même si cette armée est composée de représentants des ethnies les plus diverses. La conscience des intérêts grands-continentaux unit notre armée, comme devrait être soudé organiquement le territoire eurasien lui-même.
A. de BENOIST: Il faut rappeler la genèse de l'OTAN. Cette alliance a été créée après la seconde guerre mondiale pour organiser la défense des pays occidentaux contre la menace communiste venue de l'Est. Les peuples d'Europe occidentale ont également vécu tout ce temps sous la tutelle de l'OTAN, supposant naïvement que les Américains les défendraient contre l'Union Soviétique. Quoi qu'il en soit, il est parfaitement évident que, dans la situation actuelle, l'existence de l'OTAN a perdu pleinement sa signification: le communisme en Union Soviétique n'existe plus et le Pacte de Varsovie, qui était le pendant de l'OTAN, s'est écroulé.
A. DOUGUINE: Objectivement, l'OTAN est désormais une force globale garantissant stratégiquement la domination planétaire de la civilisation atlantique. Aujourd'hui, il est évident que seules les alliances stratégiques globales sont en mesure d'assurer le fonctionnement du système complexe qu'est la géo-économie mondiale. L'OTAN se trouve être aujourd'hui la forme d'unification de la politique planétaire —ou plus exactement: de l'économie globalisée— sous le signe de l'atlantisme et sous le commandement des puissances insulaires anglo-saxonnes, à savoir les Etats-Unis et leur «base maritime et aérienne en lisière de l'Europe», l'Angleterre.
A. de BENOIST: Cette «unification atlantique du monde» et, pour commencer, cette «unification atlantique de l'hémisphère nord» est l'objectif final de l'OTAN. Mais une telle «unification atlantique» ignore totalement l'incompatibilité géopolitique globale entre les conceptions du monde —politique et géoéconomique— «continentale» (eurasiatique) et «insulaire» (atlantique). Au fond, comment les théoriciens de l'OTAN expliquent-ils le fait que leur alliance existe? Auparavant, ils justifiaient l'OTAN par l'existence d'une menace soviétique. Actuellement, ils parlent comme suit: après la faillite du communisme, il est tout-à-fait logique d'admettre que l'ordre démocratique et libéral se propagera d'Ouest en Est et qu'un nombre toujours plus grand de pays de l'hémisphère nord seront intégrés dans un système socio-démocratique unique de type occidental. L'OTAN, à l'heure actuelle, veut se donner un rôle de médiateur au niveau du processus d'intégration des régimes libéraux de l'hémisphère nord; veut participer au processus de soudure économique et industrielle des économies des différents Etats. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que l'industrie militaire est partout un secteur industriel important.
A. DOUGUINE: Monsieur Steuckers, votre vision du monde et de la politique est agonale et conflictuelle, éloignée de tout irénisme. Comment conciliez-vous l'idéal de pax eurasiatica avec votre constat de la permanence du conflit dans les relations inter-humaines et inter-étatiques?
R. STEUCKERS: Les conflits sur notre «hémisphère eurasiatique» sont inévitables mais ils doivent être transformés en conflits locaux et régulés, ce qui est impossible en dehors d'un bloc militaire stratégique unique en Eurasie. Nous devons combattre la conception de la «guerre absolue», avec son idéologie manichéenne où les adversaires se considèrent mutuellement comme les représentants du «mal absolu». Nous avons vu l'exemple le plus détestable de cette approche manichéenne quand les Américains, lors de la guerre du Koweit, ont été pris d'un délire de fanatisme puritain. Nous devons plutôt nous pencher sur le concept de «guerre de forme», c'est-à-dire sur les types de conflits —vu la nature humaine les conflits sont malheureusement inévitables— qui se déroulent entre de petites armées composées de volontaires et de militaires professionnels, sans engagement de la population civile et sans destruction des économies nationales. Je le répète, nous ne sommes pas des utopistes et nous reconnaissons, bien sûr, que des conflits déterminés enflammeront toujours l'une ou l'autre portion de l'espace eurasiatique. Mais il sera nécessaire de les réguler en pensant au mode de belligérence que fut et pourra redevenir la «guerre de forme»: les parties belligérantes doivent voir dans leur ennemi d'aujourd'hui un allié potentiel de demain.
N. KLOKOTOV: Considérez-vous, Monsieur Steuckers, que le refus de l'armement nucléaire de la part de la Russie mènera à une plus grande sécurité en Europe ou, au contraire, l'armement nucléaire russe a-t-il été et demeurera-t-il un facteur effectif de dissuasion des conflits locaux?
R. STEUCKERS: En Europe, le désarmement unilatéral de la Russie et notamment son renoncement unilatéral à l'armement nucléaire n'est avantageux pour personne. Nous avons toujours aspiré à ce que les troupes soviétiques abandonnent les pays d'Europe centrale mais nous n'avons jamais voulu l'affaiblissement de la Russie elle-même, qui, forte, a toujours jouer un rôle stabilisateur, tant au temps de la Pentarchie que pendant l'équilibre européen arbitré par Bismarck. L'arme nucléaire en quantité limitée est effectivement nécessaire à l'Europe pour contenir les Etats-Unis ou d'autres puissances extra-continentales et pour prévenir des conflits locaux intra-européens ou intra-eurasiatiques.
En même temps, un puissant armement nucléaire est extrêmement accablant d'un point de vue économique au point que les dépenses pour l'armement ont déjà conduit l'économie américaine au seuil de la faillite; les Russes ne doivent pas se faire d'illusions à ce sujet. Les seuls modèles capitalistes efficaces aujourd'hui sont les modèles japonais et allemand. La course aux armements a détruit non seulement l'économie soviétique mais également l'économie américaine. Les dépenses pour un super-armement sont tout simplement insensées. Il est certes nécessaire d'avoir une arme nucléaire limitée permettant d'asséner sélectivement un coup puissant, fort et irrésistible destiné à prévenir l'extension des conflits, à arrêter la guerre totale. Mais pourquoi faut-il créer un potentiel suffisant pour détruire dix fois la planète entière?
A. DOUGUINE: Pour l'armée tout est donc clair, comme vient de nous le dire le Lieutenant-Général Klokotov. Sur le même sujet, j'aimerais maintenant interroger Monsieur Babourine et lui demander quelles sont les orientations géopolitiques de nos parlementaires, de nos députés.
S. BABOURINE: A la différence de Monsieur Soultanov, je ne crois pas qu'il y ait des nations intelligentes et des nations moins intelligentes. Je pense plutôt qu'il y a des peuples heureux et des peuples malheureux. Les peuples heureux ont des gouvernants sages. Aujourd'hui, notre peuple est extrêmement malheureux. La plupart des députés sont absolument incompétents en matières politiques et géopolitiques. Ils agissent par la force de leurs émotions, de leurs sentiments éphémères, en suivant les suggestions séduisantes de la petite clique des hypnotiseurs et des démagogues. Ces derniers sont bien conscients de leurs intérêts, mais évitent toujours de parler des questions géopolitiques, évitent même de prononcer ce mot parce qu'ils ont peur des définitions claires et sans équivoques que donne précisément la géopolitique; on s'apercevrait tout de suite, si ces définitions étaient largement répandues dans la classe politique et dans l'opinion publique, qu'ils agissent contre les intérêts nationaux de notre Etat et de notre peuple. Deux exemples: celui des Iles Kouriles et celui des frontières russo-ukrainiennes. On veut rendre les Iles Kouriles au Japon pour obtenir un soutien financier (dérisoire d'ailleurs) de Tokyo; mais sur le plan économique, politique, géopolitique, stratégique et surtout moral, ce serait une perte gigantesque, une tragédie nationale, un choc pour notre conscience, une humiliation profonde. Pire, cela risque d'amorcer un processus destructeur de révision générale de toutes les frontières du globe. Si nous acceptons comme légitime cette pratique de réviser les frontières nationales, nous créons implicitement un terrible précédent; des guerres en chaîne risquent de s'ensuivre.
Une autre tragédie risque de se produire, à la fois géopolitique et religieuse: la destruction de la synthèse unique entre les trois grandes cultures religieuses (chrétienté, islam, bouddhisme) qui s'est réalisée dans les terres de Russie. Enfin, troisième menace, tout aussi terrible: le risque de brisure irrémédiable de l'unité des trois peuples slaves orientaux (Grands-Russiens, Petits-Russiens ou Ukrainiens et Blancs-Russiens). Si cette rupture est consommée lors du prochain référendum sur l'indépendance de l'Ukraine, ce sera une catastrophe gigantesque. Nous sommes enracinés dans toutes les parties de la Russie; nous avons tous des parents dans toutes les républiques, parmi tous les peuples qui vivent sur nos terres.
Dans tous ces événements, j'aperçois clairement la trace du travail qu'accomplissent les forces qui veulent à tout prix détruire l'unité eurasiatique, affaiblir l'organisme géopolitique continental, dresser des obstacles à toute réssurection possible de la Russie en tant que grand empire eurasien. Mais cette politique de sabotage systématique n'est pas seulement venue de l'extérieur. Ce sont nos politiciens qui détruisent systématiquement le pays de l'intérieur. C'est en pensant anticipativement les conséquences terribles de cette involution politique, en envisageant la catastrophe grande-continentale qui risque de survenir, qu'il faut juger les orientations géopolitiques de nos dirigeants et de nos parlementaires. Leurs positions, mêmes inavouées, deviennent bien claires quand on constate leurs actes concrets.
Ch. SOULTANOV: Je voudrais rappeler les arguments qu'évoquent souvent les opposants à l'idée eurasienne. Je m'adresse surtout à Alexandre Douguine. On ne peut pas nier que l'Eurasie d'aujourd'hui est loin, très loin, d'être le continent harmonique et pacifié. Elle est déchirée par les conflits intérieurs: guerre récente entre l'Irak et l'Iran, guerre inter-ethnique en Yougoslavie, guerre en Afghanistan, menées séparatistes en Inde (les Sikhs), conflits entre nationalités de l'ex-URSS, etc. Pire: bon nombre de puissances en Eurasie possèdent l'arme nucléaire, ce qui augmente les chances de voir se déclencher une apocalypse, scellant définitivement le suicide de tous nos peuples. Ne doit-on pas rechercher plutôt qu'une opposition entre deux continents, une harmonie planétaire, se basant sur des valeurs universellement humaines, non pas contre l'Amérique, mais avec l'Amérique?
A. DOUGUINE: Premièrement, je refuse à croire aux «valeurs universellement humaines», parce que c'est, à mon avis, une abstraction, une utopie, absolument vide de sens; ces «valeurs» font partie de l'héritage de la Révolution française et de la pensée rationaliste de l'ère des Lumières: elles sont aussi optimistes qu'elles sont infantiles.
Ch. SOULTANOV: Mais toutes les religions sont d'accord pour affirmer l'unité de l'homme.
A. DOUGUINE: Oui, dans un autre sens, dans le sens spirituel, au niveau de l'archétype intemporel, et non pas dans la réalité historique contingente. De plus, les différentes religions expriment des conceptions différentes de l'«universalisme anthropologique». L'universalisme chrétien —dont il existe d'ailleurs beaucoup de variétés— est une chose, l'universalisme islamique en est une autre, etc. On peut admettre la possibilité d'une alliance, par exemple, entre les Chrétiens et les Musulmans pour la défense des intérêts géopolitiques de l'Eurasie, mais les différences entre leurs valeurs religieuses respectives n'en diminueront pas pour autant. D'ailleurs le monde d'aujourd'hui n'est pas guidé par les facteurs spirituels et religieux, donc je trouve votre objection est dépourvue de consistence.
Par ailleurs, le célèbre politologue allemand Carl Schmitt, popularisé en Europe par les efforts des nouvelles droites, est devenu aujourd'hui l'auteur le plus indispensable pour donner un regain de sérieux aux facultés de sciences politiques et sociales en Europe occidentale. Carl Schmitt, dans toute son œuvre, insiste sur la distinction ami/ennemi, ou, plus précisément, entre «les nôtres» et les «non nôtres» (en russe: nachi et nenachi). Cette distinction est à l'origine de toute communauté humaine, depuis les tribus primitives jusqu'aux empires les plus complexes et les Etats les plus grands. Nier la distinction ami/ennemi, nôtres/non-nôtres, serait faire violence à la nature humaine, sombrer dans l'artificialité monstrueuse et contre-naturelle. Je pense que les défenseurs des «valeurs universellement humaines» ne croient pas eux-mêmes en l'abstraction qu'ils proposent et suggèrent; ils l'utilisent pour masquer leurs buts géopolitiques et politiques véritables. Eux aussi opèrent la distinction entre «nôtres» et «non-nôtres». Leurs «nôtres» restent souvent dans l'ombre et sont radicalement les ennemis de nos «nôtres». Le seul «universalisme» que nous devons reconnaître comme réel, réaliste et concret est l'universalisme eurasien, qualitatif et différencié, poly-ethnique et organique.
Je voudrais aussi insister sur la nécessité, aujourd'hui, à l'heure critique où nous vivons, d'élargir les limites dans lesquelles nous avions coutume d'enfermer notre conception des «nôtres». Ces limites ne seront plus celles de l'ex-URSS, mais celles, naturelles et géographiques, du grand continent eurasiatique. Toutes les formes de (petit)-nationalisme ou de chauvinisme sont des alliées objectives des forces hostiles à la synergie constructive eurasiatique. Dans le monde actuel, la liberté d'un peuple, quel qu'il soit, dépend directement de l'autarcie géopolitique et géo-économique du continent sur lequel ce peuple vit. Les Russes, les Allemands, les Japonais, les Français, les Serbes et les Croates, les Caucasiens, les Indiens, les Irakiens et les Iraniens, les Espagnols, les Vietnamiens et les Chinois, en tant que nations, ne seront plus jamais libres, indépendants et forts si un Empire eurasiatique ne se constitue pas. Les peuples de l'ex-URSS et tous les autres peuples d'Europe, sans instance grande-continentale eurasienne, resteront à jamais les «petits frères» de l'Oncle Sam. Dans ce vaste processus de libération anti-américain et donc anti-impérialiste, trois Etats sont historiquement destinés à jouer un rôle unificateur important, à devenir conjointement le Heartland eurasiatique: la Chine, la Russie et l'Allemagne. Pour réaliser cette fantastique synergie, nous avons besoin de la participation de tous les peuples et de tous les pays eurasiens. Ils sont tous des «nôtres».
Nous devons clairement apercevoir l'unique frontière qui sépare les «nôtres» des «non-nôtres». C'est la frontière entre l'Eurasie (non seulement géographique, mais aussi spirituelle, culturelle, idéologique, traditionnelle) et l'Occident «atlantiste» et extra-européen, l'Occident américain. Je suis partisan d'une union et d'une universalité plus larges mais, pour être concrète, définie et réelle, cette universalité doit s'arrêter, trouver des limites tangibles, sur la façade maritime occidentale de la masse continentale eurasienne. Au-delà des «colonnes d'Hercule», de Gibraltar ou du Cap Saint-Vincent, commence une autre planète, un autre monde, aliéné et hostile. Certes, nous pouvons faire une exception pour les Amérindiens, ces enracinés qui conservent malgré tout leur propre identité, leur propre tradition. Ils sont des «nôtres», contrairement aux yankees, avec leur messianisme qui veut promouvoir les «valeurs universellement humaines», en même temps que leurs «Mac'Do'» et leurs banques.
S. BABOURINE: Je ne partage pas le radicalisme de vos propos. Il y a des valeurs universellement humaines, comme le droit de vivre, par exemple, ou quelques vérités religieuses, etc. En revanche, je suis radicalement contre l'emploi de la rhétorique humaniste et de la démagogie quand elles servent à masquer la destruction de l'Etat et la désintégration des systèmes de sécurité. C'est de la manipulation et du lavage de cerveaux.
Ch. SOULTANOV: Vous avez mentionné la sécurité de l'Etat. Comment la pensée militaire soviétique voit-elle le rôle de l'Etat soviétique en tant que puissance nucléaire à ces trois niveaux que sont la planète, le continent et l'Etat russe?
N. KLOKOTOV: Nous avons construit notre doctrine militaire en prenant ces trois niveaux en considération. Détenir l'arme nucléaire et peser très lourd sur le plan des armements conventionnels, tels étaient les deux atouts décisifs qu'avançait l'armée soviétique pour garantir l'équilibre planétaire entre les deux blocs. Grâce à l'URSS, les Atlantistes américains et leurs intérêts commerciaux étaient confrontés à des limites sur le continent eurasiatique. De facto, le Pacte de Varsovie était un pacte eurasien inachevé. Nous étions les garants de l'ordre: grâce à notre force dissuasive, aucun conflit grave ne pouvait survenir en Eurasie. De ce fait, l'armée soviétique avait une fonction équilibrante tant au niveau global qu'au niveau continental. Elle assurait la parité. La doctrine dominante de notre stratégie militaire était qualifiable d'«eurasiste». On peut donc dire que la sécurité planétaire (globale), la sécurité continentale et la sécurité de l'Etat soviétique étaient étroitement liées entre elles; elles étaient au fond une seule et même chose.
Dans le vaste contexte eurasien, le rôle de l'armée soviétique était le suivant: grâce à sa simple existence, les autres peuples d'Europe et d'Asie n'avaient pas besoin d'entretenir d'armée, sinon des unités limitées numériquement pour assurer l'ordre intérieur dans de petites entités politiques. De telles armées n'auraient eu qu'une fonction symbolique en cas de conflit global. En revanche, quand la donne a changé en URSS, on s'est aperçu que l'armée soviétique n'était pas préparée du tout à faire face à des conflits locaux ou à intervenir dans des luttes intestines. Toute notre stratégie avait été élaborée pour garantir la paix à grande échelle et non pas à vaincre dans de petits combats (en situation de Kleinkrieg). L'objectif principal de notre armée à toujours été d'assurer la paix planétaire.
Même aujourd'hui, après la dissolution du Pacte de Varsovie, notre armée continue à servir cet objectif, tout simplement parce qu'elle possède l'arme nucléaire et que se structuration stratégique est demeurée telle. Il n'est pas sérieux de parler de la «souveraineté» des républiques ou même des libertés des pays d'Europe orientale si ces républiques et ces pays ne possèdent pas de forces militaires suffisantes pour défendre cette liberté et cette indépendance. Paradoxalement, ces républiques et ces pays ne peuvent être «indépendants» que s'ils dépendent de l'armée soviétique! Autrement, le voisin le plus fort les avalera à la première occasion. Toute «souveraineté» sans armée forte, capable de garantir efficacement l'indépendance, est pure chimère, même au niveau juridique. Même au cas où les républiques de l'ex-URSS se partageraient une fraction plus ou moins importante de l'arsenal nucléaire soviétique, cette fraction demeurera toujours insuffisante pour les rendre réellement libres. Arithmétiquement, la République de Russie sera toujours plus forte sur le plan militaire. C'est pourquoi toute cette rhétorique indépendantiste, déversée sur les ondes ou dans les colonnes des journaux, sans aucune considération profonde de la situation stratégique, géopolitique et militaire, me paraît être de la pure démagogie, inconsistante et vide de sens. La souveraineté et l'indépendance ne seront garanties aux républiques que si elles participent à une alliance stratégique et géopolitique avec la Russie ou avec un Etat soviétique rénové mais qui n'aura pas aliéné les instruments de sa souveraineté. D'ailleurs, quel que soit le nom, URSS, CEI ou autre, la donne géopolitique et géostratégique restera la même.
Ch. SOULTANOV: D'accord, mais vous ne pouvez pas nier que le bloc OTAN demeure toujours puissant et continue à développer ses capacités militaires et stratégiques; quant au bloc alternatif, il se réduit aujourd'hui à la seule Russie, qui se dégrade de plus en plus et se trouve entre les mains de politiciens de tendance atlantiste. Nous devons donc nous attendre à la fragmentation définitive de l'ancienne URSS et même à ce que les républiques, Russie comprise, vendent leurs armes nucléaires à des pays relativement belliqueux, le Pakistan par exemple. Aujourd'hui, l'armée soviétique est presque entièrement détruite. Dès lors, les propos de Monsieur Klokotov ne sont-ils pas un peu anachroniques?
A. DOUGUINE: Pour ma part, je voudrais insister sur le caractère artificiel de la destruction du système soviétique. J'ai toujours été un ennemi du socialisme marxiste et du système soviétique mais, malgré cela, je veux rester honnête et avouer qu'avant la perestroïka, la situation en URSS n'était guère critique des points de vue économique, politique, technologique, etc. Nous, les dissidents, étions une minorité infime; nos idées anti-soviétiques n'avaient pas la moindre incidence sur le peuple. En 1985, des pays beaucoup moins stables que l'URSS survivaient sans trop de problèmes depuis des décennies et poursuivent leur bonhomme de chemin. Mais Gorbatchev a commencé par déstabiliser l'Etat, en provoquant des conflit, en ébranlant les structures administratives, en bouleversant les habitudes idéologiques, en dénonçant les vérités incarnées dans l'homo sovieticus. En prétendant en finir avec la «sclérose» de l'armée (qu'est ce que cela signifie, dans le fond?), on fait sauter toute sa structure. Volontairement, on a troqué une idéologie totalitaire contre une autre, qui n'est pas moins totalitaire, je veux dire qu'on a troqué l'utopisme marxiste/communiste contre l'utopisme démocratique/capitaliste, sans faire preuve de la moindre correction à l'égard du peuple et sans aller à l'encontre de ses demandes d'ordre spirituel ou existentiel. Quel que soit le but de Gorbatchev et d'Eltsine, il demeure évident que leurs orientations géopolitiques sont non seulement pro-occidentales mais, pire, extrême-occidentales, c'est-à-dire atlantistes, agressivement pro-américaines et anti-eurasistes, anti-européennes dans le sens où le destin de la Russie et celui de l'Europe sont intimement liés. Je perçois bien la contradiction entre, d'une part, la doctrine stratégique développée par l'état-major soviétique —laquelle est eurasiste plutôt que marxiste ou communiste, comme vient de nous l'expliquer le Lieutenant-Général Nikolaï Klokotov— et, d'autre part, la doctrine géopolitique pro-atlantiste des chefs de l'Etat post-soviétique actuel. J'en déduis que les idées défendues par Nikolaï Klokotov ne sont pas anachroniques mais constituent plutôt une conception opposée à celles des auteurs et des praticiens de la perestroïka. Géopolitiquement parlant, les transformations à l'œuvre aujourd'hui sont globalement négative pour l'ensemble eurasiatique. Mes convictions personnelles me portent à croire que les chefs de l'URSS actuelle, partie en quenouille, sont les agents inconscients, non pas tant des services secrets étrangers (ça reste à prouver; nous n'avons aucune preuve tangible), mais, métaphysiquement, je crois qu'ils sont les agents de l'autre continent, car ils font le jeu, naïvement, des intérêts atlantistes et anti-eurasiens.
J'aimerais aussi répondre à Sergueï Babourine, puisqu'il m'a interpellé à propos du «droit de vivre». Je crois, moi, qu'il y a des valeurs qui transcendent le simple droit de vivre. Les valeurs qui se profilent derrière la pensée géopolitique, les valeurs supérieures de l'Etat, les valeurs véhiculées dans la chair du peuple, par la Tradition, par l'héritage historique de la nation sont plus hautes que notre misérable vie individuelle, éphémère et inéluctablement vouée à la mort. La Russie a été un grand empire continental parce que des millions de Russes sont morts, ont donné, avec des millions de ressortissants d'autres peuples de l'empire, leur «droit de vivre» pour que s'instaure sur la planète cet Empire/Etat gigantesque et grandiose, qui restera, dans les mémoires, couvert de gloire éternelle, grâce à ses victoires, ses guerres, l'exemple des génies qu'il a produits, grâce à la culture qu'il a fait éclore, grâce à sa tradition et sa spiritualité. Cet Empire/Etat avait une grande mission eurasiatique à accomplir, dont les dimensions historiques et religieuses ne doivent pas nous échapper. Pour ces valeurs, les meilleurs fils de la Patrie mourraient et tuaient. Voilà la grande vérité, nue et crue, que nous dévoile l'histoire. Nous, les Russes, sommes tout naturellement, par le fait de notre naissance, de notre culture, de nos racines, les soldats de cet Empire, les soldats de l'Eurasie. Et nous devons, au lieu de ratiociner sur ces abstractions médiocres que sont le «droit de vivre», les «droits de l'homme», les «valeurs universellement humaines», mourir et tuer pour les intérêts, de la Russie, du Grand Continent eurasiatique, de la Planète. Nous devons n'être qu'une armée où seuls comptent la discipline et le devoir.
S. BABOURINE: D'accord. Pour notre peuple, la période de la perestroïka est la période d'expansion d'une nouvelle idéologie qui lui est consubstantiellement étrangère. A présent, notre peuple est groggy, sa conscience est obscurcie, troublée. Il ne comprend pas ce que les nouveaux chefs de l'Etat comptent faire de lui. Il n'a pas été préparé. Il est knock-outé. En gros, je pense comme Douguine, mais je mettrais l'accent sur d'autres choses. Ou plutôt, je simplifierais la problématique en disant que l'essentiel, aujourd'hui, est de défendre la Patrie. A tout prix. Car tel est notre devoir. La Russie est en danger. Et c'est en défendant la Russie sur les plans spirituel, idéologique et physique que nous aboutirons, tout naturellement, à la défense du Grand Continent, à la conscience de sa dynamique géopolitique, à la dimension axiologique eurasienne proprement dite.
Ch. SOULTANOV: Ne pensez-vous pas, Monsieur Douguine, que le projet eurasiatique est une utopie nouvelle, alors que la réalité économique et les intérêts de la vie quotidienne nous dirigent vers d'autres perspectives, plus concrètes et nettement moins héroïques. L'Occident et surtout les Etats-Unis vont profiter de la crise économique en Russie pour acheter tout simplement le pays, ses politiciens et ses dirigeants, comme c'est le cas partout dans le tiers-monde. Le peuple sera satisfait d'exécuter les ordres des gouverneurs de la Banque mondiale, à condition de recevoir à manger. Le pathos eurasiatique est certes très séduisant pour l'élite et les patriotes convaincus mais le peuple, lui, ne s'en souciera guère; il préfèrera sans doute la satiété et la colonisation à l'indépendance et au combat.
S. BABOURINE: Dans la rue, on dirait que c'est déjà le cas.
A. DOUGUINE: Sans doute que, dans un premier temps, le choix du peuple se portera vers l'atlantisme. Mais, à long terme, je doute que la greffe soit possible. L'atlantisme, en soi, est une idéologie qui est diamétralement opposée à notre idéologie intrinsèque, à notre nature russe, à notre idéologie russe, à nos traditions, à notre histoire. Les auteurs eurasistes du début de ce siècle, comme Troubetskoï, Vernadsky, etc., ont démontré que la révolution bolchévique a été une réponse spontanée et aveugle à l'expansion du capitalisme et de son idéologie implicite, individualiste et égoïste. Le communisme n'avait qu'un seul côté attirant: son engagement anti-bourgeois et anti-individualiste. Les Russes, à cette époque, vivaient toujours dans la dimension du collectivisme spirituel, dans l'esprit de l'obchtchina, c'est-à-dire la communauté (Gemeinschaft) qualitative et organique traditionnelle. Quand notre peuple prendra conscience de l'essence anti-russe du modèle américain, il réagira. D'une manière brutale.
Par ailleurs, je refuse de croire à la supériorité absolue de l'économie capitaliste; notre économie a commencé à se désintégrer quand on y a introduit des éléments capitalistes. Dans le tiers-monde, beaucoup de pays capitalistes connaissent la misère. De plus, le bien-être offert par le capitalisme est également très exagéré. Cette relativisation du fait capitaliste me permet de ne pas considérer a priori les réflexions d'ordre géopolitique, les perspectives eurasistes, comme des utopies. En outre, je ne crois pas que le pouvoir et le lobby atlantistes dureront longtemps dans notre pays. Les réflexes communautaires des Russes sont trop profondément ancrés dans l'âme du peuple pour qu'on puisse les en éradiquer. L'âme russe est pourtant plastique: elle peut assimiler toutes les idéologies, sauf celle qui veut expressément son assèchement et sa disparition. Qui plus est, les «démocrates» ne pourront jamais nourir convenablement le peuple. Ils sont malhabiles à l'extrême et n'ont aucun sens de la responsabilité. Les révoltes de la faim éclateront. La haine à l'égard des politiciens prendra des proportions inouïes. Le pouvoir «démocratique» va tomber et les gouverneurs de la Banque mondiale seront renvoyés dans leurs pays. Par conséquent, les intérêts eurasiens seront les seuls à l'avant-plan à court ou moyen terme. Raison pour laquelle nous ne pouvons négliger les projets géopolitiques eurasiens, les rejeter comme quelque chose de trop «intellectualiste» ou d'«utopique». Je déplore au contraire l'absence d'intellectualité chez les nôtres. La stupidité de nos «démocrates» me réjouit. Mais je crains que la révolte populaire, anti-démocratique et anti-atlantiste, ne soit récupérée, une fois de plus, par quelques aventuriers idéologiques ou par des sectes politiques étrangères aux intérêts russes et eurasiatiques, comme en 1917. Je ne crois pas qu'on puisse acheter notre peuple; on peut le séduire mais pour cela, il faut faire preuve d'autorité, encourager l'esprit communautaire qui gît au fond de son âme et connaître les détours de la psyché russe. Les atlantistes sont incapables de faire ce travail. Donc, en dépit de leurs efforts, la réponse sera eurasiatique.
N. KLOKOTOV: A propos de la satiété, je me souviens d'une conversation que j'ai eue à Rome avec un général de la Bundeswehr qui me demandait: «Qu'allez-vous faire avec l'aide humanitaire de l'Occident?». J'ai répondu qu'il n'y a pas meilleur moyen de tuer les capacités à produire les biens que de donner ceux-ci en cadeau. La fameuse aide occidentale nous pervertit; elle fait de nous des parasites. Cette aide est perverse: elle est une forme de lutte idéologique qui, sous le couvert souriant de la générosité, empêche toute renaissance possible de notre peuple, rend inutile les efforts de notre peuple dans la reconstruction pour lui-même d'un appareil industriel et de services.
Ch. SOULTANOV: Réalisable ou non, le projet eurasien reste très intéressant et digne d'une étude approfondie. Par conséquent, je pense qu'il faut l'étudier sous tous ses aspects dans les milieux intellectuels, culturels, politiques et militaires. Il est temps, pour nous, d'appeler les choses par leur nom, sans équivoques et sans illusions.
A. DOUGUINE: Monsieur de Benoist, vous qui vivez à Paris, au sein de la culture occidentale, comment réagissez-vous quand on vous parle de «continent eurasien», thème qui n'a pas beaucoup été abordé en France?
A. de BENOIST: Je considère le projet eurasiatique, l'alliance eurasienne à l'échelon culturel, économique et peut-être militaro-stratégique comme nécessaire et souhaitable au plus haut point. Il est possible que la création définitive du bloc eurasien soit le stade final d'un long processus. Le continent eurasiatique est un conglomérat géant de formations politiques, nationales et étatiques diverses. Nous ne pourrons pas en une seule fois parvenir à l'intégration géopolitique définitive. La majorité des ethnies et des peuples eurasiatiques ont des racines culturelles, historiques et traditionnelles communes bien plus profondes que les frictions et les conflits de l'histoire de ces derniers siècles qui, en comparaison du cycle de vie d'une ethnie, occupent un espace-temps assez insignifiant.
A. DOUGUINE: Habituellement, deux principes en apparence antagonistes s'opposent au projet du «mondialisme atlantique»: le principe du régionalisme, de la conservation de l'ethnie, du «nationalisme local» et le principe de l'union eurasienne globale, la théorie de l'«autarcie des grands espaces»...
A. de BENOIST: Je considère qu'il s'agit là de deux niveaux différents d'un seul et même processus; l'un inférieur, l'autre supérieur. A l'heure actuelle, nous ne devons pas insister uniquement sur l'unification eurasienne puisque nous n'avons pas encore les moyens suffisants pour réaliser un tel projet. Nous devons commencer par le bas, en opposant au mondialisme les valeurs ethniques, régionales et nationales, les traditions, les principes organiques, communautaires et qualitatifs de l'organisation sociale. Mais cette opposition doit nous permettre de préparer le fondement intellectuel et culturel de la future unification; doit contribuer à l'instauration de la compréhension réciproque entre les forces eurasiennes orientées dans le sens continental. Nous devons travailler au niveau des régions tout en pensant au continent.
Il y a des aspects positifs dans l'unification allemande, en ce qu'elle constitue l'amorce du dialogue eurasiatique. L'alliance étroite entre la Russie et l'Allemagne est gage de paix pour le continent eurasien. Toute la question est de savoir si l'URSS d'hier pourra passer sans heurts à la création d'un nouveau bloc continental eurasiatique. Il me semble, hélas, que c'est impossible. Apparemment, nous devrons passer par une période transitoire de chaos: d'abord la désintégration du bloc des pays de l'ex-Pacte de Varsovie; ensuite le chaos et la guerre civile dans les pays d'Europe orientale; enfin, la désintégration de l'URSS et même, peut-être, de la Russie. Tous ces processus —et particulièrement la désintégration de la Russie— sont des phénomènes purement négatifs mais qui, malheureusement, sont presque inévitables.
R. STEUCKERS: Toutes les guerres eurasiennes de ces derniers siècles n'ont amené que des résultats négatifs; pensons à la guerre russo-suédoise au temps de Charles XII, à Napoléon, à Hitler, etc. Chaque guerre eurasiatique, gagnée ou perdue, a mené uniquement à l'exarcerbation des problèmes géopolitiques, sociaux, nationaux et économiques et nullement à leur résolution. Chaque guerre menée entre les pays de l'Est et de l'Ouest, chaque conflit se développant le long de cet axe est contre nature et enfreint les liens géopolitiques et géo-économiques organiques toujours plus solides et profonds le long des latitudes et se relâchant au contraire le long des longitudes du globe terrestre. Selon une loi déterminée, non encore comprise dans son entièreté, les pays du Nord se sont toujours distingués, dans l'histoire médiévale et contemporaine, par un niveau plus élevé de développement économique ou par un sens plus aigu du politique, face à leurs adversaires en décadence; raison pour laquelle tous les conflits qui les opposent tendent inévitablement vers une crise planétaire globale. Le Nord, plus riche, peut et doit livrer sa production excédentaire au Sud plus pauvre. C'est notamment du Nord vers le Sud que doit passer l'expansion culturelle positive, qui ne signifie nullement un impérialisme exploiteur. Presque toujours dans l'histoire, lorsque l'influence culturelle et économique s'est propagée du Nord au Sud (du Japon en Chine; de la Russie à l'Asie Centrale au XIXième siècle, etc.), nous avons obtenu un résultat harmonieux et naturel. Les expansions le long de l'axe Est-Ouest, au contraire, ont mené systématiquement à la destruction de tout équilibre et à la catastrophe.
Il faut d'ailleurs souligner que l'expansion de la Russie à travers le continent asiatique a été une expansion pleinement harmonieuse et naturelle; en effet, à partir du XVIIième siècle, les Russes, descendants directs des peuples indo-européens jadis répartis dans l'actuelle Ukraine et dans la partie occidentale de la steppe centre-asiatique, ont suivi la même voie que leurs ancêtres scythes et iraniens qui ont créé l'empire perse et la civilisation védique en Inde dans la plus haute antiquité. C'est de ce point de vue d'ailleurs, que la Russie peut, aujourd'hui, se considérer comme la puissance politique qui est l'héritière directe de ces conquérants indo-européens. En Europe occidentale, l'Empire romain a commencé son expansion méditerranéenne contre Carthage, dirigeant ses énergies vers le Sud, vers l'Afrique du Nord, grenier à blé. Ce mouvement était organique et harmonieux; quand Rome s'est retournée contre son réservoir de population celtique et germanique, contre la Gaule et la Germanie, son déclin a commencé.
A partir de ses lois géopolitiques et historiques, nous pouvons comprendre à quel point est dangereuse l'intrusion militaire, culturelle et économique de l'Amérique en Europe et en Asie: cette intrusion contredit en effet la logique naturelle Nord-Sud et représente une ingérence catastrophique, génératrice de crises, le long de l'axe Est-Ouest. L'ingérence américaine, nouveauté du XXième siècle, est source de déséquilibre constant sur le continent eurasien; cette expansion va de paire avec des conflits entre Etats eurasiatiques littoraux et insulaires, d'une part, et Etats centre-continentaux (Allemagne/Grande-Bretagne; Russie/Angleterre en Asie centrale et en Afghanistan; Chine/Japon; etc.). L'Amérique, imitant l'exemple de l'Angleterre, vise toujours à provoquer des conflits sur les franges littorales du grand continent. En Extrême-Orient, c'est la politique d'attiser les conflits entre la Chine et le Japon, la Corée du Nord et la Corée du Sud, le Vietnam du Nord et le Vietnam du Sud. En Europe, c'est l'opposition entre Etats occidentaux littoraux ou insulaires (France et Grande-Bretagne) et Etats centraux ou orientaux "continentaux" (Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie). La stratégie de l'américanisme consiste à conquérir (particulièrement sur les plans culturel et économique) les Etats littoraux, tant sur la façade atlantique que sur la façade pacifique. Cette politique enfreint directement la logique naturelle du développement le long d'axes nord-sud et fait obstacle au renforcement des liens continentaux eurasiens. Notons, par ailleurs, que dans le cadre de leur propre hémisphère occidental insulaire, les Etats-Unis utilisent admirablement la logique Nord-Sud, en unifiant selon leurs propres critères géo-économiques le Canada, les Etats-Unis (puissance dominante dans le jeu) et le Mexique. C'est la logique panaméricaine.
A. DOUGUINE: Comment vous apparaît, Monsieur Steuckers, l'alliance stratégique et militaire des puissances eurasiatiques?
R. STEUCKERS: Elle est nécessaire. Nous devons mettre à l'avant-plan, aujourd'hui, la conception qui s'est développée au XVIIIième siècle sous le nom de Jus publicum europaeum en l'appliquant à l'ensemble du continent eurasien. Quoiqu'il soit encore trop tôt pour parler de la réalisation d'un tel bloc continental stratégique unifié, nous sommes néanmoins tout simplement obligés de présenter et de développer cette notion. Nous devons sans cesse insister sur le fait que tout conflit intra-continental, représentera une défaite notoire pour toutes les parties belligérantes aux niveaux économique, politique et social, sans même parler des pertes humaines et morales. Chaque guerre entre puissances eurasiennes porte en germe une défaite complète pour toutes les parties engagées. Dans un certain sens, nous sommes condamnés à l'alliance continentale, de même que nous sommes condamnés, sur le plan géopolitique, à voir dans les Etats-Unis l'ennemi commun, menaçant à tous points de vue l'harmonie du continent eurasiatique et contrecarrant l'orientation naturelle de ses expansions culturelles et économiques. Car tant que l'américanisme, qui ouvre des conflictualités Est-Ouest, exercera sa pression sur l'Europe, nous vivrons toujours dans l'attente d'un nouveau conflit intra-continental, d'une nouvelle guerre eurasiatique qui, le cas échéant, pourra se terminer par une catastrophe globale qui précipitera la planète dans le déclin et la misère.
De la part de la revue Dyenn, je remercie tous les participants et j'espère que nous nous rencontrerons plus souvent dans l'avenir car notre journal consacrera bientôt, régulièrement, plusieurs pages à l'idée eurasiste.
(nous remercions Alexandre Douguine et Sepp Staelmans de nous avoir communiqué une version française du texte russe de cette table ronde, publiée dans Dyenn, n°2/1992).
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mercredi, 17 juin 2009
Sobre a Igualdade
Sobre a Igualdade
Robert Steuckers, numa entrevista de Maio de 1998, sobre o igualitarismo e a posição da Nova Direita francesa face ao tema
Que diferença entre Nietzsche e Marx quando nos colocamos no ponto de vista do igualitarismo moderno? Para Marx a injustiça provoca a desigualdade, para Alain de Benoist, neste sentido pós-nietzschiano, a injustiça instaura-se precisamente porque vivemos numa era igualitária.
(Robert Steuckers) – A sua questão inscreve-se numa problemática de ordem semântica. Você procura ver clareza na manipulação em todos os sentidos das “grandes palavras” do debate político-social: justiça, liberdade, igualdade, etc., todas estão desvalorizadas pelos “discursos gastos” da política politiqueira. Tentemos clarificar esse debate.
1)Para Marx, efectivamente, a injustiça social, a não redistribuição harmoniosa dos rendimentos sociais, a concentração de capitais em muito poucas mãos provocam uma desigualdade entre os homens. É preciso, portanto, redistribuir justamente, para que os homens sejam iguais. Serão iguais quando não mais forem vítimas de qualquer injustiça de ordem material (baixos salários, exploração do trabalho humano, incluindo crianças, etc.).
2)Para a tradição dita “inigualitária” da qual se afirmou Benoist no início da sua carreira “metapolítica”, a injustiça é que os indivíduos excepcionais ou sobredotados não recebam tudo o que lhes é devido numa sociedade que visa a igualdade. Neste sentido, “igualdade” significa “indiferenciação”. Esta equação é sem dúvida plausível na maioria dos casos, mas não o é sempre. Alain de Benoist teme sobretudo o nivelamento (por baixo).
Estas opiniões desenvolvem-se ao nível da vulgata, da doxografia militante. Para aprofundar o debate é preciso recapitular todo o pensamento de Rosseau, o seu impacto sobre o socialismo nascente, sobre o marxismo e sobre as múltiplas manifestações da esquerda contestatária.
De qualquer modo, no debate actual, convém sublinhar o que se segue:
a)Uma sociedade equilibrada, consensual, harmoniosa, conforme a uma tradição, cria a partir dela mesma a justiça social, gera-a espontaneamente, ela é atravessada por uma lógica de partilha (dos riscos e dos bens) e, parcialmente, de doação. Ela evita as clivagens geradoras de guerras civis, e portanto as desigualdades demasiado gritantes em matérias económicas. A Roma antiga dá-nos bons exemplos na matéria, e não somente no caso das reformas dos Gracos (às quais se referem os marxistas). Os excessos de riqueza, as acumulações muito flagrantes, as especulações mais escandalosas, a usura, eram reprimidas por multas consideráveis e reinvestidas nas festividades da cidade. As pessoas divertiam-se à posteriori com o dinheiro injustamente ou exageradamente acumulado. As multas, aplicadas pelos edis curuis, taxavam aqueles que transgrediam contra a frugalidade paradigmática dos romanos e beneficiavam o povo. A acumulação exagerada de terras aráveis ou de pasto eram igualmente objecto de multa (multo ou mulcto).
b)A prática da justiça está, portanto, ligada à estrutura gentílica e/ou comunitária de uma sociedade.
c)Uma estrutura comunitária admite as diferenças entre os seus cidadãos mas condena os excessos (hybris, arrogância, avarice). Esta condenação é sobretudo moral mas pode revestir-se de um carácter repressivo e coercivo através das autoridades públicas (a multa reclamada pelos edis da Roma antiga).
d)Numa estrutura comunitária há uma espécie de igualdade entre os pares. Mesmo se certos pares têm direitos particulares ou complementares ligados à função que ocupam momentaneamente. É a função que dá direitos complementares. Não há traço de inigualdade ontológica. Ao invés, há inigualdade das funções sociais.
e)Uma estrutura comunitária desenvolve simultaneamente uma igualdade e inigualdades naturais (espontâneas) mas não procura criar uma igualdade artificial.
f)A questão da justiça regressou à discussão no pensamento político americano e ocidental com o livro de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). O liberalismo ideológico e económico gerou no pensamento e na prática social ocidental um relativismo cultural e uma anomia. Com este relativismo e esta anomia os valores que cimentam a sociedade desaparecem. Sem estes valores, deixa de haver justiça social, já que o outro deixa de ser considerado como portador de valores que também partilho ou outros valores que considero eminentemente respeitáveis, ou deixa de haver valores credíveis que me constrinjam a respeitar a dignidade de outrem. Mas no contexto de uma tal perda de valores deixa também de haver comunidade coerente. A esquerda americana, que se entusiasmou com o livro de Rawls, quis, numa segunda vaga, restaurar a justiça reconstituindo os valores que cimentam as comunidades naturais que compõem os Estados e as sociedades políticas. Reconstituir estes valores implica forçosamente uma guinada à “direita”, não uma direita militar ou autoritária, mas uma direita conservadora dos modelos tradicionais, orgânicos e simbióticos da vida-em-comum (a “merry old England”, a alegria francesa, a liberdade germânica nos cantões suíços, etc.)
g)A contradição maior da Nova Direita francesa é a seguinte: ter sobrevalorizado as inigualdades sem sonhar em analisar seriamente o modelo romano (matriz de muitos delineamentos do nosso pensamento político), ter sobrevalorizado as diferenças até ao ponto de, por vezes, aceitar a hybris, ter simultaneamente cantando as virtudes da comunidade (no sentido definido por Tönnies) ao mesmo tempo que continuava a desenvolver um discurso inigualitário e falsamente elitista, não ter compreendido que estas comunidades postulavam uma igualdade de pares, ter confundido, ou não ter distinguido correctamente, essa igualdade de pares e a igualdade-niveladora, ter desenvolvido teses críticas sobre a igualdade sem ter levado em conta a “fraternidade”, etc. Daí a oscilação de De Benoist relativamente ao pensamento de Rousseau, rejeição completa no início da sua carreira, adesão entusiasta a partir dos anos 80 (cf. intervenção no colóquio do G.R.E.C.E. de 1988). Com a abertura do pensamento comunitário americano (cf. Vouloir n°7/NS e Krisis n°16), que se refere à noção de justiça teorizada por Rawls, a primeira teoria neo-direitista sobre a igualdade despedaça-se e é abandonada pela nova geração do G.R.E.C.E.
h)A igualdade militante, leitmotiv que estruturou o passo de todos os pensamentos políticos dominantes na França (NdT: e na Europa), é uma igualdade que visa o nivelamento, o controlo das mentalidades e dos corpos (Foucault: “vigiar e punir”), a redefinição do território, que se desenrola de forma sistemática para transformar a diversidade fervilhante da sociedade civil numa “cidade geométrica” (Gusdorf). Numa acção dessas as comunidades e as personalidades são disciplinadas, são-lhes impostas interdições de exprimirem a sua espontaneidade, a sua especificidade, o seu génio criativo. A vontade de restaurar essa espontaneidade, essa especificidade e esse génio criativo passa por uma recusa dos métodos de nivelamento igualitarista sem, contudo, impedir que se pense a igualdade em termos da igualdade de pares e de “phratries” comunitárias, bem como de pensar a “fraternidade” em sentido geral (terceiro termo da tríade revolucionária francesa, mas abandonado em quase todas as práticas políticas pós-revolucionárias). A Nova Direita francesa (contrariamente às suas congéneres alemã e italiana) geriu mal esta contradição entre a primeira fase da sua mensagem (obsessivamente anti-igualitarista) e a segunda fase (neo-rousseauniana, pela democracia orgânica, comunitária, interessada pela teroria da justiça em Rawls). O resultado é que continua a ser sempre vista como obsessivamente anti-igualitarista nas fontes historiográficas mais correntes, quando na realidade desenvolve um discurso muito diferente desde há cerca de uma dúzia de anos, pela voz do próprio De Benoist e Charles Champetier.
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Orientations générales pour une histoire alternative de la pensée économique
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991
Orientations générales pour une histoire alternative de la
pensée économique
(extrait d'une leçon donnée à l'Université d'été du GRECE, août 1991)
par Robert STEUCKERS
L'approche contemporaine de l'histoire des pensées économiques s'oriente essentiellement, de nos jours:
1) sur le «contexte»; l'accent est mis sur les paramètres du temps et de l'espace; on ne pense plus l'économie de manière mondiale et universaliste mais, avant d'énoncer un théorème, on analyse son site et son époque, tout en ayant conscience que, de ce fait, ce théorème ne sera pas transposable dans un autre contexte.
2) sur une volonté de «fertilisation croisée»; on acquiert conscience que la vérité n'est plus concentrée dans un et un seul corpus doctrinal; au niveau de la théorie économique, on admet aujourd'hui une concurrence positive entre les théories et les doctrines.
3) on accepte que derrière les «thèmes centraux», propres à toutes les pensées économiques, se profilent des idéologies, des valeurs, des intérêts, des psychologies et des conflits qui ne se laissent pas réduire à un simple calcul utilitaire.
4) le gros problème que doit affronter aujourd'hui la pensée économique, c'est la disparition du marxisme. Habitués à raisonner en termes de «capitalisme» et de «socialisme» (marxiste), nous entrevoyions bien la possibilité de fonder des pratiques tierces, inspirées de modèles divers, en marge des idéologies économiques dominantes. Aujourd'hui, ces pratiques ne sont forcément plus tierces mais alternatives, puisque nous n'avons plus un «marxisme» (sinon à Cuba ou en Chine, c'est-à-dire en dehors de l'œkoumène idéologique européocentré, Japon compris), mais un conflit entre une idéologie dominante, qui est le libéralisme flanqué d'alliés qui tendent plus ou moins vers le libéralisme, et une volonté de rupture, qui est hérésie, hétérodoxie.
Pour amorcer notre travail de généalogie des pensées économiques, disons, pour simplifier au seuil de notre exposé, que les orthodoxies, dont le libéralisme actuellement dominant, partent de présupposés philosophiques d'inspiration mécaniciste et sont portés par une démarche monologique. Les hétérodoxies, quant à elles, reposent sur des présupposés philosophiques organiques, qui induisent des faisceaux de démarches plurilogiques. En distinguant entre «orthodoxies» et «hétérodoxies», nous suivons une classification didactique devenue courante dans l'espace linguistique francophone (1). Par «orthodoxies», nous entendons le libéralisme classique, tant dans ses orientations utilitaires que dans ses orientations moralisantes, le marxisme et la tentative de synthèse keynésienne. Par «hétérodoxies», nous entendons toutes les théories et doctrines qui font appel à l'histoire, aux faits historiques, à la sphère du politique, aux institutions ou aux structures mentales, et englobent ces paramètres dans leurs raisonnements. Par cet appel à l'histoire et aux spécificités non économiques des sociétés, ces hétérodoxies ne s'accrochent plus exclusivement à la seule logique marchande, utilitaire et mathématisée (mathématisée par une mathématique qui n'inclut pas assez de facteurs de variation; loin de nous l'idée de vouloir exclure toute mathématique du discours économique!).
1. La théorie libérale/classique:
Pour comprendre le fonctionnement et les insuffisances de la théorie libérale classique, la première des orthodoxies, nous devons comprendre le contexte idéologique dans lequel elle a vu le jour. Ce contexte est celui du XVIIIième siècle, où domine l'idéologie rationaliste. Ce n'est évidemment pas la rationalité en soi qui fait problème; il nous apparaît spécieux d'opposer, comme l'a fait Lukacs (2), le «rationalisme» à l'«irrationalisme», où, pour prendre le contrepied des affirmations marxisantes et rationalistes de Lukacs, nous nous affirmerions «militants irrationalistes». Ce qui pose problème, c'est le mécanicisme de ce rationalisme du XVIIIième siècle. Est seul «rationnel», dans cette optique, ce qui est mécanique, explicable par la mécanique. C'est une démarche intellectuelle illustrable par la «métaphore de l'horloge» (3). Pour le rationalisme du XVIIIième siècle, le monde, l'Etat, la société sont comparables à des systèmes d'horlogerie, entretenu par un horloger bienveillant, le monarque éclairé, qui fera bientôt place à un gouvernement républicain, du moins en France. Or, si l'on perçoit le monde et la sphère politique comme une horloge, cela implique qu'il y a «faisabilité totale» de toute chose; on peut fabriquer, déconstruire et refabriquer un Etat comme on fabrique, déconstruit et refabrique une horloge. On peut remplacer à loisir les rouages, les engrenages et les ressorts qui sont défectueux. La volonté politique ne réside pas au sein du «corps social», de la Nation, mais leur est extérieure. La volonté du monarque, détaché du corps social, de la Nation, peut intervenir à tout moment, démonter les éléments constitutifs de ce corps, arrêter son mouvement puis le réenclencher à sa guise. Ce qui signifie que le temps de l'horloge est mort; ou plutôt inexistant, ou encore, impulsé de l'extérieur, sans qu'il ne soit tenu aucun compte des forces générées par l'intériorité d'un corps social. La «métaphore de l'horloge», et celle de l'horloger, reposent, a fortiori, sur une prétention de connaître tous les paramètres de l'univers. Comme on les connaît tous, on est forcément optimiste. Les paramètres qui sont là aujourd'hui seront là demain. Immuablement. Ici réside évidemment la faiblesse de cette démarche et de cette métaphore; le pessimisme est supérieur, puisqu'il sait d'emblée qu'il est impossible de connaître tous les paramètres de l'univers. Pour le pessimiste/réaliste, toute action implique de ce fait un risque, celui de voir surgir inopinément un paramètre jusqu'alors ignoré. Le pessimiste prévoit les aléas, tient compte du tragique et mène son action en sachant que les illusions ne paient pas.
La métaphore de l'arbre
La pensée européenne, surtout en Allemagne et dans les pays slaves, constatera assez rapidement les limites du mécanicisme «horloger». La pensée romantique, explorée par Georges Gusdorf (4), certaines intuitions de Kant (que Konrad Lorenz fera fructifier), le Goethe de la Farbenlehre, le poète et philosophe anglais Coleridge, etc. ont opposé, explicitement ou implicitement, la «métaphore de l'arbre» à la «métaphore de l'horloge». L'arbre n'est pas fabriqué mais naît au départ d'une infinité de facteurs qu'il est impossible de comptabiliser, de reconstituer dans son ensemble. La «métaphore de l'arbre» exclut dès lors la faisabilité mécanique. On ne remplace pas des feuilles, des morceaux d'écorce, des branches comme on remplace des rouages, des ressorts, etc. L'arrachage est toujours blessure. La volonté de croissance de l'arbre est intérieure à lui-même et diffusée dans tout son corps. Idem pour l'animal, l'homme, la communauté, le peuple (le Volk, je ne dis pas la «nation»). Toute intervention implique un risque, à l'instar d'une intervention chirurgicale; on ne peut pas dévisser une tête puis la revisser aussitôt; on ne peut pas désosser un individu puis refabriquer son squelette. Le temps de la «métaphore de l'arbre» est dynamique, soumis aux aléas, vivant; il existe concrètement. Ce temps n'est pas impulsé de l'extérieur mais généré de l'intérieur. Il échappe à toute quantification sommaire. Comme il y a une infinité de facteurs qui participent à la naissance de l'arbre ou de l'animal, il y a, ipso facto, impossibilité de connaître tous les paramètres de l'univers. Donc, il y a omniprésence du risque, des aléas; il y a à la fois fragilité et solidité organiques du corps social ou national. Fragilité et solidité qui demandent une attention constante, qui demandent la patience du jardinier.
Conclusion: l'optimisme mécaniciste conduit à la pensée utopique; le pessimisme organique, est ouverture aux innombrables paramètres qui composent l'univers. L'optimisme mécaniciste, malgré ses déficiences, parvient, par son simplisme intrinsèque, à répandre dans le corps social des idéologies ou des théories économiques facilement instrumentalisables, démontrables, illustrables. Le pessimisme organique, reposant sur une épistémologie complexe, tenant compte d'une infinité de paramètres, est difficilement instrumentalisable. La multitude des paramètres oblige à les démontrer en détails, à repérer leurs compositions.
Résultat politique: les idéologies à fondements mécanicistes obtiennent aisément la victoire sur le terrain, jusqu'à l'absurde comme le montre la chute du communisme soviétique. Aux Etats-Unis, le désastre de l'enseignement et de tous les autres secteurs non-marchands entraînera à moyen ou long terme une fragilisation de l'économie elle-même; les Etats-Unis ne tiennent que parce qu'ils importent des cerveaux européens ou asiatiques.
Locke, Mandeville, Smith
Revenons à la théorie libérale/classique proprement dite. Examinons deux des inspirateurs de son père fondateur, Adam Smith: John Locke (1632-1704) et Bernard de Mandeville (1670-1733). John Locke préfigure le libéralisme dans la mesure où il opère une distinction entre «société civile» et «sphère politique» ou «raison d'Etat». Cette séparation, prélude au réductionnisme majeur qui sévira en économie, détache celle-ci de l'histoire, de la mémoire du peuple, des institutions qui cristallisent des réflexes légués par cette mémoire. Mandeville, lui, théorise l'individu égoïste, non moral. L'égoïste est supérieur à l'homme moral car, démontre Mandeville, le lucre génère la richesse tandis que la vertu fait péricliter l'économie. Mandeville n'attribue à aucune part du corps social une «subjectivité saine». Son système ne prévoit aucun recours à la mémoire, aucune gestion méticuleuse du patrimoine. Nous sommes en face d'un présentisme pur, qui vaut pour la vertu comme pour le lucre.
Ces deux théoriciens, qui comptent parmi les pères fondateurs de l'idéologie occidentale, jettent les bases d'une méthode qu'avec les tenants de l'«école historique», nous rejettons. Cette méthode fait problème parce qu'elle est abstraite: elle fait abstraction des paramètres de la mémoire, qui s'est cristallisée dans les institutions politiques. Cette méthode fait également problème parce qu'elle est strictement déductiviste. Dans l'œuvre d'un Mandeville, par exemple, les faits sont sollicités pour illustrer les théories et non l'inverse. S'ils sont sollicités a posteriori, c'est que le théoricien opère une sélection de faits. Et que les faits qu'il sélectionne de la sorte ne sont pas tous les faits. Conséquences: de telles théories ne procèdent pas de l'observation de la multiplicité des faits (Malthus sera le premier à tenir compte des statistiques); si ces théories ne reposent que sur des sélections de faits, elles ignorent subséquemment tous les faits qui pourraient les contredire ou bousculer leur harmonie. Refusant de tels aléas, elles sont donc statiques, se prétendent «équilibrées», par le truchement de la «main invisible», et posent les lois économiques comme éternelles.
Adam Smith, père fondateur du libéralisme proprement dit, célèbre pour son ouvrage De la richesse des nations, pense un homme rationnel. Mais agi par quelle rationalité? Une rationalité calculante. Qui calcule quoi? L'équilibre entre les instincts égoïstes (qui dominent dans la sphère économique) et les instincts altruistes (qui dominent dans la sphère sociale). Ces instincts s'opposent dans l'esprit même de l'individu. Celui-ci calcule pour équilibrer ses pulsions égoïstes et ses pulsions altruistes, afin d'en tirer le meilleur profit. Ce calcul intéressé conduit à l'harmonie sociale par une sorte de régulation spontanée. Toute une pensée économique naîtra de cette anthropologie outrancièrement simpliste. La paresse intellectuelle empêchera économistes et idéologues libéraux de rechercher une anthropologie plus élaborée, laissant une plus large part aux pulsions non calculantes, à l'irrationalité, aux réflexes historiquement déterminés. Le libéralisme d'inspiration smithienne privilégie l'offre et néglige la demande précisément parce que celle-ci repose souvent sur des mobiles autres que la stricte rationalité calculante (c'est le reproche qu'adresseront au libéralisme pur et au marxisme des hommes comme Keynes ou Henri De Man). Autre erreur qui prend sa source dans l'œuvre de Smith: la division du travail; chaque nation doit se spécialiser pour obtenir une productivité supérieure. Smith transpose ainsi la spécialisation individuelle dans la sphère communautaire/nationale. Résultat: ruine des cultures vivrières, notamment, aujourd'hui, dans le tiers-monde (Brésil, etc.); dépendance alimentaire accrue des nations européennes et nécessité de la dispersion coloniale.
David Ricardo,
logicien de l'économie
David Ricardo (1772-1823), fils de banquier londonien, a été, dès son plus jeune âge, un redoutable financier qui fit fortune à partir de ses 18 ans. L'école historique/réaliste jugera sévèrement son œuvre, lui reprochant de s'égarer dans l'abstraction, dans le calcul de la rente découlant de la valeur-travail. Le marxisme reprendra sa définition de la valeur-travail. Mais Ricardo fait avancer la théorie économique: il la sort de l'impasse où l'avaient fourvoyée les spéculations post-smithiennes sur l'individu calculateur. Ricardo sort de l'économie réduite à l'offre: il ne s'interroge plus seulement sur la production des richesses mais sur leur répartition. Rompant implicitement avec l'abstractionnisme libéral, Ricardo analyse la structure de la société de son époque. Il constate qu'elle est divisée en trois catégories de personnes:
1) Les propriétaires qui vivent de la rente foncière;
2) Les capitalistes industriels qui tirent profit de leur industrie;
3) Les ouvriers qui vivent de leurs salaires.
Cette tripartition est le propre de la société industrielle naissante; ces personnages-types, ces prototypes, s'agitent comme des marionnettes sur un théâtre «où les aspects protéens du monde réel ont été réduits à une sorte de caricature unidimensionnelle; c'est un monde totalement dépouillé, si ce n'est de motivations économiques» (5). Les ouvriers, dit Ricardo, ont pour seule préoccupation les «délices domestiques», ce qui fait que lorsque les salaires augmentent, ils procréent à outrance et provoquent un accroissement démographique qui, à son tour, provoque la misère (en disant cela, Ricardo admet implicitement que le calcul n'est pas le seul mobile humain; la pulsion sexuelle et procréatrice en est une autre). Les capitalistes sont des «machines économiques» avides d'auto-expansion. Chez eux, les seuls mobiles sont économiques. Mais leur position est menacée par les inventeurs qui, par leurs inventions, défient le processus d'accumulation, que l'on souhaiterait constant. Les propriétaires sont les seuls bénéficiaires de l'organisation sociale; en effet, leurs revenus ne baissent pas lorsqu'il y a accroissement démographique donc diminution des salaires; ils ne baissent pas davantage face à la concurrence et ne sont pas menacés par les innovations techniques. Conclusion: la terre est la seule richesse. Problème: la terre se voit relativisée à son tour quand les colons défrichent le continent nord-américain et y fondent des fermes et quand la chimie invente de nouveaux engrais.
Après Ricardo et son analyse de la société, le principal problème de l'économie, c'est, désormais, de déterminer les lois qui règlent le problème de la distribution, afin d'enrayer les famines dues à l'augmentation des salaires et de la population. Une distribution suppose des proportions donc des luttes entre catégories sociales inégales pour s'attribuer la plus large proportion possible des richesses nationales. Ricardo ouvre ainsi la problématique du socialisme. Car la répartition ne relève plus des «lois naturelles» spontanées, issues de l'action bienfaisante de la «main invisible», mais de la volonté d'organisation, des institutions, donc de la volonté politique. Seule différence entre Ricardo et les socialistes: Ricardo n'invoque pas la justice, idée non utilitaire ne procédant pas d'un calcul. Les socialistes le feront dans son sillage quelques années plus tard.
Avec l'œuvre de Ricardo, nous sortons du réductionnisme anti-sociologique. Plus possible désormais d'évacuer la lutte, le conflit, générateur d'innovations; après Ricardo, nous n'avons plus de monde harmonieux; la société n'est plus une ruche immuable comme l'avait imaginé Mandeville.
Que conclure de l'œuvre de Ricardo? Ses spéculations sur la distribution du blé au sein de la population (Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits, 1815) ramènent l'économie à des dimensions réelles; son pessimisme, quant à l'évolution démographique ascendante, montre qu'il raisonne en termes de risque. Il réintroduit l'aléa. Seul point qui fait que Ricardo n'est pas un «hétérodoxe» au plein sens du terme: il a voulu trouver une valeur invariable, une marchandise-étalon, l'or. Sa pensée est néanmoins mobilisée par les écoles hétérodoxes contemporaines, notamment grâce aux ouvrages du «néo-ricardien» Piero Sraffa (1898-1983), qui s'est attaché à mettre en exergue les ferments hétérodoxes de sa pensée.
(XXXXXXXXX: dire que nous avons parlé de J.S.Mill, de l'utilitarisme, de Peter Ulrich (12M)).
2. Critique de
la notion d'équilibre
Formalisée par Walras et Pareto, la notion d'équilibre, que l'on retrouve dans toutes les théories orthodoxes, mérite d'être critiquée, essentiellement parce qu'elle participe de cette volonté d'abstraction que nous avions déjà repérée chez Locke, Mandeville et Smith. Pourquoi? Parce qu'en dépit d'une certaine nécessité formelle, la science économique, pas plus que toute autre science, ne peut ignorer les fins (notamment les fins politiques) et les valeurs supérieures (religieuses ou métaphysiques); fins et valeurs qui transcendent, bien évidemment, le calcul ou le paradigme d'utilité. L'équilibre, chez Walras, était certes une situation perçue comme purement idéelle et non réelle, mais, à sa suite, des simplificateurs ont eu tendance à vouloir pérenniser l'idéal, à croire qu'il était possible à jamais. Les raisonnements qui se sont habitués à vouloir un équilibre ont tous été désarmés quand il y a eu irruption de nouveauté. Dans la pratique politique, une telle candeur peut être dangereuse. Pareto, pour sa part, parlait d'«optimum général». Mais sa sociologie démentait ce fixisme en étudiant l'irrationnel, les mobiles autres que rationnels, qu'il appelait «dérivations» ou «résidus» (6), l'ascension des élites qui innovaient et la chute de celles qui stagnaient.
Cette évolution de la pensée économique, que l'on perçoit entre Walras et son élève Pareto, nous indique quel principe doit nous guider. Celui d'un rejet constant des raisonnements en termes d'équilibre, au profit d'approches dynamiques. «Dans tous les domaines, aux équilibres smithiens (keynésiens ou soviétiques), se substitue peu à peu une relecture de l'économie où prédominent les affrontements, les déséquilibres de situations, les stratégies. Il n'y a plus de "mains invisibles" mais l'action de pouvoirs concrètement situés» (7). Tout en sachant qu'il y a également en permanence un choc entre divers niveaux de rationalité, à la formalisation mathématique (dont nous ne nions pas la nécessité), à la méthodologie individualiste, à la réduction a-tragique, nous privilégions les méthodes historiques, organiques, contextualisées. Cette querelle de méthode, le XIXième siècle l'avait déjà connue, avec, d'une part, l'école historique allemande, et, d'autre part, l'école de Vienne, rénovatrice de la méthodologie individualiste.
L'Ecole historique allemande
et l'Ecole de Vienne
Un ouvrage français d'introduction à l'histoire des pensées économiques (8) résume les grandes lignes de ces deux écoles comme suit: «L'école historique allemande refuse l'individualisme méthodologique. Schmoller refuse de fonder l'analyse économique sur l'individu et son calcul; au contraire, il développe l'idée d'une économie inscrite dans l'histoire des peuples. Plus généralement, son courant développe une approche globalisante de l'économie. Pour Schmoller, il faut décrire, classer, distinguer les régimes économiques. Chaque moment de l'histoire est unique et forge des institutions qui régulent un type donné de croissance. La prise en compte des institutions, la nécessité de tempérer la concurrence par une intervention de l'Etat marquent la pensée allemande... Ainsi, le garantisme social de Sismondi trouve un écho dans une Prusse où Bismarck met en place une forme de protection sociale. Un Etat fort intègre la classe ouvrière par une assistance qui la détourne de la révolte et de la révolution... Pour Wagner (1835-1917), le capitalisme mixte est une solution de compromis entre le capitalisme concurrentiel et le socialisme».
Quant à l'Ecole de Vienne, le même ouvrage en résume l'esprit par ces quelques lignes: «Face à cette économie nationaliste, l'école autrichienne élabore une représentation ultra-individualiste de l'économie. Le désir guide les comportements; le calcul individuel des plaisirs et des peines permet à chacun d'agir sans besoin de contrôle; les décisions micro-économiques régulent spontanément la société; l'économie résulte de l'interaction d'une multitude d'individus. Ainsi, les Viennois s'opposent au déterminisme historique des Allemands et réfutent le globalisme de leurs analyses; ils nient le besoin d'institutions qui garantissent le bonheur des individus car les particuliers savent mieux que les gouvernants ce qui est bon pour eux!».
3. L'Ecole historique allemande
Comment définir l'école historique allemande? On pourrait la définir comme «globaliste», parce qu'elle tient compte de tous les aspects de la vie, et comme «institutionaliste», parce qu'elle inscrit toujours ses raisonnements dans un cadre collectif, communautaire, les soustrayant ipso facto à l'emprise délétère de la méthodologie individualiste «orthodoxe». Cette école historique a pris son envol en 1843, au moment où l'économiste Wilhelm Roscher publie un Grundriß (un «Précis»), critiquant à fond les présupposés du libéralisme orthodoxe. Celui-ci avait considérablement perdu de sa crédibilité car ses théories les plus élaborées, celles de Ricardo et de J.B. Say, étaient en phase de rigidification. La paresse intellectuelle, défaut bien humain, avait conduit à répéter sans les adapter les arguments des deux économistes du début de la révolution industrielle. Tous deux avaient été pertinents en bien des domaines, nous l'avons vu en brossant sommairement les grandes lignes de l'œuvre de Ricardo. Mais les argumentaires déviés de leurs travaux par des disciples ou de pâles imitateurs étaient devenus insuffisants au fil des temps. La pensée ricardienne s'était considérablement anémiée, si bien qu'on ne pouvait que constater, chez ses tenants, le divorce entre la théorie économique et la réalité concrète.
Devant ce divorce, il y avait deux solutions: 1) ou bien l'on reconstruisait une théorie reflétant exactement l'état des choses existant, mais, au bout de quelques années, cette théorie deviendrait évidemment caduque. Ce travail de reconstruction, Menger (dans le sillage de l'Ecole de Vienne), Jevons, Walras et Pareto s'y emploieront. 2) Ou bien l'on développait une méthode consistant à prendre à tout moment le pouls du contexte (Sismondi en avait perçu, avant tous les autres, la nécessité). Prendre le pouls du contexte signifiait connaître l'histoire de ce contexte, donc adopter une méthode historique. Friedrich List, tout en demeurant encore dans le cadre théorique du libéralisme orthodoxe, avait souligné deux notions essentielles: a) la nationalité du contexte qui montrait que celui-ci était le fruit d'une évolution particulière; b) le relativisme, qui tendait à démontrer qu'il n'y avait pas de lois valables en tous temps et en tous lieux. Les Saint-Simoniens, contemporains de Sismondi et de List avaient, pour leur part, constaté l'impossibilité d'isoler les phénomènes économiques des institutions sociales et juridiques. L'école historique tirera les leçons de ces observations éparses, en induisant une approche plus globale, tenant compte non seulement des institutions et des lois mais aussi des fins, des sens impulsés par les nationalités, leurs aspirations, leurs religions, leurs valeurs, leurs traditions culturelles et philosophiques, leurs Weltanschauungen.
Wilhelm Roscher et son Grundriß
Dans son Grundriß, publié en 1843, Wilhelm Roscher tente de donner des impulsions nouvelles à la science économique. Quatre groupes d'idées motrices dominent son travail.
1. La science économique doit tenir compte de ce que les peuples veulent et sentent. Elle doit donc procéder à une herméneutique de la volonté populaire.
2. La science économique doit s'inspirer des travaux et des méthodes que Savigny a imposés en droit, c'est-à-dire des méthodes qui visent à rechercher l'origine organique des règles de droit, des institutions, etc. Méthodes qui s'opposaient aux bricolages des «rationalistes réformateurs» qui entendaient intervenir dans le droit, pour en modifier le contenu ou la portée, mais sans étudier son évolution ou son involution.
3. Roscher a juxtaposé deux méthodes; il est resté libéral, il n'a pas adhéré au socialisme naissant. Mais il a ajouté aux théories et aux pratiques du libéralisme une méthode complémentaire, la méthode généalogique/historique. En ce sens, son attitude est comparable à celle des Saint-Simoniens passés et actuels.
4. Roscher a rappelé l'importance de l'œuvre des caméralistes de l'Ancien Régime, dont la tâche était de former des administrateurs pour des administrations précises, inscrites dans des cadres précis. Le caméralisme n'avait pas de volonté critique; il pratiquait un mercantilisme à petite échelle, celle des petits Etats allemands d'avant Bismarck. L'interventionnisme de ce caméralisme qui a régi bon nombre de micro-Etats allemands explique la réticence de la pensée allemande face au libre-échangisme de tradition anglaise.
Les thèses de
Bruno Hildebrand et de Karl Knies
En 1848, paraît Die Nationalökonomie der Gegenwart und Zukunft, un livre de l'économiste Bruno Hildebrand, qui affine les arguments de Roscher. Plus radical, Hildebrand conteste l'existence même des lois économiques «naturelles», telles que les concevaient les classiques. Pour lui, il n'existe pas de lois naturelles mais des lois de développement, différentes pour chaque nation ou chaque société. Mais la précision de son travail ne va pas au-delà de cette affirmation. Karl Knies, en publiant en 1853 Die politische Ökonomie von Standpunkte des geschichtlichen Methode (= L'économie politique du point de vue de la méthode historique), déclare qu'il n'y a ni lois naturelles ni lois de développement et que l'économiste doit se borner à ne constater que des analogies dans les évolutions économiques des peuples. Knies, comme Hildebrand, laisse ses intuitions en jachère. La Jeune Ecole Historique reprendra le flambeau à partir de 1870.
Gustav Schmoller
et la Jeune Ecole Historique
Gustav Schmoller, figure de proue de cette Jeune Ecole, fonde véritablement la méthode historique et replonge l'économie politique dans l'étude des institutions et dans l'histoire économique. Son disciple anglais Cliffe Leslie résume son œuvre en trois points: a) l'induction doit primer la déduction en sciences économiques; b) le relativisme est une nécessité cardinale; c) les sciences économiques doivent nécessairement entretenir des rapports féconds avec les autres sciences. Sur le plan théorique mais non sur le plan pratique, les idées de Schmoller connaîtront un grand retentissement en Angleterre.
L'œuvre de Schmoller a une dimension critique et une dimension positive.
a. La dimension critique:
- Elle prend son envol immédiatement après la publication des thèses de Carl Menger, un économiste de l'Ecole de Vienne. La critique schmollerienne s'adresse à toutes les formes d'universalisme, à la psychologie rudimentaire des classiques qui fondent tout sur l'égoïsme individuel, au déductivisme très marqué de la tradition qui part de Locke pour aboutir à Adam Smith.
Pour Schmoller, l'universalisme est un «perpétualisme»; c'est une idéologie qui croit à la répétition infinie et perpétuelle de lois, soustraites à toutes les formes d'aléas et d'imprévus. Quant à la psychologie des classiques, elle est, pour Schmoller, déficitaire, dans le sens où l'égoïsme n'est évidemment pas le seul mobile qui pousse les hommes à agir sur le marché; il y en a une quantité d'autres: la vanité, le désir de gloire, l'action pour l'action, le sentiment du devoir, la pitié, la bienveillance, l'amour du prochain, la coutume, etc. A la monologique classique, fondée sur le seul mobile de l'égoïsme, Schmoller oppose une plurilogique complexe, enchevêtrée, qui ne permet plus d'énoncer des théories trop simples. Tous ces autres mobiles infléchissent et modifient l'égoïsme qui reste tout de même, dans la sphère économique, le mobile permanent, ou le plus permanent. Quand il prend une place disproportionnée dans la pratique économique, nous parlons, dans notre discours spécifique, d'économisme. Et il s'agit bien entendu d'une déviance dangereuse.
Nous avons vu que les méthodes classiques reposaient principalement sur la déduction. Schmoller entend privilégier la méthode d'induction, fondée sur l'observation des faits, sur une soumission à leur logique. La déduction, écrivait-il, détient une validité certaine, mais les héritiers des classiques, et parfois les classiques eux-mêmes, ont trop souvent affirmé des théories sur base de déductions boîteuses ou insuffisantes. Pour Schmoller, l'économiste doit employer à bon escient les deux méthodes pour cerner les constantes.
b. La dimension positive:
Dans l'opposition entre le mécanicisme, porté par un goût pour les simplifications outrancières, et l'organicisme, porté par la fascination pour les transformations incessantes de la réalité vivante, la vision historique/organique a) interpelle une masse énorme de phénomènes, non pris en compte par les classiques; b) se penche sur les luttes de tous ordres; c) s'avère utile pour appréhender la complexité du monde. Le caractère positif de cette démarche historique/organique, c'est d'accepter la protéenne mouvance des choses: chaque espace a eu une évolution historique différente, dont il faut repérer les étapes pour en expliquer l'état actuel. Ce travail de repérage est une nécessité pour le praticien dans le cadre de son Etat: il lui permet des prévisions plus justes.
Orthodoxies et hérétiques
Par rapport aux classiques, libéraux et rationalistes, et à partir de Sismondi, List, l'école historique et Schmoller, se développe une hérésie, une hétérodoxie, qui, disent les observateurs contemporains, culmine dans l'œuvre de Joseph Schumpeter (1883-1950). Les historiens français contemporains des pensées économiques classent les théories économiques en quatre catégories, dont trois sont «orthodoxes», représentent des «orthodoxies» et la dernière est considérée comme «hérétique» ou «hétérodoxe». Les trois catégories d'orthodoxies sont: 1) les classiques et les néo-classiques libéraux; 2) les marxistes; 3) les keynésiens, qui se situent à l'intersection des deux premières catégories. La quatrième catégorie, hétérodoxe, est constituée par les «hérétiques à la Schumpeter», dont les précurseurs seraient Sismondi et List, et les continuateurs Perroux et les régulationistes.
François Perroux, disciple de Schumpeter et auteur d'une étude détaillée sur sa pensée (9), énonce les cinq sources de la pensée schumpétérienne, fondatrice de la tradition hétérodoxe: «Schumpeter a tenté la synthèse du système de l'école autrichienne (c'est-à-dire celle qui tente de re-systématiser la pensée classique) et celui de l'Ecole de Lausanne (Walras, Pareto) d'une part, de ces deux systèmes abstraits et du système historique et sociologique de Sombart et Max Weber, d'autre part».
L'hérésie/hétérodoxie a suivi de nombreuses voies que nous indique le tableau figurant sur cette page:
TABLEAU (Alb./S. II, p. 158)
Commentons ce tableau que nous suggèrent Albertini et Silem.
1. Nous venons de voir quelles étaient les prémisses de la «voie de l'histoire».
2. La «voie des institutions» vise à substituer à l'homo œconomicus l'homo sociologicus, c'est-à-dire un homme situé dans un milieu précis. Le sociologue américain, d'origine norvégienne, Thorstein Veblen (1857-1929), inaugure pour sa part une sociologie critique (10), où il établit que l'homme d'affaires n'est pas mu par la rationalité pure (idée qui est la base de la fiction libérale) mais par des mobiles comme la vanité, la volonté de puissance qui, assez souvent, bascule dans la pathologie. Veblen critique la figure du «propriétaire absentéiste», qui ne gère plus ses affaires et ses usines sur le terrain, mais se borne à jouir des bénéfices qu'elles procurent. Les propriétaires absentéistes forment la leisure class, la classe des loisirs, qui n'a plus d'emprise sur le réel, ne veut plus avoir d'emprise sur lui, et sombre dans la décadence. Au vu de cette décadence, le pouvoir, affirme Veblen, doit appartenir aux innovateurs, notamment les ingénieurs, les inventeurs, les hommes de science, les détenteurs de la nouveauté technologique. Ce filon critique sera amplifié ultérieurement par les sociologues Clark et Mitchell.
Galbraith et la technostructure
Entre la «planète keynésienne» et l'hétérodoxie institutionaliste, se niche l'œuvre de John Kenneth Galbraith. Cet Américain dénonce la croissance quantitative des biens marchands au détriment des biens collectifs. Processus qui démantèle le sens de la Cité, du civisme, de la communauté populaire. L'interventionnisme est nécessaire, explique Galbraith, pour contrer cette involution dangereuse. Ensuite, cet auteur nous explique qu'il s'est opéré une inversion au niveau du choix; ce ne sont plus les consommateurs qui imposent leurs choix aux producteurs mais une technostructure —englobant les grands consortiums, les monopoles et les services que sont la publicité et le marketing— qui dicte ses propres choix aux consommateurs. Dans cette «filière inversée», le public est mystifié, grugé. La technostructure prétend défendre l'intérêt général mais ne défend en fait que ses propres intérêts, que sa propre logique de fonctionnement, coupée des aspirations concrètes de la population. Cette critique de Galbraith est assez proche de nos préoccupations: en France, elle a influencé, à gauche, les travaux de Henri Lefèbvre, de Roger Garaudy et, dans l'orbite de la «Nouvelle Droite», ceux de Guillaume Faye (11) (qui parlait plutôt de «Système»). En Belgique, Ernest Mandel y a puisé plus d'un argument.
3. La voie de la sociologie a pris son envol au départ du positivisme et de l'école comtienne au XIXième siècle. Elle s'est complétée au XXième par les apports essentiels de la «théorie des organisations» (Bruno Lussato) et de l'«école systémique» (Ludwig von Bertalanffy, Kenneth Boulding) (12).
La dynamique des structures
4. La voie de la «dynamique des structures» est issue de Schumpeter et a été perfectionnée par François Perroux. La dynamique des structures entend dynamiser et harmoniser l'ensemble des forces, des «résidus» (pour parler comme Pareto), des institutions, des mentalités génératrices de sens particuliers, etc. «Plus prosaïquement, une structure économique est représentée par l'ensemble des coefficients, des relations et proportions, relativement stables, qui caractérisent un ensemble économique. On parlera ainsi des structures de l'économie financière, des structures du commerce international, des structures du système bancaire ou bien des structures capitalistes. Les idées de relations et de relations stabilisées sont donc centrales» (13).
DEUX SCHEMAS: A/S + HPE
La voie de la dynamique des structures part de l'observation qu'il y a d'innombrables agencements de faits de monde, des imbrications multiples qui forment en dernière instance la totalité des phénomènes et qui procurent, assez souvent mais pas toujours, de relatives stabilités, lesquelles permettent la théorisation scientifique.
Les structures s'entrechoquent, ont leur logique interne; donc, au vu de ces affrontements et de ces différences, il faut refuser de penser l'économie en termes d'équilibre; il faut tenir compte du long terme, c'est-à-dire du fait que, plus tard, l'économie du pays, de la région, sera toujours nécessairement autre. C'est parce qu'on n'a pas suffisamment pensé l'économie en termes de dynamique que les pays européens, par exemple, n'ont pas investi à temps dans certains secteurs de l'industrie informatique (logiciels, matériels, puces, etc.) et accusent un retard par rapport aux Etats-Unis et au Japon.
Par ailleurs, la dynamique des structures postule de tenir compte du niveau de chaque espace économique, surtout dans le tiers-monde. Penser en termes de dynamique permet de meilleures prévisions, de meilleures prospectives. L'économiste et l'homme politique prévoient l'évolution des puissances et des rapports de forces, un peu comme le faisait Bertrand de Jouvenel dans sa revue Futuribles ou comme le fait Alvin Toffler (14).
La dynamique des forces
La dynamique des forces est le produit de l'évolution technique et de l'évolution démographique. A la suite des travaux de Sauvy, l'économie politique en est venu à raisonner en termes de progrès processif et de progrès récessif. Le progrès processif est celui qui procure un mieux-vivre grâce, par exemple, à la découverte de nouvelles sources d'énergie ou à la rentabilisation de nouvelles matières premières (le cas récent des nouveaux conducteurs). Le progrès récessif est celui qui est obtenu avec moins de travail pour un volume de production identique, ce qui provoque du chômage.
François Perroux prend pour thème central de ses analyses le pouvoir (la prédominance du «politique»), lequel surplombe des agents de force et d'énergie inégales qui, dans la société où ils agissent, forment un jeu de combinaisons et de re-combinaisons, par le truchement des élections et de la répartition des postes (la lottizazzione en Italie). La méthode de Perroux consiste à accepter des modèles variés et de dépasser ainsi la querelle des méthodes du XIXième siècle. Perroux, plurilogique, intègre plusieurs niveaux de rationalité et recherche les combinaisons performantes. En même temps, il rejette l'irénisme de l'équilibre général néo-classique, conçu dans le cadre irréel de la concurrence parfaite. Dans une évolution, toutes les structures ne changent pas de la même façon. Des distorsions se produisent. Ces distorsions entraînent de nouvelles évolutions, d'autres ruptures. La technostructure, dénoncée par Galbraith, ou le Système, décrit et dénoncé par Faye (15), rendent précisément les ruptures malaisées et figent des pans entiers du réel. Ce problème de rigidification, en dépit de la mobilité effrenée du monde actuel —qui est très souvent mobilité improductive— induit l'opposition qui se dessine très clairement, pour les années 90 et les premières décennies du XXIième siècle, entre les «lents», condamnés à la stagnation et au déclin, et les «rapides», futurs dominateurs au sein des «nouveaux pouvoirs» (16).
Outre le pouvoir, Perroux étudie le phénomène de la domination. Celle-ci peut avoir des effets d'entraînement, ce qui est positif, ou des effets de blocage, ce qui est négatif. Les effets de blocage apparaissent quand certaines strates du pouvoir détournent des ressources humaines et matérielles à leur seul profit. Ce mode de détournement est observable dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, où des équipes restreintes ont récupéré à leur avantage le pouvoir jadis détenu par la métropole coloniale. Face à ce blocage qui maintient le sous-développement, Perroux énonce une théorie: 1) pas de transposition de modèles européens, américains ou japonais dans le tiers-monde; 2) refus de tout transfert mimétique de technologie; 3) réaliser un maximum d'auto-centrage (selon les principes énoncés par Friedrich List au cours de la première moitié du XIXième siècle (17).
Au-delà du structuralisme
de François Perroux
L'œuvre de François Perroux (18) a non seulement une portée économique mais aussi, en quelque sorte, une portée épistémologique, car elle nous indique comment penser critiquement et comment appliquer cette grille critique, le cas échéant, à d'autres sciences. S'il fallait résumer ses travaux, nous le ferions en huit points:
1) Pour Perroux, plusieurs types de «rationalités économiques» peuvent coexister, mieux, doivent coexister. Principe: ne pas vouloir tout unifier à tout prix.
2) Les lois économiques sont toujours provisoires. Elles sont sans cesse bousculées par les aléas.
3) Il faut accepter les limites de la science économique et demeurer ouvert au monde, à l'information. Il faut refuser le confort des habitudes.
4) Il faut être pleinement conscient de l'importance des contextes historiques.
5) Il faut admettre le principe du changement continuel.
6) Il faut accepter l'objectivité des valeurs; les valeurs sont en effet des constantes incontournables; elles influent les processus de décision, en économie comme en politique. Il est impossible d'araser des valeurs; on peut les refouler temporairement, mais toute valeur niée, rejettée, revient tôt ou tard à l'avant-plan.
7) Il faut rejetter les systèmes qui opèrent une distinction entre l'économie et la société. De même que les systèmes qui veulent scinder les fins des moyens. Il ne faut pas oublier que toutes les actions humaines sont finalisées. Il faut rejetter les raisonnements en termes d'équilibre.
8) Il faut développer des approches systémiques (19), largement ouvertes à la biologie moderne, aux travaux écologiques et à la cybernétique (20).
Notre courant de pensée possède d'ores et déjà un corpus théorique cohérent, apte à saisir la complexité du monde. L'ébauche que nous avons esquissée ici est très incomplète, trop peu mathématisée, mais elle n'a cherché, finalement, qu'à donner des grandes lignes, qui s'appliquent à l'économie mais aussi à d'autres disciplines. Quand nous dénonçons et critiquons l'économisme ou l'utilitarisme, c'est parce qu'ils sont d'emblée marqués d'incomplétude. Qu'ils fonctionnent parce qu'ils mettent entre parenthèses une multitude de paramètres, de faits de monde et de vie. Cette mise entre parenthèses aboutit précisément à la technostructure critiquée par Galbraith, qui inverse le cours naturel des choses en imposant ses propres choix à la population en même temps qu'une logique purement artificielle. Ce sont ces artifices et ces fictions que l'Ecole Historique et que le dynamisme de Perroux entendent combattre. Nous avons retenu la leçon.
Robert STEUCKERS.
(Bruxelles, août 1991).
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mardi, 16 juin 2009
Interview pour "Sinergeias Europeias"
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1994
Robert STEUCKERS:
Interview pour Sinergeias Europeias (n°2)
1. Pendant l'été 1993, toute la presse européenne a parlé de la convergence entre intellectuels de droite et intellectuels de gauche. En Belgique avez-vous été la cible de cette nouvelle inquisition? A votre avis, qu'est-ce qui a fait éclater l'affaire?
L'affaire germait depuis la Guerre du Golfe, du moins en France. Un groupe d'intellectuels a eu le courage de signer un manifeste contre cette entreprise guerrière orchestrée par les Etats-Unis et l'ONU, avec la bénédiction de tous les intellectuels bien-pensants de la place de Paris, ceux qui, précisément, sont passés du «col Mao au Rotary». Alain de Benoist, le chef de file de la Nouvelle Droite était l'un des co-signataires, de même que Gisèle Halimi, Roger Garaudy, Max Gallo, Antoine Waechter (le leader des Verts), Claude Cheysson (un ancien ministre de Mitterrand), etc. Alain de Benoist apparaissait comme le seul homme de «droite» dans cet aréopage. A la suite de l'agitation pour ou contre la Guerre du Golfe, on a pu croire qu'un nouveau «Paysage Intellectuel Français» allait se dessiner, où la stricte dichotomie gauche/droite du temps de la guerre froide n'aurait plus eu sa place. La disparition de cette dichotomie a eu l'effet d'un traumatisme chez ceux qui s'étaient enfermés dans toutes les certitudes de l'Europe divisée, avaient vécu —au sens vraiment alimentaire du terme— des convictions, artificielles et bricolées, qu'ils affichaient sans nécessairement les ressentir, sans y croire toujours vraiment. La chute du Rideau de Fer a obligé les esprits à repenser l'Europe: chez les intellectuels bruyants du journalisme parisien, qui sont très prétentieux et peu cultivés, qui ignorent tout des langues, des littératures, de la vie politique des peuples voisins, le choc a été rude: ils apparaissaient d'un coup aux yeux de tous pour ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire des provinciaux enfermés dans des préjugés d'un autre âge. Leur ressentiment, le complexe d'infériorité qu'ils cultivent avec une rancœur tenace (ce qui est pleinement justifié, parce qu'ils sont réellement inférieurs à leurs collègues européens, japonais ou américains), voilà ce qui a transparu dans la campagne de l'été 1993. Les connaissances encyclopédiques d'Alain de Benoist, sa volonté de «scientificiser» les discours politiques, les nouveaux clivages, plus subtils, moins manichéens, qui surgissaient à l'horizon, étaient sur le point de leur faire définitivement perdre la face. Ils ont voulu retarder leur déchéance et ils ont lancé cette campagne absurde. Ils ont donné libre cours à la haine qu'ils vouent depuis longtemps au «Pape» de la ND qui, malheureusement pour lui, ne cesse de commettre des maladresses psychologiques.
En Belgique, je n'ai pas été la cible d'une campagne similaire parce que la gauche et la droite ont été quasi unanimes pour condamner cette guerre, y compris dans les médias habituellement très conformistes. L'ambassadeur d'Irak, le Dr. Zaïd Haidar, a été interviewé par tous les journaux, par la radio et la télévision. J'ai eu l'occasion de prononcer une conférence à ses côtés. Le Dr. Haidar est un homme remarquable, un diplomate de la vieille école, un conciliateur né: il a fait l'admiration de tous et suscité le respect de l'ensemble de ses interlocuteurs. Ensuite, Jan Adriaenssens, un haut fonctionnaire des affaires étrangères à la retraite, a réussi de main de maître à faire renaître les sentiments anti-américains dans l'opinion publique belge, en accusant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France de jeter de l'huile sur le feu et de nuire aux intérêts de la Belgique. Même si mon pays ne brille généralement pas par l'originalité de ses positions et si le débat intellectuel y est absent, la Guerre du Golfe a été une période d'exception, où nos points de vue ont été largement partagés par les protagonistes en place sur l'échiquier politique. Nous avons donc vécu une Guerre du Golfe très différente en Belgique (et en Allemagne): l'hystérie anti-irakienne des nullités journalistiques parisiennes n'a eu prise sur personne. Qui plus est, la Belgique est le pays qui a le mieux résisté aux Américains qui insistaient lourdement pour que l'on envoie des troupes ou des avions. L'Allemagne, après le refus belge, s'est d'ailleurs alignée sur les positions de Bruxelles.
Dans l'opposition aux menées bellicistes de l'Ouest, les nationalistes de gauche et de droite se retrouvent traditionnellement dans le même camp, surtout si la France joue les va-t-'en-guerre. Automatiquement, surtout dans la partie flamande du pays, on se hérisse contre toute forme de militarisme français et l'opinion se dresse vite contre Paris, par une sorte d'atavisme. Récemment, début 1994, le journaliste flamand Frans Crols a ordonné à l'un de ses jeunes collègues, Erick Arckens, d'aller interviewer Alain de Benoist à Paris, pour faire la nique à ses homologues parisiens et pour montrer qu'il respectait les traditions: les Français persécutés chez eux ont toujours, dans l'histoire, pu librement exprimer leurs idées à Bruxelles. Alain de Benoist, persécuté en 1993, n'a pas fait exception. Alors qu'on avait oublié son existence en Belgique depuis les heures de gloire de la Nouvelle Droite (1979-80), il est réapparu soudainement dans la Galaxie Gutenberg comme un diablotin qui sort d'une boîte, comme une vieille redingote qu'on retire de la naphtaline. Ses persécuteurs ont raté leur coup en Belgique et lui ont permis de s'exprimer en toute liberté dans l'un des hebdomadaires les plus lus de la partie néerlandophone du pays.
La hargne des journalistes parisiens, qui se piquent d'être à gauche, provient sans nulle doute de l'importance considérable qu'a eue le parti communiste en France. L'enrégimentement des esprits a été en permanence à l'ordre du jour: il fallait réciter son catéchisme, ne pas désespérer Billancourt. On ne faisait plus d'analyser, plus de philosophie, on faisait de l'agit-prop, de la propagande: maintenant que la donne a changé, tout cela ne vaut plus rien. En Belgique, le PC a toujours été insignifiant, les communistes, groupusculaires, étaient la risée du peuple, qui voyait s'agiter ces pauvrets sans humour, toujours de mauvaise humeur, dépourvus de joie de vivre. Les Français ont eu des communistes puristes, qui n'avaient rien compris à la dialectique de Hegel et de Marx, qui avaient adopté cette philosophie allemande sans en comprendre les ressorts profonds. Les communistes français ont érigé le marxisme sur un piédestal comme une idole figée, de la même façon que les Jacobins et les Sans-Culottes avaient dressé un autel à Bruxelles pour la «Déesse Raison», devant la population qui croulait de rire et se moquait copieusement de cette manie ridicule. Ces idolâtries puériles ont conservé leur pendant dans les débats, même aujourd'hui: les intellectuels parisiens, bizarrement, ne s'entendent jamais sur les faits, mais sur des abstractions totalement désincarnées: ils imaginent une gauche ou une droite toutes faites, y projettent leurs fantasmes. Et ces momies conceptuelles ne changent jamais, ne se moulent pas sur le réel, n'arraisonnent pas la vie, mais demeurent, impavides, comme une pièce de musée, qui prend les poussières et se couvre de toiles d'araignée. De telles attitudes conduisent à la folie, à la schizophrénie totale, à un aveuglement navrant. La campagne de 1993 est une crise supplémentaire dans ce landerneau parisien, peuplé de sinistres imbéciles dépourvus d'humour et incapables de prendre le moindre recul par rapport à leur superstitions laïques. Ils sont inadaptés au monde actuel en pleine effervescence.
2. Mais la convergence gauche/droite est-elle une situation nouvelle?
Non. Et paradoxalement, ce sont des convergences du même ordre qui attirent encore et toujours les historiens des idées. Ce ne sont pas les conventions de la droite ou de la gauche, la répétition à satiété des mêmes leitmotive qui intéresse l'observateur, l'historien ou le politiste. Mais les fulgurances originales, les greffes uniques, les coïncidentiae oppositorum. En France, la convergence entre Sorel, Maurras, Valois et les proudhoniens en 1911 ne cesse de susciter les interrogations. L'effervescence des années 30, avec le néo-socialisme lancé par Henri De Man, Marcel Déat, Georges Lefranc, les initiatives d'un Bertrand de Jouvenel, d'un Georges Soulès (alias Abellio), etc. sont mille fois plus captivantes que tout ce que disaient et faisaient les braves suiveurs sans originalité. A long terme, les moutons sont les perdants dans la bataille des idées. Les audacieux qui vont chercher des armes dans le camp ennemi, qui confrontent directement leurs convictions à celles de leurs adversaires, qui fusionnent ce qui est apparamment hétérogène, demeurent au panthéon de la pensée. Les autres sombrent inéluctablement dans l'oubli. En Italie, le débat est plus diversifié, l'atmosphère moins étriquée: depuis près de vingt ans, depuis la fin des «années de plomb», hommes de gauche et hommes de droite ne cessent plus de dialoguer, d'approfondir la radicalité de leurs assertions, sans se renier, sans renier leur combat et celui des leurs, mais en élevant sans cesse la pensée par leurs disputationes fécondes.
3. En Russie, en octobre 93, on a vu sur les mêmes barricades des communistes et des nationalistes. Cette situation est-elle due à l'existence d'un ennemi commun, Eltsine, où cette alliance fortuite a-t-elle des bases solides, qui lui permettront de durer?
Bien sûr, le pari qu'Eltsine a fait sur le libéralisme échevelé, sur un libéralisme sauvage qui ne respecte aucun secteur non marchand, qui refuse les héritages culturels, a immanquablement contribué au rapprochement entre communistes et nationalistes, pour qui un ensemble de valeurs non-marchandes demeure cardinal; valeurs sociales pour les uns, valeurs historiques et politiques pour les autres, valeurs culturelles pour tous. A mon avis ce rapprochement n'est pas fortuit. Il faut savoir qu'il y a eu une dimension nationale dans le bolchévisme et que Staline s'est appuyé sur ces résidus de nationalisme pour asseoir puis étendre son pouvoir. Avant son avènement, certains spéculaient sur une «monarchie bolchévique», où un Tsar serait revenu aux affaires mais en utilisant à son profit l'appareil politique, économique et social mis en place par Lénine et ses camarades. Ensuite, quand l'opposition extra-parlementaire en Occident adoptaient les modes gauchistes, le style hippy et raisonnaient au départ des travaux de Marcuse (Eros et civilisation) ou de Reich (le freudo-marxisme), la contestation russe était populiste, nationaliste et écologiste. En témoignent les œuvres de Valentin Raspoutine et de Vassili Belov. Ces auteurs déployaient une mystique des archétypes, ruinaient les arguments des idéologies progressistes, prônaient un retour aux valeurs morales de la religion orthodoxe, chantaient les valeurs de la terre russe, sans aucunement encourir les foudres du régime. Au contraire, on leur décernait le Prix Lénine, même s'ils condamnaient clairement le technicisme matérialiste du léninisme! Les libéraux, en revanche, qui prônaient une occidentalisation des mœurs politiques soviétiques, ont été mis sur la touche. Le rapprochement entre nationalistes et communistes, l'émergence d'un corpus patriotique russe au sein même des structures du régime, datent d'il y a vingt ou trente ans. La perestroïka n'a fait que donner un relief plus visible à cette convergence. Les événements tragiques d'octobre 1993 ont scellé celle-ci dans le sang. La mystique du sang des martyrs russes, tombés lors de la défense du Parlement (de la “Maison Blanche”), sera-t-elle le ciment d'un futur régime anti-libéral?
4. Cette alliance se poursuivra-t-elle après la chute d'Eltsine et des libéraux?
Les élections de décembre 93 ont introduit un facteur nouveau: le nationalisme de Jirinovski, sur lequel les observateurs se posent encore beaucoup de questions. Est-ce une formule nouvelle ou une provocation destinée à fragmenter le camp nationaliste, à isoler les communistes, à tenir à l'écart les éléments patriotiques les plus turbulents? Je crois qu'il est encore trop tôt pour répondre. Les nationalistes radicaux en tout cas rejettent Jirinovski. Au-delà de toute polarisation gauche/droite, une chose est certaine: le libéralisme est inapplicable en Russie. L'essence de la Russie, c'est d'être «autocéphale», de refuser toute détermination venue d'ailleurs. La Russie ne peut prospérer qu'en appliquant des recettes russes, ne peut guérir que si l'on applique sur ses plaies des médications russes. L'alliance anti-libérale des communistes, qui vont au nationalisme pour se guérir de leurs schémas, et des nationalistes, qui refusent la déliquescence libérale, est une formule russe, non importée. Dans ce sens, elle peut survivre à haute ou à basse intensité.
5. Une telle alliance peut-elle se transposer dans les pays occidentaux?
Ce qui est certain, c'est que le discours de la gauche classique est désormais obsolète. La rigidité communiste n'est pas adaptée à la souplesse d'organisation que permettent les nouvelles technologies. Mais, en Occident, le nombre des exclus ne cesse de croître, les clochards apparaissent même sur les bancs publics des villes riches du Nord de l'Europe continentale (Thatcher les avait déjà fait réapparaître en Angleterre). Les secteurs non marchands tombent en quenouille: l'associatif n'est plus subsidié, l'enseignement va à vau-l'eau, on n'investit pas dans l'urbanisme ou l'écologie, on ne crée pas d'emplois dans ces secteurs, la stagnation économique empêche d'accroître la fiscalité. Bref, le libéralisme cesse de bien fonctionner en Europe. Mais les structures syndicales de la sociale-démocratie restent lourdes, dépourvues de souplesse. Face au déclin, nous assistons à toutes sortes de réflexes poujadistes incomplets, qui se traduisent par des succès électoraux, suivis de stagnation. Les mécontents n'ont pas encore trouvé la formule alternative adéquate qui devra immanquablement conjuguer la souplesse administrative, calquée sur la souplesse des nouvelles technologies, aux réflexes sociaux et nationaux. Ces réflexes visent au fond à rapprocher les gouvernants des gouvernés, à trouver des formules de représentation à géométrie variable, fonctionnant dans des territoires de petites dimensions à mesures humaines. Cette nouvelle forme inédite de démocratie locale chassera la démocratie conventionnelle qui a déchu en un mécanisme purement formel. Enfin, la formation d'un bloc européen, qui se dessine à l'horizon, surtout depuis que l'Autriche, les pays scandinaves et les pays du «Groupe de Visegrad» (Hongrie, Pologne, République tchèque) ont demandé leur adhésionà la CEE, nous obligera à trouver une formule politique et sociale différente de celle des Etats-Unis, puissance avec laquelle nous entrerons inévitablement en conflit. Or cette formule doit tenir compte, pour être séduisante, des impératifs urgents que le régime actuel est incapable de résoudre: ces impériatifs sont sociaux, identitaires et écologiques.
(propos recueillis par Julio Prata).
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lundi, 08 juin 2009
Ernst Jünger - Un autre destin européen
Un nouveau livre de Dominique Venner : Ernst Jünger. Un autre destin Européen
En librairie depuis le 15 mai 2009. Il s’agit de la première biographie consacrée en France à Ernst Jünger, grande et énigmatique figure du XXe siècle. Le 9 janvier 1995, à la veille de son centenaire, il adressait ce message de connivence à Dominique Venner : « Nous autres, camarades, nous pouvons montrer nos blessures ! »
Le livre :
Très jeune héros de la Grande Guerre, nationaliste opposé à Hitler, ami de la France, Ernst Jünger (1895-1997) fut le plus grand écrivain allemand de son temps. Mais ce n’est pas rendre service à l’auteur d’Orages d’acier que de le ranger dans la catégorie des bien pensants. Il n’a cessé au contraire de distiller un alcool beaucoup trop fort pour les gosiers fragiles. C’est ce Jünger, dangereux pour le confort, que restitue Dominique Venner. Il y replace l’itinéraire de l’écrivain dans sa vérité au cœur des époques successives qu’il a traversées. Belliciste dans sa jeunesse, admirateur d’Hitler à ses début, puis opposant irréductible, subsiste en lui le jeune officier héroïque des troupes d’assaut qui chanta « la guerre notre mère », et l’intellectuel phare de la “Révolution conservatrice”. Mais il fut aussi le guerrier apaisé qui tirait gloire d’avoir donné son nom à un papillon.
Dans cette biographie critique, Dominique Venner montre qu’aux pires moments du siècle, Jünger s’est toujours distingué par sa noblesse. En cela il incarne un modèle. Dans ses écrits, il a tracé les lignes d’un autre destin européen enraciné dans les origines et affranchi de ce qui l’opprime et le nie.
Dominique Venner, Ernst Jünger. Un autre destin Européen. Editions du Rocher, 240 p..
Source : le site Internet Dominique Venner.
Disponible en particulier sur Libre-Diffusion.com.
Article printed from :: Novopress Québec: http://qc.novopress.info
URL to article: http://qc.novopress.info/?p=5120
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jeudi, 28 mai 2009
R. Steuckers: Entretien à "Pagine Libere" (1993)
Archives de Synergies Européennes - 1993
Entretien à "Pagine Libere" (Rome)
Présentation succincte de Robert Steuckers
Né en janvier 1956 à Bruxelles, Robert Steuckers est licencié en langues anglaise et allemande. En 1981, il a été secrétaire de rédaction de la revue Nouvelle Ecole, dirigée par Alain de Benoist. Il a fondé en 1982 et en 1983, les revues Orientations et Vouloir. Il a collaboré à l'Encyclopédie des œuvres philosophiques (PUF) et prépare un ouvrage sur les auteurs allemands qui ont influencé Julius Evola. En Italie, il a collaboré à Diorama Letterario et Trasgressioni. Il a fondé en 1993 une association paneuropéenne, Synergies Européennes, qui s'est donnée pour tâche de participer chaque année à une université d'été.
Q.: Dans votre numéro de Vouloir (n°89/92), consacré aux économies hétérodoxes, vous évoquez les théories qui pourraient contribuer à asseoir une alternative aux systèmes qui ont dominé notre après-guerre?
R.: Je pars du principe qu'un mouvement politique alternatif, que toutes démarches politiques visant à corriger les dysfonctionnements économiques observables dans nos sociétés occidentales, doivent s'inscrire dans un réseau de traditions précis. Les marxistes s'inscrivaient dans la logique marxiste; les capitalistes s'inscrivent dans la logique des économies classiques. Nous, les alternatifs, sommes contraints de nous inscrire dans les courants dits «hétérodoxes». Mais cette intention demeurera privée d'effet tant que la notion d'hétérodoxie ne sera pas vulgarisée, admise, explorée. La première tâche est donc, à mon sens, de bien connaître l'histoire des courants hétérodoxes, de façon à en dégager les grandes lignes, à en repérer les constantes, à en actualiser les intuitions. L'idée centrale des hétérodoxies est le «contexte»; l'économie doit s'appuyer sur un contexte, une histoire, un peuple. Elle doit s'inscrire dans le temps et dans l'espace et non dans un discours universaliste qui ignore délibérément les impératifs et les contraintes du temps et de l'espace. Dès le XIXième siècle, les économistes de l'«école historique» (Roscher, Hildebrand, Knies, Schmoller) ont insisté sur le contexte national. D'autres traditions hétérodoxes ont été moins «nationalistes», elles ont privilégié l'approche «classiste» (Veblen et la «leisure class») ou institutionnelle. François Perroux, en France, a montré que l'économie ne se déployait pas en vase clos, mais évoluait dans un monde complexe, imprévisible: si, très souvent, cette complexité conduit à la stabilité, ce n'est pas une règle infaillible: la complexité peut conduire au conflit. Un conflit qu'il s'agira alors de maîtriser; et pour le maîtriser, au milieu des innombrables paramètres qui agitent le monde, il faut être capable d'utiliser de multiples logiques, plusieurs «rationalités économiques». Contrairement à ce que croient les terribles simplificateurs, politiciens ou idéologues, le réel ne se maîtrise pas à l'aide d'une et d'une seule logique. L'hétérodoxie postule donc une pluralité pratique, non pas une pluralité que l'on contemple béatement en tant que telle, mais une pluralité où l'acteur politique choisit ses armes, ses instruments de combat sans en privilégier aucun de façon absolue.
Q.: L'hétérodoxie est-elle compatible avec une démocratie réelle, qui respecte l'espace du citoyen?
R.: Les théories économiques orthodoxes, c'est-à-dire celles qui ont eu le dessus pendant notre après-guerre, ont conduit, à l'Est, au résultat que l'on sait, et, à l'Ouest, à un accroissement démesuré des entreprises multinationales atteintes d'éléphantiasis et génératrices d'un chomâge catastrophique, c'est-à-dire d'un gaspillage scandaleux des ressources humaines. Le chômage est une exclusion, conduit à la société duale et ruine la notion de citoyenneté. L'exclu n'est pas un citoyen à part entière. L'augmentation des exclus ne permet plus non plus de financer ce bel Etat social des décennies d'abondance. Les délocalisations relèvent d'une pratique déduite des théories qui ignorent le contexte. La ruine de la métallurgie wallone et lorraine, des industries textiles ouest-européennes, est le résultat d'une délocalisation, qui a surtout bénéficié aux grosses entreprises américaines. Les famines générées par la disparition des cultures vivrières dans le tiers-monde participent, elles aussi, de cette même logique perverse. Lorsqu'un peuple produit lui-même les choses essentielles dont il a besoin, il est libre. S'il dépend trop fortement de l'étranger, sa liberté est limitée. Les planificateurs américains ne sont pas dupes: Eagleburger disait: «Food is the best weapon in our arsenal», démontrant par là que l'agriculture américaine devait demeurer largement exportatrice, afin de faire dépendre d'elle un maximum de peuples. Les batailles du GATT ne sont pas autre chose. Dès 1948, les Etats-Unis font échouer la Charte de La Havane, prévoyant trop de dérogations en faveur des pays en cours de reconstruction ou en phase de développement! Il a fallu attendre les années 60, c'est-à-dire la fin de la décolonisation qui ôtait aux grandes puissances européennes des «marchés protégés», pour que les Etats-Unis admettent l'aide au tiers-monde («Alliance pour le progrès» de Kennedy). Par ailleurs Michel Albert, président d'un grand goupe d'assurance français, opère une distinction intéressante entre «capitalisme anglo-saxon» et «capitalisme rhénan/nippon». Le capitalisme anglo-saxon parie d'abord sur la spéculation pure. Son homologue rhénan/nippon sur l'investissement industriel, c'est-à-dire sur une logique du contexte, privilégiant l'outil national, garant d'une certaine forme d'indépendance. Le succès des économies allemande et japonaise prouve en quelque sorte la supériorité pratique des économies «contextualisées», sans pour autant être fermées au monde. Par ailleurs, dans les zones de modèle «rhénan/nippon», la solidarité nationale, la sécurité sociale et la protection des travailleurs étaient nettement plus solides que dans l'Amérique de Reagan ou la Grande-Bretagne de Thatcher.
Q.: Logique du contexte et démocratie sont dès lors indissociables?
R.: En effet, le combat de demain sera l'affrontement entre le «globalisme» américain et les «contextes». Entre la dictature du marché, parfois exercée par de petits satrapes nationaux et pseudo-nationalistes, et ceux qui veulent garder, pour eux et pour leurs enfants, la dignité d'être «citoyens», donc d'exercer sans discrimination, sans exclusion, leurs vertus de «zoon politikon». Mais l'idéal globaliste détient un atout considérable: la simplicité brutale; le monde doit être un, et tous vivront alors l'American way of life. L'idéal du contexte a la fragilité des systèmes trop complexes. L'hétérogénéité idéologique et philosophique que présente le vaste continent «hétérodoxe» ne permet pas de dégager facilement un corpus instrumentalisable et applicable à la planète entière au bénéfice des toutes les particularités contextuelles. Les détenteurs d'une idéologie simple, qui promet plus qu'elle ne peut tenir, peuvent très aisément fragmenter un front hétérogène, même si celui-ci est le reflet le plus exact d'un réel multiforme. En France, plusieurs économistes, s'inscrivant dans la tradition de Perroux et dans la logique gaullienne de l'indépendance nationale, ont montré l'unité fondamentale des théories hétérodoxes, au-delà des diversités dans la formulation et des spécificités nationales, mais leurs efforts n'ont jamais été poursuivis ni systématisés. Si ces efforts ont été entrepris à l'ère gaullienne ou dans les années qui l'ont immédiatement suivie, ils prouvent par eux-mêmes qu'ils sont l'émanation d'une volonté politique, d'une volonté de sortir des ornières conventionnelles en dépit des plus puissants de ce monde. C'est une volonté qu'il convient désormais d'imiter, de réamorcer. C'est une tâche à laquelle les économistes doivent s'atteler. Mais dans ce travail, ils doivent être épaulés par ceux et celles qui, non seulement possèdent des connaissances théoriques, mais sont animés par une volonté politique. Une volonté de changement.
Robert STEUCKERS.
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mercredi, 27 mai 2009
Présentation des options philosophiques et politiques de "Synergies Européennes"
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997
Robert STEUCKERS:
Présentation des options philosophiques et politiques de “Synergies Européennes”
Lande de Lüneburg, 5 avril 1997
Pourquoi le terme “synergie”?
Pourquoi avons-nous choisi, pour désigner notre mouvement, d'adopter le terme de “synergie”, et non pas un autre terme, plus politique, plus ancré dans un champ idéologique clairement profilé? Pourquoi employons-nous un vocable qui ne laisse deviner aucun ancrage politique précis? En effet, la notion de “synergie” ne se laisse ancrer ni à droite ni à gauche. Au départ, “synergie” est un concept issu de la théologie, tout comme, d'ailleurs, tous les autres concepts politiques, même après la phase de neutralisation des effervescences religieuses qu'a connue la modernité à ses débuts, au XVIIième siècle. Pour Carl Schmitt, tous les concepts prégnants de la politique sont des concepts théologiques sécularisés. Dans le langage des théologiens, une “synergie” s'observe quand des forces différentes, des forces d'origines différentes, de nature différente, entrent en concurrence ou joignent leurs efforts pour atteindre en toute indépendance un objectif commun. Nos objectifs principaux, dûment inscrits dans notre charte, visent, d'une part, la liberté et la pluralité dans la vie quotidienne, d'autre part, la capacité de décider en cas de situation exceptionnelle. L'erreur des idéologies dominantes de ce siècle, c'est justement d'avoir pensé séparément la liberté de la décision.
- Ou bien l'on croyait, avec Kelsen notamment, que l'effervescence et les turbulences du monde cesseraient définitivement et qu'une ère de liberté éternelle s'ouvrirait sans que les hommes politiques n'aient plus jamais à prendre de décisions. Fukuyama a réactualisé ce vœu de “fin de l'histoire”, il y a six ou sept ans.
- Ou bien on ne croyait qu'à la seule décision virile, comme les fascismes quiritaires, et on voulait maximiser à outrance la quantité de décisions suivies d'effets “constructifs”; de cette façon, on a contraint certains peuples à vivre dans une tension permanente, obligé les strates paisibles de la société à vivre comme les élites conquérantes ou les soldats sur la brèche, on a négligé l'organisation du quotidien, qui ne postulait nullement cette perpétuelle effervescence de la mobilisation permanente et totale. Les fascismes quiritaires, le national-socialisme n'ont généré ni un droit propre (si ce n'est une opposition systématique aux “paragraphes abstraits”) ni une constitution ni restauré un droit jurisprudentiel à la façon anglaise (au grand dam d'un juriste comme Koellreutter, qui a oscillé entre le droit anglais et le national-socialisme!). Aucun corpus doctrinal de ce siècle, d'après 1919, n'a su ou voulu penser conjointement et harmonieusement ces deux impératifs, ces deux nécessités:
1) se tenir prêt pour faire face aux imprévus qui s'abattent sans cesse sur le monde et sur l'histoire des hommes (ce que voulaient les décisionnistes);
2) organiser le quotidien dans la cohérence, sur le long terme (ce que voulaient les constitutionnalistes).
Une bonne part du débat politique de fond a tourné autour de l'opposition binaire entre “décisionnistes” (assimilés aux fascistes ou aux conservateurs) et “quotidiennistes” (qui survalorisaient l'Alltäglichkeit, le “règne du on”, les jugeant plus “moraux“ parce que leur marque principale était la quiétude). La nécessité d'organiser le quotidien dans la cohérence et sur le long terme n'exclut pas la nécessité impérieuse de la décision, de faire face à l'imprévu ou à la soudaineté.
Un projet politique d'avenir doit donc nécessairement reposer sur une capacité d'appréhension à la fois de la décision et du quotidien. Comment décision et quotidien ont-ils été appréhendés dans les idéologies dominantes de la gauche et de la droite? Pourquoi les modes d'appréhension de ces droites et de ces gauches dominantes ont-ils été insuffisants?
A droite: un fusionisme sans souci des valeurs
Dans le camp des droites, du conservatisme ou du national-conservatisme, il n'y a pas d'homogénéité dans l'appréhension de la liberté (entendue au sens d'absence de mobilisation politique permanente) ou de la décision. Quelques exemples: au temps de la guerre froide, terminée avec l'effondrement du Mur de Berlin en 1989, la liberté, disait-on, surtout aux Etats-Unis, s'opposait au communisme, quintessence de la non-liberté et idéologie fortement mobilisatrice. Hannah Arendt écrivait que le stalinisme, au début des années 50, était l'incarnation de l'“autoritarisme”, qui avait pris, jadis, tour à tour, un visage clérical, militariste, fasciste, etc. A la fin des années 50, pour faire pièce aux gauches étatistes, communistes, socialistes ou keynésiennes, le monde politique américain lance l'expérience du “fusionisme”, soit l'alliance des conservateurs anti-communistes et des libertaires anti-autoritaires, c'est-à-dire des partisans d'une société civile sans élites mobilisatrices et quiritaires, axée sur l'économie, le commerce et la technique, et les partisans d'une sorte de “leisure society”, propre des rentiers et des artistes situés en dehors de tout circuit économique fonctionnant. Dans ce fusionisme, la question des valeurs reste sans solution. Parce que les valeurs habituellement attribuées au conservatisme, comme le sens du devoir, se marient mal avec les options des libertaires, on fait, par calcul politicien, l'impasse sur la valeur “devoir”, cardinale pour toute philosophie cohérente et stable de la Cité. On se rend forcément compte que la notion de devoir limite la liberté (du moins si on entend par liberté la licence ou la permissivité), ce que n'acceptent pas les alliés libertaires et anarchisants. Du fusionisme découle le conservatisme technocratique, qui se passe de toute référence à des valeurs mobilisantes et cimentantes et esquive de ce fait la question de la justice qui repose inévitablement sur une table de valeurs, située au-delà des intérêts matériels et économiques. Ainsi, les communautés ou les résidus de communauté perdent leur cohésion, en dépit des politiques conservatrices.
Fusionisme et conservatisme technocratique prennent le pas sur les conservateurs axiologiques (Wertkonservativen) ou les conservateurs décisionnistes, ruinant ainsi l'homogénéité de la droite et annonçant à plus ou moins long terme d'autres recompositions (même si elles se font encore attendre). Autres exemples: au niveau de la politique économique, axiologistes et décisionnistes chercheront généralement à inscrire des valeurs dans leur praxis économique. Ils s'opposeront dès lors forcément au néo-libéralisme ou à toute forme de globalisation inscrite sous le signe de cette idéologie strictement économique. Fusionistes et technocrates accorderont la priorité à l'efficacité et tolèreront les pratiques néo-libérales du profit à très court terme, considérant que la globalisation est inévitable et que la société qu'ils sont appelés à gérer n'aura pour seule originalité que d'être une niche particulière parmi d'autres niches particulières dans le processus général de globalisation, une niche qu'on nettoiera de ses particularités et où règneront, finalement, les mêmes principes que ceux de la globalisation.
Des idéologies qui donnent la priorité aux valeurs
En Europe, face à la problématique de l'unification européenne, si l'on donne la priorité aux valeurs, on sera:
- soit un nationaliste hostile à l'eurocratisme, dont le patriotisme nationalitaire sera fondé sur l'appartenance charnelle à une culture précise, héritée des générations précédentes et de l'histoire, cimentée par un jeu de valeurs de longue durée;
- soit un européiste qui considère l'ensemble des peuples européens comme un écoumène civilisationnel de facture chrétienne ou non chrétienne,
- soit un ordo-socialiste ou un socialiste acceptant les règles de l'ordo-libéralisme allemand (le modèle du “capitalisme rhénan” selon Michel Albert).
Le souci des valeurs postule donc implicitement l'alliance prochaine
1) des nationalistes qui auront la force de transcender les limites des Etats-Nations modernes conventionnels,
2) des européistes qui voient d'abord dans l'Europe à la fois un espace stratégique indissociable et un espace de civilisation et de valeurs spécifiques et, enfin,
3) des socialistes enracinés dans la culture industrielle de type “rhénan”, qui donne la priorité à l'investissement industriel par rapport au capital spéculatif, où les impératifs industriels locaux et les structures patrimoniales sont pris en compte concrètement, où les investissements dans l'appareil éducatif ne sont jamais rognés, et où l'on ne bascule pas dans les mirages délocalisés d'une culture économique axée principalement sur la spéculation boursière. La fusion de ces corpus politiques est l'impératif des premières décennies du XXIième siècle. A la fusion technocratisme conservateur/libertarianisme, née dans les années cinquante aux Etats-Unis puis importée en Europe, il faut opposer la fusion de ces trois forces politiques, au-delà de tous les faux clivages, désormais obsolètes.
Nationalistes patriotes, ordo-socialistes et européistes “axiologues” refusent pourtant l'eurocratisme actuel, car celui-ci ne tient nullement compte des valeurs et repose sur ce “relativisme des valeurs” et cet oubli des leçons de l'histoire qui provoquent la déliquescence des sociétés. Si l'européisme peut être un retour à des valeurs fondatrices, renforçant les ressorts de la Cité, l'eurocratisme ne peut que perpétuer le relativisme absolu et la déliquescence sociale.
Si l'on accorde la priorité à l'efficacité économique, on peut être en faveur de l'unification européenne, selon les critères critiquables d'aujourd'hui, mais on ne devra pas oublier que le chômage alarmant est un frein à l'efficacité économique et qu'il découle directement de l'application des principes néo-libéraux, issus du relativisme des valeurs et du refus des héritages historiques. En revanche, une volonté d'efficacité économique pourra s'avérer hostile à l'unification européenne dans les conditions actuelles, car le gigantisme eurocratique réduit l'efficacité là où elle est réellement présente et où elle constitue un barrage contre le chômage pandémique: dans certains tissus agricoles locaux (ce que n'a pas manqué de souligner la FPÖ autrichienne) ou dans certaines entreprises industrielles locales, bien ancrées dans le marché européen mais qui seraient incapables de faire face à une concurrence extra-européenne qui se nicherait dans notre continent, au nom d'un libre-échangisme planétaire ouvrant toutes les portes aux marchandises japonaises ou coréennes, dont le coût est plus bas car il n'inclut ni la sécurité sociale du personnel ni les taxes écologiques visant la protection du patrimoine “environnement” ni un certain réinvestissement dans les réseaux éducatifs.
Sur le plan géopolitique, opter pour le primat des valeurs implique de raisonner en termes de civilisation, de percevoir le monde comme un réseau d'espaces civilisationnels juxtaposés, différents mais pas nécessairement antagonistes. Ces espaces sont animés par une logique intérieure, c'est-à-dire par un système de valeur cohérent et accepté, impliquant pour les hommes harmonie et consensus. Le primat des valeurs implique aussi ipso facto que l'on respecte les valeurs qui animent les espaces voisins du nôtre. Cependant, opter comme les droites néo-libérales (voire les droites “hayekiennes”) pour un primat de l'efficacité, sans tenir compte des valeurs structurantes, ou ne considérer celles-ci que comme des reliquats en voie de disparition graduelle, c'est opter automatiquement pour le système des pseudo-valeurs occidentales modernes et relativistes. Une telle option implique le refus de toutes les valeurs structurantes des civilisations, quelles qu'elles soient, et impose le “relativisme des valeurs”, c'est-à-dire leur négation pure et simple (Benjamin Barber: McWorld contre Djihad!), et, partant, le refus de la valeur “justice” (Rawls).
La gauche tiraillée entre justice et relativisme
Dans le camp de la “gauche” (du moins pour les adeptes des systèmes de classification binaires qui se déclarent tels), il n'y a pas davantage d'homogénéité que dans le camp des droites (pour les binaires d'un autre genre...). Dans cette nébuleuse de gauche, aux contours flous, on est en faveur de l'unification européenne quand on imagine qu'elle est une étape vers l'“Internationale”, désormais mise en équation avec la parousie globaliste. Ou bien on est hostile à cette Europe de Bruxelles et de Strasbourg, parce qu'elle est une Europe capitaliste. Sur le plan géopolitique, face à l'émergence de “blocs civilisationnels”, une gauche sympathique mais en voie de disparition, approuve la consolidation des valeurs dans les aires civilisationnelles voisines des nôtres (islam, animisme africain, bouddhisme, indigénisme hispano-amérindien, etc.), tandis qu'une nouvelle gauche agressive et messianique fait sienne une vulgate militante basée sur les “droits de l'homme”, subtilement raciste car seule cette idéologie, née en Europe du Nord-Ouest, est jugée valable, le reste étant “tribalisme”, injure équivalant désormais de “para-nazisme”.
En conclusion, face à une droite tiraillée entre le sens des valeurs et le néo-libéralisme et face à une gauche tiraillée entre le sens de la justice et l'agressivité occidentaliste et relativiste, force est de constater que les vocables politisés de “gauche” et de “droite” ne recouvrent plus rien de précis, qu'ils ne parviennent plus à séparer réellement des options politiques antagonistes. La droite ou la gauche idéales, pour les uns comme pour les autres, n'existent pas: elles sont des “sites introuvables”, comme l'affirmait Marco Tarchi (in: «Destra e sinistra: due essenze introvabile», Democrazia e diritto, 1/1994, Ed. Scientifiche Italiane).
Sur le plan historique, effectivement, nous découvrons une flopée de figures et de théoriciens importants qui oscillent entre cette droite et cette gauche ou que l'on a fourré dans la boîte de gauche quand ils étaient vivants, pour les fourrer ensuite dans la boîte de droite, quand la mode a changé ou le vent a tourné. Ainsi, Georges Sorel, théoricien socialiste français du début du siècle, appartenait de son vivant à l'ultra-gauche syndicaliste et révolutionnaire. Mais ce syndicaliste-révolutionnaire inspire Mussolini, également classé dans la gauche socialiste et belliciste italienne. Mais, voilà, Mussolini, étatiste et volontariste, est contesté par la gauche parlementariste et déterministe: on le sort de sa boîte de gauche pour l'enfouir dans une boîte de droite, avec son Sorel, son fascisme et ses flonflons. Après 1919, les “révolutionnaires-conservateurs” allemands, Ernst Jünger et Carl Schmitt admirent chez Sorel son sens de la décision et sa théorie de la grève générale insurrectionnelle. Sorel reste donc, malgré son ouvriérisme foncier, dans la boîte de droite: il devient même une figure de la droite radicale en Italie, en France et en Allemagne, après 1945. En France, l'un de ses disciples, Hubert Lagardelle, devient même ministre de Vichy pendant la seconde guerre mondiale.
Il n'existe donc pas d'idées de droite qui n'aient pas été jadis à gauche. Le nationalisme est dans ce cas. Mais il n'existe pas davantage d'idées de gauche qui n'aient pas été ancrées un jour à droite. Cet état de choses doit nous conduire à formuler le jugement suivant: la gauche et la droite sont des concepts dépassés, dans la mesure où elles ne sont pertinentes que dans le cadre d'un régime précis mais uniquement tant que ce régime est accepté par les grandes masses et fonctionne efficacement, tant qu'il peut affronter les vicissitudes du monde en perpétuelle effervescence.
Représentations figées et guerre des looks
Mais tout régime s'use. L'usure de l'histoire est le lot de toutes les constructions politiques. Quand cette usure a fait son œuvre, les gauches et les droites institutionnelles voire leurs dérives plus radicales se figent, deviennent des phénomènes raidis dans un monde qui ne cesse de se mouvoir. A partir du moment où les gauches et les droites institutionnelles ne peuvent plus résoudre les problèmes de société comme le chômage et l'emploi, l'augmentation démesurée des dettes publiques, l'incompétence de la magistrature, la crise de l'enseignement, l'effondrement du consensus, elles ne sont plus que des “représentations” (pour reprendre le vocabulaire de Gilles Deleuze). Des sortes d'images platoniciennes figées que l'on agite comme s'il s'agissait de vérités révélées et immuables ou, plus prosaïquement, que l'on agite avec véhémence comme des pancartes revendicatrices lors de manifestations. Toute l'histoire des “grands récits” (Lyotard) de l'idéologie occidentale du XVIIIième au XXième siècles consiste en une succession de “représentations”: aux représentations conservatrices-cléricales puis bourgeoises, on a opposé la représentation ouvrière-socialiste ou la représentation fasciste ou nationale-socialiste ou verte-écolo. Quand une représentation ne convenait plus à une catégorie de la population, on en fabriquait une nouvelle et on l'opposait aux plus anciennes. Toute la vie politique a consisté ainsi en une guerre des représentations, une guerre des looks. Jusqu'au paroxysme des représentations totalitaires... et surtout jusqu'à la satiété des citoyens.
Cette guerre des looks ne résout rien: on s'en est aperçu et ce fut la fin des “grands récits” (théorisée par Lyotard). Ce type de conflit est insuffisant. Avec Deleuze et ses continuateurs, on s'aperçoit désormais que l'on ne peut pas sans cesse produire et reproduire des représentations, en n'y apportant que de légères retouches. Le monde n'est pas fractionné en camps fermés sur eux-mêmes et détenteurs théoriques de vérités définitives. Le monde, l'histoire, les arènes politiques, les héritages juridiques, les jurisprudences, etc. sont bien plutôt autant de réseaux denses et inextricables, de croissances vitales, d'effervescences organiques ordonnées ou désordonnées mais néanmoins bien présentes et bien réelles, concrètes. Dans ces réseaux, l'homme actif (politiquement, socialement ou existentiellement) doit se tailler, se frayer un chemin à la machette, sich eine Schneise durchhaken, disait Armin Mohler quand il tentait d'expliciter son existentialisme ou son réalisme héroïque (en l'appelant maladroitement “nominalisme”, vocable qu'a rapidement repris Alain de Benoist, son admirateur naïf, collectionneur -ânonneur de vocables non usuels, toujours vainement en quête d'une notoriété qu'il n'a jamais obtenue). La démarche vitale ne consiste donc plus à imposer au dense grouillement du réel des “représentations” figées et naïves, mais de repérer des forces et des opportunités, des passages et des trouées, pour cheminer le plus sûrement, le plus sereinement possible, en dépit des défis fusant de toutes parts.
Complexité, pluralité et démarche archéologique
Cette vision deleuzienne du réel, implique, sur le plan politique concret, de ne plus chercher à répandre des programmes rigides, à se balader dans la société avec sa pancarte ou son affiche sur le ventre, mais à retourner résolument à l'épais sous-bois de l'histoire, où les traits trop simples d'un look idéologico-politique ne valent que ce qu'ils valent: une mauvaise caricature, une gesticulation maladroite. Prendre position politiquement, aujourd'hui, c'est donc plonger plus profondément dans les tréfonds de notre histoire, aller fouiller sous l'humus qui ne recouvre le sol que sur une faible profondeur. Prendre position politiquement aujourd'hui, c'est procéder à une démarche archéologique, c'est faire l'archéologie de notre site de vie. Je vis dans une Cité politique précise qui s'est construite progressivement au fil du temps, qui a généré un appareil juridique/constitutionnel complexe, tenant compte des strates multiples qui composent cette société et récapitulant subtilement dans les méandres mêmes de ses textes et dans les arcanes de ses pratiques les oppositions, fusions et contradictions dont cette société est finalement le résultat mouvant et vivant. Cet entrelac compliqué est précisément le sous-bois auquel il faut retourner et sur lequel il ne faut pas plaquer d'idéologie toute faite. Toute véritable prise en compte de l'histoire du droit dans une Cité interdit les jugements binaires des gauches et des droites ainsi que les simplismes des faux savants qui manient l'idéologie (schématisante) comme d'autres la trique.
La pensée politique doit donc retourner à des œuvres fondamentales, injustement méconnues, comme celles d'Althusius, de Justus Möser, de Wilhelm Heinrich von Riehl et d'Otto von Gierke. Leurs travaux prennent en compte l'ensemble des sociétés, avec toutes leurs différences intérieures, toutes les symbioses qui s'y juxtaposent. Leur pensée juridique, sociale et politique ne peut nullement se résumer à un schématisme binaire, mais exprime toujours de denses complexités, tout en nous apprenant à les explorer sans les mutiler. Le drame de la civilisation occidentale, c'est justement de ne pas s'être mis à l'écoute de ses œuvres depuis deux ou trois cents ans. Pour ces auteurs, ce qui compte, c'est le fonctionnement harmonieux/symbiotique ou le développement graduel de la Cité, selon des rythmes éprouvés par le temps, et non pas sa correction forcée et son alignement contraignant sur les critères d'un programme abstrait. Le programme-représentation ne saurait en aucun cas, avec cette pensée politique organique, oblitérer le fonctionnement rythmé et traditionnel d'une société. Tout retour à ces corpus organiques postule de raviver des modèles liés à un site géographique, de faire revivre, vivre et survivre des héritages et non pas d'imposer des “choses faites”, des choses relevant de la manie moderne de la “faisabilité” (que Joseph de Maistre nommait plus élégamment l'“esprit de fabrication”). Le sous-bois épais et touffu de Deleuze, véritable texture de son “plan d'immanence”, est un héritage, non pas une fabrication. Le sous-bois est un tout mais un tout composé de variétés et de nuances à l'infini: l'attitude qui est pertinente ici n'est pas celle qui est pertinente là. L'homme qui chemine dans ce sous-bois (qui ne mène nulle part, si ce n'est sur la terre même, où il se trouve toujours déjà) doit être capable d'adopter rapidement et tour à tour plusieurs attitudes, de s'adapter plastiquement aux circonstances diverses qu'il rencontre au gré des imprévus: cette vision du monde comme un immense entrelac immanent d'abord, cette nécessité bien perçue de l'adaptation permanente ensuite, sont les deux principales garanties de la pluralité. Quand on pense simultanément entrelac et adaptation, on pense pluriel et on est vacciné contre les interprétations et les représentations unilatérales.
Symbiotique et subsidiarité
Autre avantage pratique: la vision deleuzienne et le recours au filon qui part d'Althusius pour aboutir à Gierke permettent, une fois qu'ils sont combinés, de donner un contenu concret à ce que l'on nomme la subsidiarité. Dans l'article 3b du Traité de Maastricht, les législateurs européens ont prévu le passage à la subsidiarité sur l'ensemble du territoire de l'Union. Mais la définition qu'ils donnent de cette subsidiarité reste imprécise. Et elle est interprétée de diverses façons. En effet, que signifie la subsidiarité pour différents acteurs politiques européens?
- Pour Madame Thatcher et ses successeurs, la subsidiarité n'était qu'un prétexte pour défendre exclusivement les intérêts britanniques dans le concert de l'UE. Certains gaullistes lui ont emboîté le pas, de même que le groupe De Villiers/Goldsmith.
- D'autres espèrent, par antipolitisme, que la subsidiarité va conduire à une balkanisation de l'Europe, à un retour à la Kleinstaaterei incapacitante, car, à leurs yeux, toute capacité politique est un mal en soi.
- Pour d'autres encore, elle n'est qu'un artifice de gouvernement dans un futur Etat européen hyper-centralisé. La subsidiarité conduira à l'intérieur d'une telle Europe à une régionalisation à la française, où les parlements régionaux sont purement formels et n'ont pas de pouvoir de décision réel.
- Pour nous, un projet continental de subsidiarité est un projet de rapprochement des gouvernants et des gouvernés dans tout l'espace européen, visant à instaurer des rapports de citoyenneté féconds, à redonner à la société civile un espace public, où ses dynamismes peuvent réellement s'exprimer et se répercuter dans la vie quotidienne de la Cité, sans rencontrer d'obstacles ou d'obsolescences incapacitantes. Ce projet continental de subsidiarité est indissociable de la question économique. Si l'ancrage politique au niveau des pays est une nécessité pour rétablir les consensus écornés par la déliquescence des valeurs, il doit être concomitant à une “recontextualisation” de l'économie. Si la volonté de “recontextualiser” l'économie, de réancrer les forces économiques sur le lieu même de leur déploiement, si cette recontextualisation redevient la caractéristique principale d'une économie saine, on ne pourra plus parler d'une césure gauche/droite mais d'un clivage opposant les orthodoxies économiques, voire les orthoglossies économiques (consistant à répéter inlassablement les mêmes discours idéologisés sur l'économie), aux hétérodoxies. Pour les historiens français de l'histoire des théories économiques, les orthodoxies sont: 1) l'économie classique (le libéralisme dévié d'Adam Smith, le manchesterisme), 2) le marxisme et 3) la synthèse keynésienne, du moins telle qu'elle est instrumentalisée par les sociaux-démocrates. Toutes ces pensées orthodoxes sont mécanicistes. Face à elles, les hétérodoxies sont très variées: elles ne prétendent pas à l'universalité; elles se pensent comme produits de contextes précis. Elles ont pour sources les réflexions posées par l'école historique (allemande) au XIXième siècle, pour laquelle l'économie se déployait toujours dans des espaces travaillés par l'histoire. Dans une telle perspective, aucune économie ne peut se développer dans un contexte dépourvu d'histoire. Outre l'école historique allemande, les hétérodoxies dérivent des socialistes de la chaire et des institutionalistes américains (dont Thorstein Veblen; les institutions déterminent l'économie, or les institutions, elles aussi, comme le droit, sont produites par l'histoire). Pour François Perroux qui, en France, a fait la synthèse de ces corpus variés, l'économie se déploie au sein de dynamiques de structures, dans des turbulences où s'entrechoquent des forces variées: nous retrouvons là, dans un langage scientifique, avec un appareil mathématique adéquat, ce que le philosophe-poète Deleuze avait appelé le “rhizome”, ce sous-bois, cette jungle du plan d'immanence, dans laquelle l'homme lucide doit repérer et capter des forces.
Parmi ces lucides qui repèrent et captent, il y a bien entendu des hétérodoxes que l'on classe à gauche et d'autres que l'on classe à droite. Mais ce qui importe, dans leurs théories et discours, ce n'est pas le label, mais, plus justement, ce qui fait leur hétérodoxie, soit la volonté de se démarquer du mécanicisme des orthodoxies, de se dégager des impasses politiques dans lesquelles elles ont fourvoyé nos sociétés.
Révolution conservatrice et “événement-choc”
Mais si les questions brûlantes de la politique sont celles de la subsidiarité, de la réorientation de la pensée économique vers les théories hétérodoxes, que reste-t-il de notre engouement pour la “révolution conservatrice”? N'est-il pas le dernier indice d'un ancrage que l'on pourrait labéliser de “droite”? N'est-il pas ce petit “plus” qui permettrait de nous ranger définitivement dans la “boîte de droite”? Premier élément de réponse: ce qui consitue l'essence de la “révolution conservatrice”, ce n'est pas tant la dimension proprement conservatrice, c'est-à-dire le maintien de formes anciennes ou la volonté de garder “fixes” et immuables certaines institutions, mais l'attention constante pour l'Ernstfall (le cas d'exception), l'éveil à tout ce qui est soudain (Das Plötzliche), inattendu (Das Unerwartete), l'événement choc vécu en direct et qui appelle une réponse rapide, une décision (Eine Entscheidung). Cette attention et cet éveil ont été considérés comme les marques les plus caractéristiques de la “révolution conservatrice”, rangée à droite dans l'univers des panoplies politiques. Mais l'éveil à ce qui est soudain n'est pas seulement ancré à “droite”. Tant les surréalistes, contestataires et hostiles à toute forme de conservation institutionnelle, que Walter Benjamin y ont été attentifs et lui ont accordé la priorité, le statut d'essentialité, par rapport à la simple et répétitive quotidienneté. On retrouve la même valorisation de l'instant crucial, marqué d'une forte charge d'intensité, chez Carl Schmitt, chez Ernst Jünger, chez Martin Heidegger. Chez Benjamin, le fait de vivre un choc et de gérer ainsi l'irruption de l'imprévu, de vivre sous l'emprise d'une logique du pire, évite le traumatisme incapacitant, permet de vivre et de naviguer dans un monde qui transite de catastrophe en catastrophe.
Focaliser l'attention du personnel politique d'élite sur la soudaineté et l'irréductibilité du particulier face aux prétentions de l'universel, permet justement de ne pas “perdre les pédales”, de ne pas “craquer” devant le constat que l'on est bien forcé de poser aujourd'hui: la fin de l'histoire (Fukuyama), l'advenance d'un temps hypothétique où les décisions seraient devenues superflues, n'arriveront pas. Jamais. Cette non-advenance bien constatable prouve l'inanité des thèses de Kelsen ainsi que des institutions et des pratiques politiques qui en découlent. Elle contraint à penser métaphoriquement le plan du politique comme un sous-bois touffu, comme une masse unique et toujours particulière de sédimentations multiples, inextricablement enchevêtrées, dont témoignent l'histoire du droit, l'histoire constitutionnelle et la jurisprudence. Dans l'enchevêtrement de pratiques juridiques non répressives mais codifiant, décodifiant et recodifiant la convivialité publique (pratiques qui sont de ce fait non punissantes et non surveillantes, pour rappeler ici le travail de Foucault), dans cet enchevêtrement donc, s'expriment des valeurs, sous des oripeaux qui se modifient et s'adaptent au fil du temps, tout en conservant l'essentiel de leur message.
Conclusion
Par conséquent, le projet de “Synergies Européennes” étaye sa revendication de subsidiarité par un recours aux corpus symbiotiques d'Althusius, Möser, Riehl, Gierke, etc. pour organiser et renforcer une quotidienneté organique, dégagée des simplismes politiciens et mécanicistes qu'ont véhiculés la plupart des idéologies du pouvoir en Europe. Cette quotidienneté doit pouvoir s'exprimer dans des assemblées élues par la population de régions historiques, expressions de substrats historiques, juridiques et économiques de longue durée. Ces substrats représentent des “contextes” économiques particuliers, dont la particularité ne saurait être ni altérée ni oblitérée ni éradiquée. Toute volonté d'altérer, d'oblitérer ou d'éradiquer ces substrats participent d'une volonté mécanique de “surveiller” et de “punir”, qui se camoufle souvent derrière des discours iréniques et moralisants. Ces particularités substratiques doivent donc être prises en compte telles qu'elles sont, dans leur complexité que le philosophe-poète compare volontiers à un sous-bois touffu ou à une forêt vierge. Cette complexité est organique et forcément rétive à toute logique mécanique, binaire ou simpliste. Sur le plan économique, elle ne peut être appréhendée que par une pensée de type historique, c'est-à-dire, selon la classification qu'ont opérée les historiens français contemporains de la pensée économique, une pensée “hétérodoxe”.
Mais ce réel pensé comme sous-bois peut le cas échéant subir l'assaut d'aléas mettant ses équilibres particuliers en danger. L'événement-choc, soudain, fortuit, terrible, peut bousculer des équilibres organiques pluriséculaires: ceux-ci doivent toujours être capables de faire face, de cultiver une logique du pire, pour que les chocs qu'ils affrontent ne les détruisent ni ne les traumatisent. Telle est la disposition d'esprit qu'il faut retenir des décisionnistes historiques (Sorel et ses disciples de la “révolution conservatrice”) et de l'œuvre de Walter Benjamin.
Deux pistes pour sortir des enfermements de gauche et de droite et pour accepter la diversité du monde et le divers en nos propres sociétés.
Robert STEUCKERS.
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mercredi, 13 mai 2009
Terre & Peuple n°39 / Analyse
TERRE & PEUPLE Magazine n°39
Analyse par les équipes de "Terre & Peuple - Wallonie"
Dans son éditorial au numéro 39 du T&P Mag, qui évoque la dimension raciale du conflit antillais, né par hasard avec l’ère Obama, Pierre Vial relève que les mêmes qui qualifient ces violences de ‘culturelles et identitaires’ jugent ignoble le souhait de ‘préserver sa race’. Parce que contraire à une idéologie officielle largement admise par une population pressée de trahir dans l’espoir d’éviter le fameux choc. Il est temps dès lors de mettre en place la fraternité blanche.
Autour des nouveaux musées (Guggenheim, à Bilbao, Coop Himmelb(l)au à Lyon), FAV s’applique à une analyse de la ‘médiasphère’ qui vise à transformer le musée-conservatoire en un lieu d’actualités, présentant le musée lui-même comme l’événement sensationnel, pour assurer sa survie financière. Afin que l’individu, détribalisé, ingurgite sa ration d’images pieuses.
Emmanuel Ratier, documenté et vigilant, épingle une nouvelle monnaie norvégienne à l’effigie de Knut Hamsun, Prix Nobel enfermé à 85 ans dans un asile, après son éloge funèbre à Hitler. Bernard Kouchner, dénoncé par Pierre Péan, pour ses magouilles sous paravent humanitaire, et pour ses faux ‘camps d’extermination serbes’, s’en tient à accuser Péan d’antisémitisme, ce que Maurice Szafran et Joseph Cohen jugent être la mort du débat public.
Le gros dossier ‘L’arme géopolitique’ est assumé pour moitié par Alain Cagnat. Pour lui, trois affaires marquent le sort de la planète : l’oléoduc BTC/l’Irak/l’Afghanistan. Dès 1994, Halliburton (Dick Cheney) et Chevron (Condolezza Rice), pour affranchir les pétroles du Kazakstan du contrôle russe, projettent l’oléoduc BTC (de Bakou en Azerbaidjan, par Tbilissi en Georgie à Ceyhan en Turquie). En 2000, le PNAC (Project for a New American Century, de Cheney/Rumsfeld/Wolfowitz/Perle) programme la seconde guerre contre l’Irak, obstacle à l’hégémonie (énergétique) des States. La ‘vieille Europe’ tente alors de dialoguer avec la Russie. La ‘jeune Europe’ orientale, revancharde, mise sur l’Amérique, seule à avoir résisté à l’URSS. Pour affaiblir l’Europe, les Etats-Unis accélèrent la dislocation de la poudrière multiculturelle des Balkans, y favorisant la pression islamiste (Albanie, Kosovo). Ils incitent l’Europe centrale à adhérer à l’UE et à l’OTAN, ce qui leur ouvre un double accès à la Mer Noire et présentent l’Iran (mais en fait la Russie) comme une menace (bouclier anti-missiles). Les Pays baltes (Lithanie/Lettonie) ayant pris le contrôle du grand oléoduc nord-ouest, la Russie entame la construction du BPS (Baltic Pipeline System) et Gazprom s’entend avec BASF et Ruhr Gaz pour mettre en place Northstream, que les Polonais s’ingénient à retarder. En Europe orientale et en Europe caucasienne : les Américains n’ont pas réussi, en Biélorussie, à déstabiliser le fidèle Loukachenko, ami des Russes. Le GUAM (Organisation pour la démocratie et le Développement) s’affaire à détacher de l’influence russe l’Ukraine, la Georgie, l’Azerbaïdjan et la Moldavie. Il projette un oléoduc OBP entre la Mer Noire et la Pologne. Mais parallèlement, l’UE avec l’Allemagne et la Tchéquie fonde le Partenariat oriental, avec l’Europe orientale et caucasienne, y compris l’Azerbaïdjan. La Moldavie dépend fort de la Russie. L’Ukraine, d’abord emportée par la ‘révolution orange’ de Iouchtchenko, voit à présent sa ‘tsarine’ Ioulia Timochenko signer un accord avec Poutine dans la ligne d’un partenariat Europe-Russie indispensable à l’équilibre du continent.
Reste en question la Crimée, rattachée à l’Ukraine par Khrouchtchev et qui compte 60% de Russes (75% à Sébastopol, base concédée à la flotte russe jusqu’en 2017 !). L’Arménie, fidèle à la Russie qui l’a sauvée des Ottomans, sous blocus de l’Azerbaïdjan et ravitaillée par l’Iran, compte sur sa puissante diaspora américaine. L’Azerbaïdjan s’est épuré de ses Arméniens (pogroms en 1990) à l’exception du Nagorny-Karabakh (rattaché au pays par Staline), où ils sont encore 80%. Le pays détient d’énormes réserves de pétrole et de gaz. Puissamment soutenu par la Fondation Soros (dont il a néanmoins fait échouer la ‘révolution orange’), le président Aliyev joue l’équilibre. Les Azéris, chiites, sont travaillés par les islamistes iraniens. Dès son indépendance, la Géorgie, à qui Staline (géorgien lui-même) avait greffé trois territoires autonomes (Ossétie du Sud, Abkhazie et Adjarie), est entrée en guerre sanglante contre eux. Avec la ‘révolution des roses’, l’avocat newyorkais Michaïl Saakachvili a pris le pouvoir. Fort du soutien des Etats-Unis et d’Israël, il a lancé contre l’Ossétie du Sud une désastreuse opération, qui a révélé l’impuissance américaine et déterminé l’UE à dialoguer avec la Russie. Le Nord Caucase, qui groupe des républiques de la Fédération de Russie, musulmanes (Tcherkessie, Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan) ou orthodoxe (Ossétie du Nord) est un patchwork multiculturel composé par Staline dans le but d’affaiblir chacune. Ce sont des islamistes coriaces, que Poutine traite fermement (« jusque dans les chiottes »).
Au Proche-Orient, Israël étant partie prenante des oléoduc BTC et gazoduc BTE vers la Turquie, il fallait que les Serbes soient virés du Kosovo. Toutefois, depuis la gaffe géorgienne, les Russes menacent les deux tracés. Dans les espérances occidentales, la Turquie devait hériter du ‘pouvoir de nuisance’ de la Russie. Bien que d’une stabilité douteuse, les Turcs peuvent affaiblir Russes comme Européens, chez qui, heureusement, les anti-turcs tiennent bon. C’est la Bible et leur propre histoire de Terre promise qui rapprocheraient les Américains d’Israël, leur treizième porte-avions. Toutefois, depuis le fiasco du Liban (2006) et l’échec de Tsahal à Gaza (2008), et avec sa nouvelle majorité explosive, la stabilité d’Israël ne tient plus qu’à l’instabilité de ses voisins. L’Egypte est gangrenée par les Frères musulmans, proches des Iraniens et du Hamas et qui contrôlent le Sinaï et la zone frontalière de Gaza. L’Arabie saoudite, ‘amie des Américains, achète sa tranquillité, en finançant les fondamentalistes ! Les Monarchies du Golfe ne sont que des lunaparks méprisés par tous les bons musulmans. La Jordanie deviendra peut-être la Grande Palestine (si les Israéliens achèvent le ménage). La Syrie, hostile à Israël, est un des voyous de l’Axe du Mal, mais un interlocuteur incontournable.
Le Liban n’existe que par le Hezbollah, qui en contrôle la moitié. L’Irak, après ses guerres Bush I et Bush II, a été officiellement pacifié par le général Petraeus (et l’accord avec le Mahdi chiite Moqtadar-al-Sadr). Sunites, chiites et Kurdes attendent pour reprendre leur guerre civile le départ des Américains. Lesquels ne resteraient que pour protéger les Kurdes (et leur pétrole). A défaut, ils auraient perdu pour rien quatre mille hommes, des centaines de milliards et gagné la haine de la planète. La concurrence entre les projets de gazoducs Nabucco c/Southstream (qui confronte l’UE à Gazprom russe et à ENI italienne) donne plusieurs longueurs d’avance aux seconds : les Russes ont déjà des accords avec la Hongrie, la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et l’Autriche, de même qu’avec le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, alors que l’avenir de Nabucco est encore incertain. Si les potentats de cinq républiques ex-soviétiques d’Asie centrale ont d’abord été aisément subjugués par quelques dizaines de millions de dollars, le mouvement s’est renversé. Le président Karimov d’Ouzbékistan a sévèrement réprimé une manifestation encouragée par les Américains, qui n’ont eu que le temps de lui rappeler les droits de l’Homme que déjà ils étaient expulsés. Cible des islamistes, il préfère se rapprocher des Russes. De même, le Turkménistan, qui ne tolère aucun soldat étranger, a préféré les Russes aux Américains. Le président Nazarbaiev du Kazakhstan, pris entre ses Kazakhs au sud et ses Russes (30%) au nord, maintient difficilement l’unité. Son pétrole voyage par l’oléoduc CPC et, pour son gaz, il est partie prenante avec le Turkménistan d’un accord avec la Russie. Le bail de la base spatiale russe de Baïkonour court jusqu’en 2014 et celle de Sary Chagoun jusqu’en 2050. Le Kirghizistan (peuplé d’Indoeuropéens) a fait l’objet d’une ‘révolution des tulipes’. Il s’est retourné depuis contre les Américains, qui doivent évacuer la base militaire qu’ils louaient fort cher, alors que les Russes en reçoivent gratuitement ! Le Tadjikistan, pays persanophone pauvre, voisin de l’Afghanistan, est en guerre civile larvée et est occupé à la fois par les Russes et par les Américains. Pour la Mer Caspienne, les Américains nourrissent le projet d’une ‘Caspian Guard’ aéronavale, officiellement pour empêcher les trafics de drogue et d’armes, mais il leur manque d’avoir un pied dans un pays riverain.
Puissance stable du Moyen-Orient, l’Iran, peuplé d’Indoeuropéens chiites, regorge de pétrole. Il a le soutien de tous les damnés de la terre (sunites comme chiites irakiens, Hezbollah, Hamas, Frères musulmans, Afghans et Kurdes). Il est partie dans un axe Moscou-Téhéran-Pékin. Il a même passé un accord gazier avec la Turquie. Il ne renoncera pas à sa bombe atomique. A défaut de pouvoir le vaincre, les Américains doivent le convaincre. L’Afghanistan est une aberration britannique, une mosaïque de peuples en guerre par tradition, où les Américains ont joué les islamistes contre les soviétiques. Le gouvernement Karzaï ne contrôle qu’un cinquième du pays. Il est impossible à l’OTAN de gagner, ni d’empêcher les Afghan d’être les premiers producteurs mondiaux d’héroïne. Au Pakistan voisin, la CIA a arrosé les fous d’Allah avec des torrents de dollars. La contagion s’est étendue et les talibans en sont à menacer les voies de ravitaillement américaines. Les bombardements de représailles touchent essentiellement des civils et font de nouvelles recrues antiaméricaines. La guerre au Cachemire achève d’affaiblir le front ‘occidental’. OTSC et OCS sont deux alliances antiaméricaines : l’Organisation du traité de sécurité collective est une réplique de l’OTAN, qui a permis à l’Ouzbékistan et au Kirghizistan de se débarrasser de leurs troupes américaines ; l’Organisation de coopération de Shanghaï, rassemble, avec la Russie et la Chine, le Kazakhstan, le Khirgizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan et elle a accepté l’Inde, le Pakistan, la Mongolie et l’Iran comme observateurs. L’Inde, le Japon et la Chine sont de faux colosses, peu impliqués encore dans le jeu géopolitique. L’Inde, qui essaie une troisième voie occidentale, n’est en rien une nation. Elle est pratiquement en guerre avec le Pakistan (l’une comme l’autre ont la bombe atomique !). Le Japon est un satellite désarmé des Etats-Unis, dont la renaissance ne passera que par sa redécouverte des samouraïs. La Chine est une menace pour après-demain. Elle multiplie les relations avec la Russie et l’Iran et avec les républiques d’Asie centrale. Plus encore qu’avec les Tibétains, les Chinois ont des problèmes avec les Ouïghours, turcomongols musulmans sécessionnistes. Avec tout cela, les Américains ont perdu une partie de leurs pions et vont devoir abandonner un costume trop grand pour eux, les Russes ont regagné une grande partie de leurs positions et les Européens (UE) ont fait le mauvais choix.
Alain Cagnat, encore lui, pose le choix ‘Occident ou Eurosibérie ?’. L’Occident, protecteur de l’univers contre le Mal absolu du terrorisme, ce leurre destiné aux foules rendues stupides, se fissure. Obama promet un changement, dans la continuité car tout son entourage appartient au White Power. A l’inverse, dans la Russie (qu’on nous présentait comme définitivement humiliée), Poutine s’est attaqué aux oligarques (qu’on nous présentait comme des dissidents). Elle n’est plus une menace pour l’Europe et a intérêt à se rapprocher d’elle, ce que redoutent les Américains. Lesquels n’ont plus les moyens de leurs prétentions hégémoniques, avec une économie en faillite et une armée qui ne tolère pas les pertes ! Notre chance est l’Eurosibérie. Nos enfants ne nous pardonneront pas de la laisser passer, pas plus que nous ne devons pardonner à nos ancêtres d’avoir déclenché la première guerre mondiale.
Pour Pierre Vial, le gouvernement de la France, vendu à Washington, ne pouvait que déboulonner Aymeric Chauprade, esprit libre, de sa chaire de géopolitique au Collège Interarmées de Défense. Il y démontrait la nécessité pour la France et l’Europe de faire échec au mondialisme américain, produit de la finance newyorkaise. Chauprade avertit contre le potentiel révolutionnaire islamiste et conteste que les Etats-Unis aient les moyens de leur ‘destination divine manifeste’. Il mise au contraire sur la Russie, à qui ses richesses naturelles donnent les moyens de sa politique d’indépendance et de puissance.
Jean-Patrick Arteault annonce la guerre coloniale, dans la ligne de la géopolitique anglo-saxonne. Puissance maritime insulaire destinée à dominer le commerce, elle doit ‘contenir’ le continent, c’est-à-dire empêcher que la puissance réelle de celui-ci s’exprime. Le messianisme judéo-yankee a nourri deux écoles de politique étrangère américaine. La première, Hard Power, divise le monde en vassaux ou en ennemis à abattre, au besoin par la force (R. Reagan, G. W. Bush). La seconde, Soft Power, préfère amener l’interlocuteur aux concessions, dans la voie d’un mondialisme cornaqué par l’oligarchie capitaliste et ses think tanks. La formule a l’avantage de sauver la face aux collaborateurs, à qui le berger fait oublier qu’ils ne sont que des moutons. Ils vendent à leur opinion publique l’image d’une Amérique bonne fille, qui nous a secourus et protégés contre l’indicible et qui mérite dès lors qu’on l’aide contre les méchants Afghans. Dans le genre Kollabo, le trio infernal de l’atlantisme français (Sarközy-Kouchner-Levitte) rêve de souffler aux Britanniques le rôle de premier caniche de Washington, apprenant à se plier sans donner le sentiment de se coucher. L’armée de terre américaine, qui veut guerroyer avec zéro mort, a un besoin urgent de supplétifs et, le dollar vacillant, de faire casquer les vassaux. Alors que le bourbier afghan est une nouvelle guerre coloniale qui ne pourra pas être gagnée, car son objectif géopolitique (entre autres, barrer à la Russie l’accès aux mers chaudes) ne satisfait pas les opinions publiques ni les combattants. Ceux-ci devraient se contenter d’apporter la démocratie et les droit de la femme à des moujahidins qui sont incomparablement mieux motivés à se défendre contre les mercenaires des oligarchies financières.
Pierre Vial clôture ce numéro en beauté. Et en chantant la profusion des beautés que vient de dévoiler l’archéologie dans les vestiges que ‘Nos ancêtres les gaulois et nos ancêtres les Germains’ nous ont laissés dans le Puy-de-Dôme, dans la Somme, en Corrèze, dans le coeur historique de Reims, à Saint Dizier en Haute-Marne. Le cliché des ‘barbares hirsutes’ a enfin rendu son âme dévote. Notamment entre les mains de Bossuet, pour qui la Providence avait choisi la voie lumineuse de la civilisation gréco-romaine pour apporter la vérité unique aux brutes sauvages de nos sombres forêts.
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